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jeudi 30 novembre 2023

 







Pour rejoindre la Source 
Se défeuiller comme un arbre
Laisser la sève devenir printemps 

La voie s’ouvre sans pourquoi 
Au jusant des heures
Royaume de l’éclaircie

Sans avant ni après
Sans projet ni aversion 
L’oiseau couronné par l’instant 

Dans le fond de l’âme
Le désert sans limites
Où poussent les fleurs de la joie 

Buisson où les pieds se déchaussent 
Voir de dos la Présence 
Le chant qui unifie

Sentir le jour diminuer
Et naître l’étoile 
L’assurance de la lumière

Devenir complice
De la nudité de l’hiver
Suivre un vol d’oies sauvages

Une fois trouvé son cap
Être sûr de sa voie
Se délester des charges inutiles

Veilleurs des rives 
L’orchestre des étourneaux 
Brassées d’ailes en fête 

Familier des îles
Le fleuve est toujours assuré
De rejoindre la mer 

Rescapé des tempêtes
Devenir forêt dépouillée
Promise à tant de de nouveaux feuillages 

Jean Lavoué, 29 novembre 2023 
Photo JL 27/11/23
www.enfancedesarbres.com 






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mercredi 29 novembre 2023

 À nouveau ce poème

Écrit à l’heure de la cérémonie religieuse
À l’intention de Christian Bobin 
En l’église Saint-Charles du Creusot
Le 28 novembre 2022…

Avec de pauvres mots
Je cherche encore à partager avec toi
Le pain du poème







Pour Christian BOBIN 

Au-dessus du Blavet aujourd’hui 
Le ciel semble plus transparent,
Le moindre petit nuage
Se fait le messager
D’une enfance éblouie.

Sur l’autre rive,
Trois pies volent au-dessus des tombes
Et leur ballet n’est pas triste.
Les mouettes s’élancent
En grands signes blancs vers l’azur. 

Chaque arbre distille sa lumière :
Son feuillage tremblant
Devient aussitôt le fragile compagnon
D’un chemin enfoui dans le mystère. 

Avec de pauvres mots,
Je cherche comment 
Partager encore avec toi
Le pain du poème.

Je contemple ce grand silence
Éclaboussant les marges
Où tu t’es réfugié.

Ta parole vive surgit
De la moindre écorce
Protégeant la sève
De l’implacable hiver à venir.

À chacun, tu laisses la tâche 
De vivre et d’écrire pour deux,
De devenir à son tour
Le libérateur des papillons de la joie.

Tu nous invites
À laisser grandir entre nos mains
L’éclat lumineux 
Du soleil de ton absence,
À semer dans les sillons de nos vies 
Les graines de bonté
Dont tu es soudain devenu 
Le jardinier céleste.

Foulant les feuilles mortes du sentier, 
Nous pressentons déjà, promesse d’un printemps,
L’éclaircie du petit cerisier en fleurs
Dont tu as gardé le secret.

Tu es aussi bien dans le rythme de la marée 
Que dans chaque duvet blanc qui se pose,
L’humble petit moineau égaré,
La moindre goutte de pluie 
Se balançant sur un brin d’herbe oublié.

L’heure est à la gratitude
Pour tout ce que tu nous as appris
À regarder avec les yeux du cœur.

Imperceptiblement,
Tu rejoins la compagnie  fervente
De nos absents familiers
Aux tiges dressées dans la lumière.

Tu nous rends complice
De ces secondes perdues
Où la perle de grand prix
Nous est redonnée.

Tu respires à pleins poumons
Dans cette liturgie d’automne
Où le ciel est baptisé 
Des couleurs de l’aube.

Jean Lavoué, 28 novembre 2022
Photos JL 28/11/22
Jour de la cérémonie religieuse célébrée pour Christian Bobin le lundi 28 novembre 2022, à 15h30, en l'église Saint-Charles du Creusot






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mardi 28 novembre 2023

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En 2015 nous étions à la veille
De la Conférence de Paris sur le Climat,
C’était aussi au lendemain d’attentats sanglants
Ayant endeuillé la France ;
Demain voici déjà la COP 28 de Dubaï :
Tant reste à faire pour sauver notre planète
Tandis que d’autres attentats,
D’autres guerres mettent le monde 
À feu et à sang.
Par-delà les peurs qui nous tenaillent 
Un chemin de paix finira-t-il par s’ouvrir
Dans le cœur de chaque homme et de chaque femme Désireux de voir surgir un printemps pour la terre ? 

JL 28/11/2023




Nous sommes à ton chevet ma terre
Mais aussi au chevet de l'homme
Même les arbres sont défeuillés
Les villes sont désertes
Et nos matins sont blêmes
Les saisons ont rompu leurs amarres
Nous n'avons plus de port

Qui pourrait refaire à notre place
Ce que nous seuls avons défait ?

Aujourd'hui est aussi un jour de deuil
Le cri du sang monte jusqu'au ciel
Nous lançons nos couleurs au vent de nos détresses
Y aurait-il quelqu'un pour apaiser l'épouvante entre frères ?

Opposerons-nous à l'horreur une violence encore plus meurtrière
Serons-nous seulement ces boutiquiers des armes
Ces magiciens du néant ces ensorceleurs de haine
Plutôt que sentinelles avisées guettant partout l'amour aux frontières ?

Pour frayer la voix d'une autre paix
D'une aube nécessaire
Qui se lèvera
Qui ouvrira les yeux
Qui prêtera l'oreille
Qui s'éveillera sinon toi-même
Qui s'engagera sinon ce coeur qui bat au rythme de ton pas ?

Jean Lavoué, 27 novembre 2015 
www.enfancedesarbres.com

Photo : Syrian artist Tammam Azzam and his personal Gustav Klimt's "The Kiss" on a war-torn buildind in Syria.









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lundi 27 novembre 2023

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Je poursuis mon hommage à Magda Hollander-Lafon qui vient de nous quitter en partageant ce texte qui conclut mon ouvrage « Des clairières en attente » (Médiaspaul 2021).






LA FERVEUR DE MAGDA


Une femme me bouleverse particulièrement ces jours-ci. Son grand âge la rend désormais vulnérable. Mais, à 93 ans, elle continue à témoigner d’une confiance en la Vie qui jamais ne l’a quittée. Elle m’appelle justement hier tandis que nous conversons frère Martin, Gilles Baudry, mon épouse et moi-même dans cette clairière enveloppée de soleil de l’abbaye de Landévennec, en cette chaude journée estivale. Aura-t-elle senti l’aile du papillon venu se poser sur nous telle une visitation ?

Magda connut très jeune la déréliction, la multiplication des « pourquoi ? », et jusqu’à l’abandon de son peuple par Dieu. Jeune juive hongroise, elle est déportée à 16 ans au camp d’Auschwitz. Elle se tient pourtant debout dans la boue du camp. Même quand Dieu se fait silencieux, elle croit d’une foi inébranlable en la vie qui l’habite. Elle reçoit un jour, comme une bénédiction, quatre petits bouts de pain moisis qu’une femme mourante lui tend en lui disant : « toi, il faut que tu vives et que tu témoignes »[1]. Longtemps, elle aura enfoui ce geste et ces paroles. Survivante, elle se convertit au christianisme par la grâce de rencontres autant que par une sorte de révélation à la fois linguistique et théologique : c’est en apprenant la langue française, qu’elle a un jour la révélation. Ce Verbe dont lui parle tant la religieuse qui l’a prise sous son aile, et auquel elle ne comprend rien, prend un jour toute sa force et tout son dynamisme lorsqu’elle saisit d’un seul coup que, sans lui, la phrase ne va nulle part. Qu’elle reste là, inerte, sans mouvement, sans vie. Le Verbe, c’était donc cela. Ce qui donne vie ! Ce qui donne sens ! ce qui met en mouvement ! Ce qui est le cœur battant de l’être…

À partir de ce jour, Magda s’engage dans une véritable conversion christique mais sans jamais renier pour autant la religion de ses ancêtres. Juive, elle restera. Mais avec cette Parole inouïe qui soudain a germé en elle. Jamais elle ne voit d’opposition entre le judaïsme de son enfance et le christianisme de sa vie de jeune adulte. Même si elle est consciente des barrières qui se sont dressées au fil des siècles entre l’un et l’autre. Tous deux sont constitutifs de son identité même. Mais elle doit cependant passer par une mort pour entrevoir cette voie nouvelle. Toute sa famille a disparu dans les camps. Le Dieu auquel elle croit s’est tu. Et voici qu’elle se trouve à présent seule dans un monde étranger, revenue d’on ne sait quelles ténèbres.

Combien fut radical cet abandon des croyances qui ne l’avaient pas protégée, ni elles, ni les siens, du pire. Mais avec cette tornade ravageant tout sur son passage, tout se passe comme si l’essentiel, en elle, a survécu. Un vrai sauvetage de l’être ! Le Dieu qui l’accompagnera désormais jusqu’aux rivages de sa vie est un Dieu qu’il faut aider en soi, comme en tout homme, à ne pas mourir, ainsi qu’Etty Hillesum, sa petite sœur, poète et prophète comme elle, en avait eu l’intuition fulgurante. Sa vie devient chant fraternel, hymne de confiance en la beauté de l’homme. Elle s’engage alors dans le dialogue judéo-chrétien dont elle me fait, lors de notre récente rencontre, le cadeau du secret de son être. Elle achève alors la lecture du dernier livre du Grand Rabbin de France, Haïm Korsia[2], qu’elle tient à m’offrir. Comme un passage de relais, un viatique pour la route, en m’indiquant un espace encore plus large que celui que je me plais à fréquenter à travers tous ces petits groupes « en sortie », tous ces auteurs affranchis dont j’ai fait ici le récit. Il y a plus encore : notre vie commune à préserver. La fraternité à sauver.

Le retour de certaines formes d’antisémitismes consterne Magda tout comme le Rabbin Korsia. Comment avait-on pu en revenir à cela après ce que les juifs avaient enduré et traversé au cours du XXème siècle. Toute son énergie, jusqu’à son dernier souffle, sera de témoigner pour le feu d’amour qui réside en l’homme et qu’elle oppose à toutes les formes de haine dont, lucide, elle voit malheureusement la résurgence autour de nous. Elle a beaucoup d’estime pour les femmes et les hommes de paix qui font tout ce qu’ils peuvent pour tisser des liens. Il y a quelques mois, l’archevêque de Rennes, Monseigneur D’Ornellas l’a invitée à venir témoigner devant l’ensemble des évêques du Grand Ouest réunis. C’est là pour elle le combat essentiel : témoigner à temps et à contretemps pour une humanité réconciliée, pacifiée.

  Voici une trentaine d’années, ce sont les propos négationnistes d’un homme politique d’extrême-droite, collaborationniste notoire dont il est inutile de rappeler ici le nom, déclarant sur une radio qu’à Auschwitz on n’avait gazé que des poux, qui la fait sursauter et se dresser dans une sainte colère. Elle, qui a tu tout au long des années, y compris à ses propres enfants, afin de ne pas les écraser par ce poids de souffrance, ce qu’elle a vécu dans le camp, ressent l’urgente nécessité de témoigner. Tout revient d’un coup. La détresse et la compassion. L’agonie et la vie plus forte que la mort. Et cette petite poignée de pain tendue par cette femme qui lui donne ainsi sa vie. C’est alors qu’elle écrit son bouleversant livre de témoignage[3]. Depuis, elle ne cesse plus de parler. De s’adresser à tous ceux qui ne doivent pas oublier. Et parce que, c’est d’abord vers la jeunesse qu’il faut se tourner, elle s’adresse en priorité aux enfants et adolescents des écoles. Sans jamais leur asséner la brutalité et la douleur de son témoignage mais, au contraire, en partant toujours de leurs questions, en mesurant ce qu’ils sont capables d’entendre et de recevoir ce jour-là.

Comme Etty Hillesum, ou encore Christiane Singer, Magda Hollander-Lafon fait partie de ces femmes qui, du fond de la détresse, laisseront grandir en elles une parole d’amour capable de faire fondre toutes les banquises de violence et de haine. En 2016, je leur consacrai un livre. Je voyais en elles comme des phares de la tendresse de Dieu[4] en un monde qui, bien que se détournant de lui, voyait de plus en plus se lever en son sein des témoins, et particulièrement des femmes, des amoureuses, éprises de la vie. Elles laissaient grandir en elles une force divine, étrangère à toutes les barrières entre confessions, à toutes les hostilités au nom de Dieu, tournée vers le don et vers chaque être, poreuses à cette sorte d’unité foncière qui se fait dès lors qu’on se tourne vers le bon, vers le vrai, vers l’essentiel. Un amour étranger à toutes formes de pouvoir, à toutes formes de bannières et de croisades. Finalement éloigné de tout ce qui survivait encore d’une certaine représentation idolâtrique de Dieu dans un monde qui se serait dépouillé de toutes les violences dont il était autant la cause que l’objet.

En ce jour où je lui rends visite, Magda est allée tremper ses pieds nus dans la mer. C’est pour elle une autre manière de communier avec la vie qui est mouvement perpétuel. Une manière aussi de marcher vers cet universel auquel tous aspirent, se trompant cependant bien souvent de combat, voyant l’unité à portée de main d’un égo qui refuse de se débarrasser des apparences ?  Chacune de ces femmes a traversé les illusions qui nous font tant souffrir. La mort n’est pas pour elles un obstacle, mais elle est devenue chemin. Leur vie offerte continue à se donner comme elle s’est donnée tout au long d’un chemin de vie semé d’embûches, de drames et de risques mortels auxquels cependant leurs âmes ont survécu. Elles ne se sont pas dérobées. Elles se sont laissé buriner par la souffrance sans jamais changer en haine l’or de leur amour. Et c’est pourquoi elles vivent et demeurent dans le cœur de tant de personnes. Magda s’est formée au métier de psychologue. Mais chez chacune de ces femmes, on sent bien que c’est d’une autre psychologie que celle enseignée sur les bancs de la faculté dont il s’agit. Surgie du tréfonds de l’être, une voix s’est emparée d’elles, une parole dont elles ont fait du pain pour les multitudes. Elles aussi ont revêtu le Christ, et cela prend des formes tellement éloignées de ce qu’on avait cru jusqu’alors être la stricte doctrine et la pure orthodoxie. C’est ce corps donné pour tous qui est devenu le lieu de leur accomplissement.

Magda est sensible à la poésie. Sa fille Élisabeth m’a invité, en ces temps où l’épreuve de l’âge et de la maladie s’est faite plus présente, à la rejoindre par quelques mots venus du cœur. C’est ce petit chemin de proximité et d’accompagnement que j’ai ainsi laissé se dessiner pour elle, un matin, au réveil :

 

Quelle aube se prépare, chère Magda,

Bergère du courage,

Familière de la joie ?

Au jardin de ton cœur

Les arbres sont en fleurs

Et les roses jubilent !

Tous ces jeunes fervents que tu as su convaincre

Sont là qui te saluent.

La vie l'emportera sur les ombres tenaces :

Comme toi ils se tiendront, courageux et debout,

Enracinés dans la confiance,

Pleins d'audace pour le jour qui vient.

Tu peux garder ton âme dans la paix,

Tout ce que tu as semé germera

Dans l'âme de ce monde :

Ta foi et ta tendresse,

Le feu de l'espérance.

Tu rejoins tant d'amis, d'amies qui te devancent,

Etty dont le chant reste à jamais gravé

Au fronton de nos nuits,

Christiane dont les derniers fragments

Brûlent en nous d'une flamme qui ne s'éteint pas.

Nous sommes là silencieux,

Nos mains posées sur les paumes de ton amour.

Nous sèmerons avec toi les graines de la vie,

Nous ne lâcherons rien de l'affectueuse vigilance,

Cet élan généreux que tu nous as appris,

Nous laisserons croître en nous tout ce qui ne meurt pas,

De tout notre être, nous servirons avec toi 

Les promesses du matin.


[1] Magda Hollander-Lafon, Quatre petits bouts de pain, Albin Michel, Réédition 2013.

[2] Haïm Korsia, Réinventer les aurores, Librairie Arthème Fayard, 2020.

[3] Magda Hollander-Lafon, Quatre petits bouts de pain, op. cit.

[4] Jean Lavoué, La vie comme une caresse, Dieu nous sauve par sa tendresse, Médiaspaul, 2016.


Jean Lavoué, Des clairières en attente, Mediaspaul 2021, https://www.lavie.fr/idees/chroniques/des-clairieres-en-attente-une-metaphore-des-chretiens-en-exode-73747.php




Photo : Magda Hollander-Lafon est décédée à Rennes, dimanche 26 novembre 2023, à Rennes où elle résidait depuis 40 ans. (©Arnaud Loubry/Rennes, Ville et Métropole)











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dimanche 26 novembre 2023

 

J’apprends à l’instant le décès de notre chère Magda Hollander-Lafon. Tant de lumière reçue de son regard et de son amour inconditionnel pour la vie. « Elle demeure dans notre cœur » comme elle aimait à dire à chacun de ses amis. Pensées affectueuses pour ses proches. Je partage à nouveau ci-dessous son témoignage publié dans Ouest-France en janvier 2020 : « Il nous reste maintenant à imaginer ensemble comment œuvrer, comment cultiver de vrais liens, avec moins de peurs, pour retrouver en nous l’espérance en l’humanité de l’Homme, et devenir des témoins vigilants, aujourd’hui, là où nous sommes. Demain dépend de chacun de nous. »

JL 26/03/23 





Joie de partager ce bouleversant  témoignage de mon amie Magda Hollander-Lafon.
Propos recueillis pour Ouest-France par Pascal Simon le 23 janvier 2020

La Rennaise Magda Hollander-Lafon, 92 ans, est une rescapée du camp d’extermination nazi d’Auschwitz-Birkenau, libéré il y a 75 ans. Très régulièrement, elle témoigne de son histoire auprès des écoliers, collégiens, lycéens. Il y a quelques mois, dans le cadre du concours national de la Résistance et de la Déportation en Ille-et-Vilaine, Magda Hollander-Lafon avait, une nouvelle fois, insisté sur la transmission de cette mémoire. Récit.

Le 27 janvier 1945, les soldats de l’Armée rouge entrent dans le camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau, près de Cracovie, en Pologne, où se trouvent 7 000 survivants hommes et femmes. C’est peu : les forces allemandes, face à l’avancée soviétique, avaient dès le 17 janvier évacué 60 000 prisonniers vers d’autres camps situés plus à l’ouest lors de « Marches de la mort ».
La Shoah, le génocide des Juifs
Plus de 1,1 million de personnes, dont un million de Juifs, ont été exterminées dans cet immense complexe de 42 km2 construit à partir de 1940 dans le sud de la Pologne occupée et qui deviendra le symbole de la Shoah, le génocide des Juifs.

Le lieu est de sinistre mémoire. C’est là, dans les caves du Block 11, qu’a été expérimenté dès 1941 le Zyklon B, sur des détenus soviétiques et des malades. Cet insecticide a ensuite été utilisé à grande échelle par les nazis dans les chambres à gaz.

La Rennaise Magda Hollander Lafon, 92 ans, déportée au camp de concentration d’Auschwitz-Birkenau témoigne régulièrement devant les collégiens et lycéens d’Ille-et-Vilaine. Comme lors des résultats du concours national de la résistance et de la déportation. Il y a quelques mois, elle avait une nouvelle fois témoigné devant ces jeunes. Voici son récit.

« Je suis juive, née en Hongrie, j’avais 16 ans quand j’ai été déportée de ce pays avec ma famille. Je suis une des rares survivantes parmi les juifs hongrois.
Après les camps, au-delà de toute la culpabilité d’avoir survécu, au-delà de toutes les peurs, toutes les angoisses de me trouver toute seule face à la vie, je rêvais de restaurer la dignité de l’homme là où son humanité a été bafouée, asservie, anéantie.
Parler et écrire, pour moi, sont une véritable épreuve. Mais je ne peux me dérober. J’ai derrière moi des milliers qui m’aident… J’obéis non pas à un devoir de mémoire mais à une fidélité à la mémoire de ceux qui ont disparu devant mes yeux, uniquement parce qu’ils étaient juifs.

« Tu dois vivre pour témoigner »

Il m’est revenu qu’à Birkenau, une mourante m’avait fait signe, ouvrant sa main qui contenait quatre petits bouts de pain. Elle m’avait dit : tu es jeune, tu dois vivre pour témoigner, pour ce qui se passe ici. Tu dois le dire pour que ça n’arrive plus jamais dans l’humanité.
J’ai oublié ce message pendant trente ans. Jusqu’au jour où j’ai lu dans une revue le mensonge de Darquier de Pellepoix, celui qui déportait les Juifs français, qui osait dire « qu’à Auschwitz, on n’avait gazé que des poux ».
« Cela m’a révoltée. La question est devenue pour moi : comment témoigner, comment transmettre une mémoire douloureuse de façon à mobiliser chez chacun un appel à la vie.

« Je ne me sens plus victime de la Shoah »

J’ai senti que ma mémoire était restée longtemps sous l’emprise des bourreaux nazis. Elle ne pouvait être libérée que par un travail sur moi en reconnaissant, en revivant les blessures absorbées par ma peau. Ce chemin de pacification vers ma vie me permet de me dégager d’un poids immense, de me restituer à mon histoire personnelle, à mon identité.
Aujourd’hui, je ne me sens plus victime de la Shoah, mais un témoin de la Shoah. Si je me sentais victime de la Shoah, je revendiquerais ma vie, au lieu de la vivre. Comment pourrais-je prendre ma place de témoin sans consentir à ce chemin ?

« J’ai une immense confiance en tous ces jeunes »

Je me sens une immense responsabilité quand je suis face aux jeunes. La foi dans la vie inspire toutes mes interventions. J’ai une immense confiance en tous ces jeunes. Ils sont magnifiques nos enfants ! Je le ressens plein d’attente, plein de présence, de sensibilité et d’ouverture. Ils posent des questions très profondes, ils sont habités d’une richesse personnelle qui m’émerveille.
Je les invite à changer leur regard sur eux-mêmes, avoir confiance en eux-mêmes. Je leur dis : quand vous êtes témoins d’une situation que vous ressentez comme inacceptable, comme humainement injuste, faites-vous confiance. Discernez, choisissez et devenez responsables de votre choix.

« Retrouvez l’espérance en l’humanité de l’Homme »

Transformez l’indifférence et l’ignorance en connaissance ! Combien, nous autres adultes, avons à changer notre regard sur eux. Je vous propose de les prendre là où ils sont, et non pas là où nous voudrions qu’ils soient. J’ai une foi immense en leur devenir.
Il nous reste maintenant à imaginer ensemble comment œuvrer, comment cultiver de vrais liens, avec moins de peurs, pour retrouver en nous l’espérance en l’humanité de l’Homme, et devenir des témoins vigilants, aujourd’hui, là où nous sommes. Demain dépend de chacun de nous. »








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