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Rosa Luxemburg... Depuis ma prison ...
« Au milieu des ténèbres, je souris à la vie…
Alors, je cherche une raison à cette joie…
Je crois que la vie elle-même est l'unique secret.
Et la vie chante aussi dans le sable qui crisse
sous les pas lents et lourds de la sentinelle…
« En réalité, je traverse actuellement une passe assez dure…
la moindre bagatelle m’irrite douloureusement.
En effet, dans cinq jours il y aura huit mois pleins de ma deuxième année de solitude.
Ensuite, sûrement comme l’an dernier, la vie reprendra ses droits,
d’autant qu’on s’approche du printemps.
Du reste, tout serait bien plus facile à supporter,
si je n’oubliais pas la loi fondamentale que je me suis fixée comme règle de vie :
être bon, voilà le principal ! Être bon tout simplement.
Voilà qui englobe tout et qui vaut mieux que toute l’intelligence
et la prétention d’avoir raison… »
« Chérie, ne sois pas abattue,
ne vis pas comme une petite grenouille terrorisée.
Regarde, nous avons à présent – du moins ici – des journées de printemps
si splendides et douces,
les soirées sont tellement belles avec cette lune argentée.
Je ne m'en lasse pas quand dans l'obscurité je fais ma promenade dans la cour de la prison
(je sors exprès le soir, pour ne plus voir les murs et ce qui est autour).
Lis quelque chose de beau !
As-tu de bons livres en ce moment ?
Écris-moi ce que tu lis, je t'en prie, je t'en enverrai peut-être,
ou au moins, te conseillerai quelque chose de beau qui revigore. »
« Ici, le lilas a déjà fleuri, il s'est ouvert aujourd'hui ;
il fait si chaud que j'ai dû mettre ma plus légère robe de mousseline.
Aujourd’hui, nous avons encore eu une journée d’une beauté inconcevable.
Une seule chose me fait souffrir : devoir profiter seule de tant de beauté.
Je voudrais crier par-dessus le mur :
je vous en prie, faites attention à ce jour somptueux !
N’oubliez pas, même si vous êtes occupés,
même si vous traversez la cour à la hâte, absorbés par vos tâches urgentes,
n’oubliez pas de lever la tête un instant
et de jeter un œil à ces immenses nuages argentés
et au paisible océan bleu dans lequel ils nagent.
Faites attention à cet air plein de la respiration passionnée des dernières fleurs de tilleul,
à l’éclat et la splendeur de cette journée,
parce que ce jour ne reviendra jamais, jamais !
Il vous est donné comme une rose ouverte à vos pieds,
qui attend que vous la preniez, et la pressiez contre vos lèvres ».
« Ma chère Sonitschka, Il y a tant d'insouciance dans ces nuages qui passent,
comme un sourire indifférent, que je n'ai pu m'empêcher de sourire moi aussi,
car je suis toujours en accord avec le rythme de vie qui m'entoure.
Devant un tel ciel, comment pourrait-on être méchant ou mesquin ?
N'oubliez jamais de regarder autour de vous,
vous y trouverez toujours une raison d'être indulgente. »
Rosa Luxemburg, forteresse de Wroncke, assassinée en janvier 1919
Rosa, la vie : Lettres de Rosa Luxemburg, Textes choisis par Anouk Grinberg
Editions de l’Atelier, 2009
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