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mardi 30 septembre 2008









Aucun poème qui n’aime la lenteur,
Qui ne nous invite à ralentir
Extrêmement l’allure,

A rentrer à l’intérieur du mot
Et même de chaque lettre,

A se laisser glisser
Dans la main qui efface
A mesure qu’elle écrit,

A sentir qu’il est là question
De délivrance et de secret,

Que nul ne peut entrer
S’il ne porte l’anneau de fête,

S’il n’a déjà revêtu l’habit qui sied
A ces noces dans la nuit.





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lundi 29 septembre 2008









Debout devant ton écritoire
Tu imites l’arbre en son poème.

Tu lui laisses tout le temps
De creuser la verticale
Entre le ciel et lui.

Tu cherches à te laisser glisser
Au puits sans fond
De ses silences.

Tu captes les étoiles bohémiennes
Qu’étrangement le jour efface.

Même la nuit tu te tiens là
Etendu dans l’axe du soleil.





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dimanche 28 septembre 2008





Les arbres porteront
Le deuil des conquêtes

Georges Schéhadé






Arbre,
Enseigne-nous
La liberté du simple !

Toi qui ne sais marcher,
Apprends-nous donc la joie
De tes secrets lignages,

La compagnie du vent,
L’escale buissonnière
De tes rêves nomades,

La force qui te fait tenir,
La symphonie du temps
Qui souffle dans tes veines,

Enseigne-nous l’espace
Délivré de ton chant !







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mercredi 24 septembre 2008








Tu collectionnes les traces
De cet espace à peine cernable
Où tu progresses.

Tu connais ses ombres taciturnes,
Ses tranchées de lumière.

Le lieu de ton combat est situé
Aux périphéries d’un monde
Où gagner ne compte plus :

Seul aimer enracine !





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C’est lorsque le temps converge
Que tu éprouves le plus
L’intraitable douceur.

Tu cherches inlassablement
L’impossible passage,

Ou plutôt quelque chose en toi
Le cherche
Que tu ne sais nommer.

Tu te tiens impassible
Sur le parvis des mots,
Célébrant leur grandeur

Tandis que l’enfantin sourire de l’ange
Fait soudain ruisseler la pierre.





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mardi 23 septembre 2008









Le jour où j’ai accepté
De me tenir debout, sans bouger,
Contemplant le mouvement immobile,
Le poème s’est imposé à moi
Dans sa forme la plus dépliée,
La plus simple,
La plus silencieuse,
La plus dépouillée.

Je n’avais qu’à recueillir
L’instant ténébreux
Jaillissant de sa source.

Nul sommeil n’inquiétait
L’ardente présence,

Nulle faim n’épuisait
La pulpe de l’attente,

Au centre de l’absence,
Précis,
Le soleil tournoyait.





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lundi 22 septembre 2008









A peine le vent a-t-il trempé ses doigts
Dans l’eau fraîche des nuits
Que partout déjà, ça et là
Les ramures flambent !

Tu n’as pas ton pareil
Pour croire à ces noces irréelles
De l’âme et des saisons.

Mais cette fois,
Tu dois te rendre à l’évidence :
Tu n’es pas seul à te fier à l’infime,
Au presque rien !

Cette année, le ciel a des clartés natives ;
Pas un arbre qui ne veuille célébrer,
Pas un qui ne communie,
Une torche brandie à l’horizon.





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samedi 20 septembre 2008









La langue
Dont tu voudrais percer les secrets
Est langée dans le terreau
De ton enfance

Nourrie de milliers de feuilles mortes
D’où jaillit la flamme pure,
Inconsolée.

Cire malléable
Protégeant la mèche incandescente,
Elle extrait ses lettres étincelles
De leur gangue de nuit,

Souriant tel un nouveau-né
Tendant ses bras de lune
Jusqu’à la cime.





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vendredi 19 septembre 2008









Ah ! Si tu savais te promener
Avec aisance dans la forêt des mots,
Attentif aux moindres chants d’oiseaux,

S’il te suffisait de choisir l’ocre
Ou le gris ou le rouge ou le feu,
Sur la palette des couleurs,

Si le ciel n’avait pour toi aucun secret,
Qu’il s’embrase dans l’océan des blés
Ou bien qu’il tienne en laisse les nuages,

Si tu reconnaissais entre tous
L’encens qui monte d’un vieux livre,
Le soleil épars sur la page,
Les tâches de rousseur de la joie,

Le poème naîtrait de cet abandon même
Tu lâcherais les rênes,
Sûr d’un visage étoilant l’absence,
Lumière visible tout au long du chemin.





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jeudi 18 septembre 2008









Tu n’as pas encore épuisé
Les sources sacrées de ton enfance.

Il te reste encore des sentiers de nuit,
Des villes de lumière à explorer,
Des pays d’écorce brute au soleil gravé
Où tu n’es pas encore allé.

Tu creuses chaque jour
Pour extraire le minerai béni
Que tu lances à l’orient du jour
Du bout de tes doigts calcinés.

Tu n’as rien d’autre à conquérir
Qu’une terre en toi disparue
Dont l’encens brûle encore
Au sanctuaire de tes racines.





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mercredi 17 septembre 2008









La Bretagne ne fut terre sacrée
Que pour ceux-là qui la quittèrent.


Il faut avoir pleuré longtemps ses morts
Pour les retrouver un jour,
Dans le vol simple d’une aigrette
Le fil ténu du Poème.

C’est vers tous ceux qui portent,
Rose écarlate fichée au cœur,
Leur pays de sel, de lumière,
Que l’écriture t’emporte.

Il faut bien être d’un sol, d’une terre
Pour sentir battre en soi
Les pulsations de l’univers.





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mardi 16 septembre 2008










Ceux des tiens
Qui sont allés au-devant des autres
Croyant les convertir,
Croyant les dominer,
Comment leur jetterais-tu la pierre ?

Ils habitaient un monde
Sûr de posséder les siècles,

Ils ne savaient pas que la terre est ronde
Ils ignoraient la courbe même
De leurs pensées,
L’épaisseur de l’univers.

Depuis que tu as appris à respecter,
Petit homme ignorant des autres
Et de toi-même,

Depuis que tu as commencé à percevoir
La singularité de toute parole
Et de tout visage,

Tu marches au gré du temps
Avec en toi cet axe de lumière,

Que tu reconnais aussi,
Filigrane absolu,
En tout homme, ton frère.

Il t’arrive même quelquefois
D’entendre des morceaux entiers
De la partition sublime,
Pauvre petit musicien bohème,

Toi dont les maîtres avaient cru un temps
Réduire à quelques notes orgueilleuses
Le chant immense qui monte de la terre.





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lundi 15 septembre 2008









Tu acceptes, jour après jour,
De n’être plus que ce temple assiégé,
Cette voile déchirée
Qu’aucun vent ne saurait soumettre.

L’amphore que l’on confiait au marin,
L’outre qui gardait nos pèlerinages,
Ont volé en éclat,
Reposent sur le fond des mers.

Il ne faut plus compter
Que sur le jour qui vient.

Tes amis n’ont pas encore perdu
Tous les refrains de leur enfance
Mais ils composent à mesure
Sur des musiques jamais entendues

Tu ne sais plus s’il y a encore
Un dedans ni un dehors.

La maison que tu habites
Est bien plus belle
Que celle dont on t’enseigna les ors !






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dimanche 14 septembre 2008




Le matin est le pays des arbres

Georges Schéhadé






A qui adresses-tu ces feuilles,
Poèmes illisibles,
Hiéroglyphes gravés
Sur la pierre de ton sommeil ?

Tu écris
Par cette obscure nécessité
Qui te fait ployer sous le vent adverse.

Tu n’as pas à vouloir,
Mais à seulement laisser les mots
Percer l’écorce de tes songes.

Tu charries des blocs de silence
Que tu présentes intacts
Sur l’autel du jour incendié.

Ta demeure est invincible :
Tu hantes les parvis de l’univers.







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samedi 13 septembre 2008









Le seul chemin praticable
Est chemin silencieux,
Incroyablement solitaire.

Tu n’auras pas raison
De ses brassées d’herbes sauvages,
Ni des rares passants
Qui te dévisagent :

Un homme avec son chien
Qui scrute ton mystère.

Tandis que les yeux clos
Tu calcules innocemment
La courbe exacte

Que de grands vols d’oiseaux
Dessinent sous tes paupières.





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vendredi 12 septembre 2008









Le ciel ajouré ne change rien
A l’obscure plainte
Des matins endormis.

Tu veilles
A l’élévation des branches,
A l’enfouissement profond
De tes racines.

Tu laisses aller sans but
La sève en une danse insouciante.

Tu déploies les secondes
En un archipel étoilé
Sur le front de tes silences.

Tu t’inclines
Comme à l’instant de la prière,
Familier de l’ardent
Sacrement de la nuit.
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jeudi 11 septembre 2008









Tu t’efforces de concentrer ton souffle
Sur ce petit morceau de terre
Qui t’est donné à cultiver.

Tu consens à ne pouvoir bêcher
Que ces quelques arpents,

Tu t’ajustes à leur rythme.

Tu fais en sorte que le sol
Ne perde jamais de vue le ciel,

Ses promesses de pluie,
d'ombres, de soleil.





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mercredi 10 septembre 2008









Tu découvres pas à pas
Que les jours ne rajoutent rien aux jours
S’ils ne simplifient pas la vie !

Que tu aurais beau durer mille ans,
Tu ne serais pas plus près pour autant
De Celui que ton cœur cherche ?

Tu apprends à entrer
Dans cette préférence
Pour le son juste et pur.

Que de voix en toi à faire taire,
Que de bruits à éclaircir,

Avant que tu n'entendes peut-être un jour
Jusqu’à la cime
Le frémissement d'un brin d'herbe

ou d'une feuille
Effleurant tes racines !





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mardi 9 septembre 2008





Dans l’épaisseur des jours
Je trouve encore la fine pointe de ta voix,
Silencieuse pourtant depuis longtemps.

Je me laisse guider
Vers le peu que j’ai compris
Lorsque le temps pour toi s’est simplifié.

Cette hécatombe blanche
D’où le chiffre a surgi
Préfigurant soudain la chute
Des derniers pétales de roses.

Qui pouvait le promettre,
Qui pouvait l’inventer,

Cet instant que nos pauvres signes
Suffisent pourtant à laisser grandir
Dans un souffle palpable d’éternité ?






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lundi 8 septembre 2008









Nous avons quitté les rives sûres,
Nous allons vers des fêtes
Plus étranges et plus belles.

Plus rien de ce que nous connaissions,
N’est digne de nous indiquer le cap.

Nous allons vers des œuvres inconnues
Où l’anneau de la nuit nous conduits.

Nous dresserons la table
En des temples incertains,
Provisoires demeures
Par des voies de traverse.

Nous n’aurons d’autre guide
Que ce chant silencieux en nous,
Et nous tiendrons nos pas
A son rythme, enlacés.





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dimanche 7 septembre 2008




Où l'esprit ne déracine plus
mais replante et soigne,
je nais.

Où commence l'enfance du peuple,
j'aime.


René Char
La Parole en archipel






Sur cette mer de roseaux,
Tu cherches un signe,
Une ouverture,
L’abord peut-être d’un seuil vainqueur ;

Mais tu dois te contenter
De l’assurance secrète
D’un pauvre arbre égaré
Qui cherche à dire en s’écartant
Peut-être seulement le vent,
La lumière qui le traversent,

Sans connaître l’alphabet,
Ni la carte des nuages,
Ni les rives inconnues,
Ni les chemins noyés,
Ni même l’horizon de ces vastes marais,

Sans savoir tout au fond
S’il y a d'autres ports !







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samedi 6 septembre 2008










Jour de tempête à St-Nazaire,
Je rentre ce soir par la Brière.

Je fais escale
Dans le petit port funambule
De l’île Fédrun.

A St-Joachim,
Je franchis le pont
Réservé aux riverains.

Je saute la barrière,
Je laisse derrière moi
Les maisons vides de l’embarcadère.

J’entre de plain-pied
Dans ce pays de biefs,
De joncs, d’astres, de chevaux,
Roulé par les averses.

Je tourne le dos aux pierres.
J’entends la voix du temps
Qui me tire en arrière.

Il souffle dans mon dos
Un vent de sable orphelin :
Est-ce sur mon épaule
Tout à coup la main d’un frère ?

Mon cœur prête l’oreille
Au pas distinct qui monte de la mer.





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vendredi 5 septembre 2008









La voix posée en toi,
Toujours sur le point d’agiter les ailes,
Et cependant tranquille
Et calme,

Prête pour le chant
Et le silence,
Assurée de son vol
Comme de son repos,

Disposée au jour ou à la nuit,
Vidée de tout savoir
Sur elle-même,

Capable aussi bien de dire
Que de taire,
Secrète et bien visible
Comme la lampe d’un visage.





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jeudi 4 septembre 2008









O ce chant silencieux,
Ces branches déployées,
A qui l’adressais-tu,
Quelle voix te répondait ?

C’était prière nue
Pleine d’écorce et de racines,
De trouées vers le ciel,
Même les nœuds chantaient !

Tu étais là présent
Sans but, sans impatience,
Sans désir de bouger,

Seul le vent calmement
Te montrait le chemin,
Ne sachant pas lui-même
La force qui l’emportait.





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mercredi 3 septembre 2008









Tu écris dans cette odeur d’humus,
Avec ce geste d’enfouissement,

Pour que le mot pourrisse
Et donne vie en même temps.

Autre est la main qui caresse l’épi,
Autre celle qui console le grain.

Mais un seul cœur palpite
A la verticale du temps.

Tu crois à la présence du germe
Que tu ne vois pas.





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mardi 2 septembre 2008









Comment, si tu n’apprivoisais
Le pauvre en toi,
Le mendiant qui te supplie d’entrer,
Franchirais-tu la porte ?

Lui, nul ne l’a jamais vu
Mais cette part en toi
En manque d’infini,
Sensible au moindre souffle,
Ouverte sur l’inconnu,

Ne porte-t-elle pas le sceau
De l’homme, ton frère,
L’empreinte de sa voix,

Ne te conduit-elle pas
Par-delà le seuil
Dans l'éclat de Son visage ?





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lundi 1 septembre 2008








Qu’un amour te précède
Comment pouvais-tu en douter,

Tourmenté par l’ombre de toi-même,
Comment pouvais-tu l'oublier ?

Mais l’inclinaison du ciel
Vers ton feuillage,
Le vent sur ton épaule lourde,

Cette grande arche étoilée,
La nuit sans un murmure
Pour t'apprivoiser,

L’eau bienfaisante des saisons,
Et ces bruissements d’ailes,
Et la douceur des nids !

Que fallait-il pour que le chant t’atteigne,
Et cette vie qui partout exultait ?










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