Et si toute ouverture
Ne tenait qu’à toi,

A cette percée
Que tu autorises.

Poursuis la voie
Que tu sais tienne !
Ne désespère pas
Des ronces du chemin !
Est-ce un journal ?
Mais tu n’y livres pas suffisamment
Le sel des rencontres,
Les miettes de tes journées,
La sève de chaque seconde !

Plutôt un après-journal,
Quand la dernière lettre
De ce qui restait à vivre
Est oubliée.
Pour Ghislaine



Gavée de soleil
Elle a rejoint le ciel,

Immortalisant
Tout à coup
L’enfance.

Parmi les vignes
Sa vie paraissait-elle plus digne
D’être célébrée ?

Avait-elle atteint les cimes
De son plus haut désir ?

Elle aura livré sa vie
Au plus fort
De son incandescence.
Tu n’as pas craint l’impossible,
Tu as laissé tes branches
Au loin se déployer,

Tu as aimé le vent
Qui vient s’y engouffrer.
Nulle traversée
Qui ne garde les cicatrices
Du naufrage.

Ces bois morts
Où la vie,
Une fois encore,
A bourgeonné.
C’est un espace vierge
Où tu t’avances,
Sans armes,
A mains nues.

Sans livre,
Sans leçon apprise,
Sans langue reconnue.

Juste fidèle
A ton propre chant.

Sans écriture,
Sans note,
Sans portée.

Ténu,
Indicible.
Sang neuf,
Oui !

Comme cette page
Où le soleil se coule :

Lumière
Qui irradie.
Cet espace en toi
Sans ardoises,
Sans parois,
Par où le ciel s’engouffre

Et ces feux mal éteints,
Où trop souvent tu te consumes !

Le mur où tu poses ton front
Par quel miracle il te révèle ?

Tu ne sais où s’en vont ces carnets.

Comme le vent,
Tu ne les reprends pas.
Sur cette portée de musique
Où tu consignes ton pèlerinage,
Quels silences encore
T’apprêtes-tu à noter ?

Et lorsque tu écris,
Ne ressens-tu pas aussi
Cette sorte d’évidence,
Sans pourquoi ?
Cela qui te fut donné,
Contemplant le sel de tes nuits
Recueillant leurs présages.

Les communions les plus profondes
N’étaient-elles pas indicibles,
Celles par qui la flamme de la lampe
Se transmettait ?

Seul ce qui brûle, avait-elle écrit,
Et toi tu acceptais ce don incandescent !
Comment écrire
Si tu n’es pas en état de prière,
Si tu ne te sens pas boiteux,
Précaire,

Manquant d’espace pour respirer ?

De toutes les paroles qui te touchent,
Tu retiens celle qui te simplifie
Jusqu’aux racines.
Par le silence qui le féconde,
Ecrire est un acte d’amour.

La Galilée que tu portes en toi
N’a rien perdu de sa beauté.

Tu caresses chaque fleur,
Chaque écorce,
Chaque oiseau du regard.
Comment avait-on pu enfermer
De si abstraite manière
Celui qui se disait la vie,
Le chemin,
Et qui savait se taire pour dire sa vérité ?

A moins qu’il ne s’arrête
A laver les pieds de ses amis.

Mais où avait-on appris qu’il les endoctrinait ?
Rien dont tu ne puisses faire ta toile,
Ton chevalet,
Ton bouquet de pinceaux,
Ta palette constellée.

Tes couleurs sont comme le vent,
Elles coulent entre les pierres
De ta royauté blessée.

Tu t’assieds sur ce qui fut ton pouvoir,
La couronne de tes illusions,
La bibliothèque de tes faux succès.

Tu laisses l’amour tout consumer.
Ces heures glanées
Sur l’indicible,
Ta plus belle moisson,
Ta vie réconciliée !

Seule la rencontre
Donne du poids à ton existence !
Seul l’amour te densifie !

Tout ce que tu n’as pas su relier
Est perdu.

Ecrire était pour toi
Comme un shabbat
Où le silence te précédait.

Tu goutais sans rien taire
A sa joie imprenable.
Que vaudrait ta vie
Si elle ne quittait jamais
Les routes fréquentées ?

Apprends à rejoindre le cœur des haies,
Des talus,
Des souches oubliées.

Ménage tes temps perdus,
Balcons sur l’inconnu.

Nourris le livre que tu portes,
Donne-lui sa chance
De respirer.
Celui que tu cherches n’est plus là.
Désormais c’est ce vide qu’il fait en toi
Que partout tu promènes.

Pourquoi les vocables sont usés,
Si fatigués,
Pour dire cela qui ne meurt pas.

Te retirant de tout savoir
Ne t’es-tu pas approché de toi ?

C’est la joyeuse liberté
Qu’il faudrait retrouver
Retourner le sérieux des jours
Pour dire le seul soleil
Qui les habite.
Et ce sera peut-être
En cet automne frémissant,

Tu auras mis la joie
A toutes tes fenêtres.

Dans les branches gelées
Les fruits triompheront
Comme en des arbres de Noël.

La vie éclatera
Et le chemin te conduira
Au centre de toi-même

En un anniversaire
Multiplié.
Même si tu démontrais,
C’est encore cette part défaite
Que tu prouverais.

C’est lorsque tu te tiens
Sans un mot,

Dans ce souffle
Ephémère,

Que tu es au plus près
De la langue que tu cherches.
Tu avais fini par repérer
De quels signes tu avais bordé l’absence.

De quelques chiffres lumineux,
Neufs comme le jour,

D’un nom d’emprunt
Pour qui avait définitivement voué sa vie
A l’errance.

Et si c’était cela, pour toi,
Qui faisait structure et charpente.

Cette césure dans la chair à jamais,
Cette béance,
Comme une parole d’amour
Dans le roc de tes jours.
Un peu sourcier tu es :
Tu guettes sous l’écorce
Le ruisseau et la sève.
Parfois tu les provoques,
Mais tu connais leur force.
Il suffit que tu ouvres le livre
Pour que le ciel s’ordonne.

Un chant oriente tes pas.

Il te faut poser la joue
Contre le ciel

Pour supposer
L’exacte vastitude.
Se détacher de tout vouloir,
De tout pouvoir sur les mots !

Entrer dans cet état précaire
Où ils se prient en nous !

Les laisser respirer !
Veiller seulement
A agrandir leur aire…
Tu es resté fidèle
Aux carnets de tes errances,

Quand la joie
Secouait le ciel.

Tu guettais chaque mot
Comme un fruit prêt à tomber.

Tu suppliais
L’été
Et l'automne,
Et l'hiver

De croire
Que le printemps viendrait!
Toi,
C’est un livre ouvert
Que tu portes en plein ciel,

C’est un savoir secret,
Patiemment mis au jour,

Une clef,
Mystérieusement tenue
Depuis l’origine.
Il y a du ciel dans nos mains.
Le savons-nous ?

S’y reposent un instant les nuages.

Nous sommes familiers de tant d’oiseaux.
Seul le poème fixe
L’incroyable lumière
De ces rencontres imprévues.

Comme des photographies très anciennes
Qui, soudain, t’atteignent
En plein cœur !
Il se pouvait que tu aies renoncé
A toute oraison,
A tout mystère.

Mais la prière tu l’emportais partout.
Cette vacance absolue
Par où tu vivais ta vie.

En toi, c’est une parole qui tient,
C’est un silence,
C’est un vide que tu respectes.

C’est un amour qui ne te quitte pas.
Des lettres
Qui ne laisseraient passer
Que le vent !

C’est elles que tu cherches,
Inlassablement !