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Par
Bernard Ginisty
Ceux
pour qui la rencontre avec des ouvrages de Christian Bobin a été un évènement
intellectuel et spirituel seront certainement intéressés par la parution du
dernier Cahier de l’Herne, intitulé tout simplement Bobin. Dans son
avant-propos, Claire Tiévant, codirectrice du Cahier, en précise le but : « La
raison d’être de ce Cahier est la mise à jour des lignes de force d’une œuvre
qui, par sa vitalité, coupe les nerfs malades du langage, cisaille les câbles
souterrains qui relient si souvent les modes et les dogmes. (…) Écrivains,
poètes, philosophes, docteurs en religions, penseurs arabo-musulmans, rabbins,
spécialistes du tao, maîtres zen, universitaires, artistes, compositeurs et
interprètes, aventuriers de l’extrême ou lecteurs anonymes : tous témoignent de
cette lumière que l’œuvre de Bobin leur a apportée ». [1]
Parmi
ceux-ci, le philosophe André Comte-Sponville écrit ceci : « C’est un évènement
trop rare, dans une vie d’homme, une chance trop exceptionnelle, dans une vie
de philosophe, pour que je n’aie pas envie, et le mot est faible, de crier à
tous la bonne nouvelle. Noël ! Noël ! Un poète nous est donné. (…) Christian
Bobin est à mon sens le plus grand poète de sa génération, qui est aussi la
mienne, et le seul écrivain, si je peux me permettre cette confidence, qui me
fasse regretter d’être philosophe » [2] Le philosophe et écrivain algérien
Mohammed Taleb voit dans l’œuvre de Bobin « la bataille et l’abîme qui sépare
l’humain qui mutile et l’humain qui noue avec le réel, un lien de poésie ». Parlant
des humains mutilés, Bobin souligne : « Ils peuvent tout faire entrer dans
leurs calculs, tout sauf la grâce, et c’est pourquoi leurs calculs sont vains »
[3].
Dans
une époque inondée d’informations et de calculs, Christian Bobin voit dans la
poésie une voie du salut : « Les chiffres grignotent les poutres du monde. Ils
avancent, ils avancent. Un jour, il ne restera plus que la poésie pour nous
sauver. Je ne parle pas ici d’un genre littéraire ni d’un bricolage
sentimental. Je parle de la déflagration d’une parole incarnée. Seuls rendent
habitable le monde les bégaiements d’une parole qui ne doit rien à la
perfection d’un savoir-faire. Un jour, nous lèverons la tête vers le ciel et
nous ne verrons plus qu’un panneau d’affichage avec les prix d’entrée pour le
paradis » [4]. Bien loin de fuir la quotidienneté du monde pour des envolées
lyriques, il convoque le « génie » poétique qu’il définit ainsi : « Le génie
c’est de rejoindre le proche comme s’il était au bout du monde. Le génie, c’est
de saluer ces compagnons franciscains que peuvent être un verre d’eau, une bête
des champs à demi sauvage, famélique (…) La grâce de l’écriture, le génie de
l’écriture – qui ne dépend pas hélas de l’écrivain, qui vient ou qui ne vient
pas, et qui va s’enfuir plus souvent qu’elle ne viendra – c’est toujours la
même chose : rendre le présent comme il est, c’est-à-dire absolu, pénétré
d’absolu. Faire du simple la seule image non hypnotisante de Dieu » [5].
Notes
:
[1]
Claire TIEVANT, Avant-Propos, Cahier de l’Herne Bobin, Éditions de l’Herne,
2019, p. 11. Parmi les contributeurs on peut citer Ahmed Abdelkrim, Lytta
Basset, Alain Borer, Olivier Bogé, Clotilde Courau, Jean-Louis Étienne,
François Gautheret, Jérôme Garcin, Sylvie Germain, Philippe Jacottet, Yves
Leclair, Serge Linarès, Patrick Minard, Robert Misrahi, Yoko Orimo, Marc-Alain
Ouaknin, Ernest Pignon-Ernest, Olivier Py, Anne Queffélec, Jean-Philippe de
Tonnac… Par ailleurs, l’ouvrage comporte de nombreux textes inédits de
Christian Bobin.
[2]
André COMTE-SPONVILLE, Pour saluer un poète, ibid. p.133.
[3]
Mohammed TALEB : Les poètes arabes et l’effondrement des banques. Lecture
arabo-musulmane de Christian Bobin, ibid. p. 202.
[4]
Christian BOBIN, Zhu Xiao-Mei, ibid. p.184.
[5]
Christian BOBIN, Ce n’est pas la gamine qui va gagner. Christian Bobin et la
Libraire, ibid. p. 71.