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mardi 31 octobre 2023

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Merci à l’ami Jean-Pierre Boulic pour sa note de lecture, que l’on pourrait aussi bien qualifier de « note d’écoute », consacrée au tout nouveau recueil empli de résonances silencieuses de Gilles Baudry, « Cette enfance à venir », illustré de splendides dessins de Nathalie Fréour.


JL 






Gilles BAUDRY

CETTE ENFANCE À VENIR
dessins de Nathalie Fréour

L’enfance des arbres, 2023, non paginé, 15 €

 

L’œuvre de Gilles Baudry est unique, à l’image de son regard sur le monde. L’écoute de sa poésie suscite et propage une profonde résonance. Les titres de ses recueils peuvent le laisser aisément deviner. Quelques mots seulement peuvent en justifier : lumière, invisible, ordinaire, silence, secret, source, présence, chant… C’est que son regard en état de veille, posé sur l’infini du fini qu’il voit ou entraperçoit, capte dans la nuance la mesure infime d’un « instant de cristal » capable de révéler un « amour sans rivage ». Et c’est bien la contemplation de la beauté à l’état naissant qu’invite le nouvel ouvrage du poète de Landévennec intitulé avec bonheur « Cette enfance à venir » dont on pressent vite qu’elle est déjà là.


Moine et poète en alerte, plus exactement en attente, même en tenue de service pour discerner et interpréter « les signes des temps » afin de suggérer une parole de vie, celle de l’enfance en son royaume : « La mort s’éteint/Derrière nous//Et devant nous/Voici l’enfance ». Une « seconde naissance » qui porte « haut l’enfant intérieur » (Judith Chavanne, citée en exergue). Mais c’est en chemin, cherchant « en soi sa vastitude » et rencontrant certes « sa petitesse » que surgit « l’instant éternel » de « L’enfance phréatique ».


Le regard du poète « dans sa jeune lumière » s’attarde sur la création : « De l’arbre apprendre la patience des racines », sur la condition humaine ; approche en complicité ces êtres demeurant quêteurs du chant (Le Wenderer – le Vagabond, le vieux poète au grand cœur), mais il le suggère toujours sous le feu de l’ « Intangible Présence » qui l’anime, même si ce n’est qu’avec « des mots titubants ». Gilles Baudry connaît bien la fragilité, l’inconstance et la souffrance des femmes et des hommes de toutes conditions et, par expérience, il sait aussi qu’à l’écoute de « la fine horlogerie du cœur » il suffit d’être là pour que « l’éternel au temps s’accorde ». Une observation surgit alors, comme un viatique : « Seul le peut qui n’a pas atténué/en lui les sortilèges de l’enfance/mais offert asile à l’Hôte incandescent ».


La méditation, plutôt la contemplation du poète s’accompagne des dessins de Nathalie Fréour. Chacun d’entre eux (28) blancs sur papier noir est un éclat qui donne à s’émerveiller d’une « seconde lumière », offrant à l’ensemble le visage d’un ouvrage d’art marqué d’un signe indélébile qui, au terme de la lecture (ou de l’écoute), fait toucher cette belle remarque de Grégoire de Nysse : « …le sens ultime de la création et de l’homme est la tendresse de Dieu ».

Saluons enfin le choix de l’éditeur de L’enfance des arbres qui propose des ouvrages que l’on ne peut fermer et qui forcent à parler. Une intuition particulièrement encourageante en ce monde habitué à tout oublier.

                                                              Jean-Pierre Boulic                              



Ce recueil peut être commandé dans toutes les librairies ou à L’enfonce des arbres, 3 place vieille ville, 56 700 Hennebont au prix de 15 € + 4 € de port. 


Photo : l’un des 28 dessins de Nathalie Fréour illustrant le recueil. 








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dimanche 29 octobre 2023

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Un vent sombre nous apporte des lointains 
Des rumeurs de guerre 
Menaçant autour de nous
Les moindres flammèches de la paix

Il nous rend vulnérables
Secoue les grands arbres de nos vies
Annonçant un hiver farouche 
Là où l’on espérait des jours dépouillés 
Ruisselants de lumière 

Où trouver confiance et réconfort
Sinon en ces terres intérieures
Qui toujours nous espèrent
Réconciliés avec leurs îles de silence ?

Nous irons ensemble d’un même pas
Au-delà de nos déroutes
Sur les grèves accordées à l’espace du dedans   
Comptant sur un éclat de générosité du ciel 
Nous accrochant aux cordages de la joie 

Nous chercherons des passages
Où l’azur à nouveau nous réponde 
Pour y planter des oasis pacifiques 
Et y guetter longtemps
Les premières lueurs de l’aube sur la mer. 



Jean Lavoué, Saint-Jacut-de-la-Mer, 28 octobre 2023
Photo JL, 28/10/23, le paysage par les fenêtres de la salle de la Hollande, abbaye de Saint-Jacut-de-la-Mer, session Habiter son espace intérieur 












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Cher José Arregi
Je suis tellement heureux de vous faire intervenir trois jours à l’abbaye de Saint-Jacut-de-la-Mer fin mai 2024. Bien sûr, je serai présent…



Qu’est-ce donc la foi si ce n’est l’assurance qui te permet de fouler le sol comme terre sacrée et de faire un pas vers ton frère? Je parle de la foi, non des croyances. Je parle de la foi, non des religions.
Lorsque je dis foi, je me réfère à cette petite flamme qui scintille sans cesse dans tous les cœurs, dans le tien également, bien que parfois tu sentes qu’elle est éteinte. 

C’est le même feu qui brûle dans le cœur de la Terre et des étoiles, des atomes et des galaxies. C’est la flamme de la Vie, et la flamme de la Vie est le Cœur de l’Univers qui bat dans chacune de tes cellules et de tes neurones.
C’est cela la foi et elle n’a rien à voir avec les religions ni avec les croyances, mais plutôt avec le battement libre et universel de la Vie. 

Telle fut la foi de Jésus, au-delà de ses croyances. Il désignait cette Vie, à la fois puissante et tendre, par le nom de «Dieu» et il l’invoquait tendrement en l’appelant abbá. C’est grâce à cette Vie qu’il se sentait heureux et libre et c’est pour sa cause qu’il risqua sa vie.
Le christianisme en tant que système de croyances, de rites et de normes morales, en tant qu’organisation hiérarchique, structure du pouvoir, en tant que réseau d’intérêts complexes, parfois même troubles... ça c’est une autre histoire. Ce n’est pas ce que prônait Jésus.
[...]

Que tu sois ou non croyant, prends soin de la foi, cette flamme profonde et secrète, car l’éclat de ton sourire et le futur de la Terre en dépendent. Prends soin du cœur de ta vie, du cœur de la Vie. Ne cesse de palpiter et de sentir. Ne cesse de respirer, de te sentir libre et de tendre la main à la Vie qui, tout près de toi, réclame ton attention.

Et les croyances ? Elles sont bonnes dans la mesure où elles te rendent meilleur et plus heureux. Elles sont bonnes si tu ne t’accroches pas trop fort à elles. Si tu t’acharnes trop à les défendre, elles finiront par t’empêcher d’être meilleur et d’être heureux.

Joxe Arregi, paru en espagnol dans « Noticias de Gipuzkoa » le 29 avril 2012, traduit par Edurne Alegria







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vendredi 27 octobre 2023

 En octobre 2016, voici juste sept ans, un petit miracle s’est produit, presque totalement ignoré par les médias : des milliers de femmes hébraïques, musulmanes et chrétiennes ont marché ensemble en Israël pour la paix.

 Dans la vidéo officielle du mouvement Women Wage Peace, la chanteuse israélienne Yael Deckelbaum chante la chanson "Prayer of the Mothers" aux côtés de femmes et de mères de toutes religions, montrant ce que la musique peut changer.  Un miracle entièrement féminin qui vaut mille mots.

 Shalom Salam Paix


 https://youtu.be/YyFM-pWdqrY



« Prayer of the mothers » : un chant mobilisateur de Yael Deckelbaum pour la marche des femmes juives et arabes unies pour la paix (2017)

 

Dans le contexte de la violence qui sévit entre israéliens et palestiniens, exacerbée par l’appareil répressif d’Israël, un mouvement s’est levé pour proclamer un esprit de paix. Ce mouvement : « Women wage peace » (Les femmes font campagne pour la paix) est apparu en 2014 à l’occasion du conflit armé à Gaza. Il a pris son essor et a réalisé en 2016 une marche pacifique qui s’est imposée par sa dynamique et sa visibilité.

Le 4 octobre 2016, ce mouvement pour la paix a commencé une marche de l’espérance qui a duré deux semaines. Pendant ces deux semaines, des milliers de femmes juives et arabes israéliennes ont marché du nord d’Israël vers Jérusalem, en réclamant un accord de paix Israël-Palestine qui serait respectueux, non violent et accepté par les deux parties. La marche a culminé le 19 octobre avec plus de 4 000 femmes réalisant une prière conjointe juive et musulmane pour la paix au Qasr el Yahud à l’extrémité nord de la Mer morte. Ce même soir, 15 000 personnes se sont rassemblées pour protester et appeler à l’action devant la résidence du Premier ministre israélien (1).

 

Un chant de marche : « The prayer of the mothers »

Cette grande manifestation a trouvé son chant de marche dans un hymne : « The prayer of the mothers » (la prière des mères). Ce chant a été réalisé par une jeune et talentueuse musicienne israélienne, Yael Deckelbaum, interprète et compositrice qui s’est engagée dans le mouvement et l’a accompagné dans son action (2). Reconnue dans son pays et à l’étranger comme une artiste d’excellence, fondatrice et membre du légendaire trio : Habanot Nechama, Yael a écrit le chant : « Prayer of the mothers » et l’a enregistré avec des responsables de « Women wage peace ». Yael a travaillé également avec Lehmah Gbowee, une femme libériane qui a reçu le prix Nobel de la paix pour sa mobilisation des femmes en faveur de la paix ayant débouché sur la fin de la seconde guerre civile au Libéria en 2003.

 

« Prayer of the mothers » est chanté dans des contextes divers et sous des formes différentes (3).

Ses paroles nous entrainent sur le chemin de la fraternité et de la paix comme en témoignent ces quelques extraits.

 

« Chuchotement du vent de l’océan

Qui souffle très loin

Le linge qui flotte

Contre l’ombre d’un mur

 

Entre le ciel et la terre

Il y a des gens qui veulent vivre en paix

Ne baisse pas les bras

Continue à rêver

De paix et de prospérité

 

Quand est-ce que les murs de la peur fondront ?

Quand retournerais-je de l’exil

Et nos portes s’ouvriront

A ce qui est vraiment bon ?

 

Les murs de la peur fondront un jour

Et je rentrerai de l’exil

Les portes s’ouvriront

A ce qui est vraiment bon

 

Du Nord au Sud

De l’Ouest à l’Est

Ecoute la prière des mères

Apporte leur la paix

 

jeudi 26 octobre 2023

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C’est dépouillés
Que nous entrerons un jour
Dans le Poème

Retrouvant sur nos chemins d’errance
Le goût de source
D’une parole

Nous reconnaîtrons
L’homme qui marche
Aux traces de son absence 

Les mains des pauvres
Porteront l’écorce
De ses silences

Nous aurons sur les lèvres 
La saveur des printemps 
À venir

Sans certitudes pour la route
Nous resterons fidèles
À la croix des saisons

La sève dans la nuit de l’arbre
Sera notre boussole
Vers l’énigme du ciel

Nous partagerons 
Avec l’aile de l’oiseau
La ferveur des grands espaces

Et les derniers signes du soleil
Seront promesses
Du matin.

Jean Lavoué, 25 octobre 2021
Photo JL 18/10/21













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mercredi 25 octobre 2023

 Pour une raison indépendante de ma volonté, le blog L'enfance des arbres s'est trouvé supprimé au cours de la journée de lundi dernier. Après diverses interventions de ma part auprès de Google et Blogger, il s'est heureusement trouvé rétabli hier matin. Merci de votre fidélité !


Jean Lavoué

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Joie de recevoir plusieurs notes de lecture d’amis poètes à propos de Passio vegetalis paru cet été aux éditions des Sources et des Livres : Alain le Beuze, texte à paraître dans Ar Men, Francoise Favre-Prinet et Claude Serreau. Je partage ici ces trois textes. 


JL






Présence des arbres

 

                                             

  Fortement impressionné par les arbres crucifiés du graveur Serge Marzin dénonçant la déforestation, Jean Lavoue s'engage dans une superbe évocation des arbres pour critiquer à son tour l'indifférence et la cruauté des hommes à leur égard. Sentinelles et témoins de nos vies écrit-il, il les  tutoie malgré le caractère aristocratique qu'il leur assigne, établissant ainsi une relation fraternelle voire fusionnelle. «Nous sommes du même souffle/ Nous sommes du même feu» poursuit-il pour appuyer ce lien. A d'autres moments il veut «devenir oiseau» ou «simple signature du vent» pour partager leur intimité et déceler leur énigmes. L'arbre lui apprend à «se tenir debout». Il lui offre une leçon d'humilité, notamment quand «Il reste digne/ au creux de son désastre». Les gravures de Serge Marzin ponctuant le livre répondent bien aux interrogations du poète et à ses préoccupations devant la nature martyrisée.

 

                                            Alain Le Beuze

 

Passio Vegetalis, Jean Lavoué, Serge Marzin,éditions Des sources et des livres,68 pages,15 €.

Aussi disponible à L’enfance des arbres, 3 place vieille ville, 56 700 Hennebont + 4 € de port. 



Je suis rentrée tard hier soir d'une escapade à Rodez, puis à Conques... Chercher la beauté, me blottir en elle, la laisser me revêtir de ce que je ne saurai jamais nommer ... Long, long silence au souffle large et remuant, bouleversant, devant les toiles et les aquarelles de Pierre Soulages, puis Conques, la pluie battante et la beauté si longuement sacrée de cette jonque de lumière qui file sans bruit vers le plus intime de mon propre mystère. 

Soulages et Bobin, eux et moi, et tous les autres... tous les silencieux ébahis de lumière, depuis une éternité qui jamais ne baissera les bras mais les ouvrira...

Dans la boîte aux lettres m'attendait ce très beau recueil, puissant, fulgurant, vos poèmes refusant les mises à mort des arbres, des âmes, un salut, un salve, un haut chant... les gravures de Serge Marzin sont bouleversantes, et ne laissent pas tranquilles.

Je vous remercie de tout coeur, je n'ai fait que commencer à le contempler, à l'écouter et je vais lui donner du temps et oui, c'est vrai, je reconnais cette levée, ce chavirement, cette impossible acceptation d'un désastre voulu par l'homme sur la Vie. Vraiment merci. Là encore la beauté vient prendre dans sa présence le plus déchiré pour un retournement inespéré.De l'envers à l'endroit, l'endroit de la Vie, l'endroit où la vie nous porte, où nous la portons aussi.


Françoise Favre-Prinet



Par un de ces heureux hasards qui naissent d'un rapprochement comme il s'en rencontre en littérature, lisant Noeuds de vie, un ouvrage posthume de Julien Gracq, attire l'attention cette affirmation, « chaque homme un arbre», alors que vient de paraître PASSIO VEGETALIS, un très explicite et fort esthétique recueil de poèmes de Jean LAVOUE aux éditions des Sources et des Livres, illustré par douze gravures de Serge Marzun, lequel, en fin de livre, explique le bonheur de cette rencontre.

L'auteur, reconnu pour avoir publié à ses propres éditions L'enfance des arbres une bonne quinzaine d'œuvres sur le thème de la fraternité des arbres marque ainsi l'inaliénable lien unissant dans un même destin l'humanité à la nature, dont on trouve déjà trace chez le berger de Virgile se reposant sous l'ombre d'un chêne ou chez Ronsard s'élevant contre les bûcherons de la forêt de Gastines... Mais l'urgence de la situation devenant une cruelle évidence, PASSIO VEGETALIS impressionne par ses poèmes d'une simplicité toute biblique dont la clarté des images interroge la sensibilité et induit une philosophie quotidienne par sa marche-démarche quant au sort que notre humaine espèce semble se préparer. Sous la symbolique de la crucifixion mise en valeur par des remarquables reproductions des tableaux gravés de Serge Marzun, c'est une suite de poèmes-étincelles que l'on pourrait qualifier de christiques tant l'arbre en devient incarné dans sa souffrance. De l'arbre à la croix y a-t-il si loin? En tout cas, à l'égal de l'homme contemporain, il sait se faire rédempteur dans son cycle terrestre: « Avec l'arbre / J'ai appris à ne plus seulement marcher / Mais à me tenir debout / Offert aux quatre vents du monde ». Pertinent interprète d'une immanente joie de vivre, Jean LAVOUE trouve en cet être végétal une raison d'espérer dans sa méditation ambulatoire: « Tu es ce compagnon / Que je n'espérais plus ....Vivant poème de ma joie ...La promesse végétale / D'un printemps insoumis » Le poète rejoint alors ces anciennes croyances qui, des druides à nos modernes écologistes, célébrant une nature véritable avenir de l'Homme, s'entendent comme une religion de survie. Et il y a certes un sens religieux avec des vers dont la clarté enrichit la générosité du combat face à l'ombre qui ne cesse de croître, mais comment ne pas être concerné... Par ces magistrales soixante pages, voici beaucoup plus qu'un « petit » livre, d'une prégnante luminosité, un opus où Jean LAVOUE donne à voir, à entendre et à sentir toute la mesure d'un grand souffle poétique ! Pour conclure, ce quatrain qui en dit long; » Arbres crucifiés / Par cet automne aux larmes rougies / Garderez-vous assez de sève / Pour traverser l'hiver » Là est bien la question !


Claude Serreau 


Saint Evarzec

ce 10-10 -2023


mardi 24 octobre 2023

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Cher François Cheng
Toujours si présent
Dans l’humble contemplation du réel
Et dans cette gratitude contagieuse…

JL





François Cheng, voix magnifique du Poème !… « En toute humilité, par l’affirmation plus exacte de ma vérité, je m’oblige à une manière de vivre au ras de l’humus, sans affichage, sans étiquette… Apprenons à apprécier, partout et toujours, les regards et les gestes où l’âme humaine, en sa meilleure part, se révèle… D’avoir été bouleversé tant de fois devant la gloire de la Création suffit à m’emplir de gratitude. Le mot qui me vient aux lèvres est : merci ! »
Deux ans avant de révéler dans son livre récent comment il s’est laissé saisir par le chant poétique - « Une longue route pour m’unir au chant français » (Albin Michel, octobre 2022)- François Cheng exprimait dans cet entretien avec François Huguenin, repris voici un an par le journal La Vie, loin de toute attache conventionnelle à une religion mais avec une vive conscience de la Présence qui se dévoile en toutes choses, cette unité profonde l’ayant conduit du Tao au Christ…
JL

« De la voie taoïste à la voie christique, il n’y eut aucun renoncement »
Par François Huguenin - publié le 20 octobre 2021 sur le site de LA VIE à 14:25

Pour François Cheng, dans l’affrontement contre le mal, personne ne peut aller plus loin que le Christ.
L'académicien François Cheng, trait d’union entre la Chine où il est né et la France, a reçu « Prier », (article publié en mars 2020) pour un entretien où il revient sur sa foi, sa conception de la beauté et l’échéance de la mort.

Vous avez reçu le baptême en 1969, mais vous ne vous déclarez ni catholique ni chrétien. Vous affirmez avoir choisi « la voie christique », qu’est-ce à dire ?

Je n’ai jamais refusé qu’on me considère comme un chrétien ou un catholique. Simplement, il y a le fait que cette appellation offre, dans l’esprit des gens, une image souvent trop conventionnelle, trop figée. Je viens de très loin. J’éprouve le besoin, vraiment vital, de cerner de plus près une compréhension et un vécu particuliers. Il n’y entre aucune recherche prétentieuse d’une singularité. Au contraire, en toute humilité, par l’affirmation plus exacte de ma vérité, je m’oblige à une manière de vivre au ras de l’humus, sans affichage, sans étiquette.

Comment conciliez-vous la voie du tao et le Christ ?

Je viens de loin, ai-je dit. Je portais en moi la vision du tao, « la voie », vision d’un univers vivant en devenir, animé par le qi, le « souffle-esprit ». Plus tard, bien plus tard, après avoir connu les extrêmes conditions humaines, lorsque j’ai entendu l’affirmation du Christ : « Je suis la voie, la vérité, la vie », j’ai reconnu là une « voie incarnée » qui donne vérité et vie à la voie taoïste qui m’habitait. De la voie taoïste à la voie christique, il n’y eut aucun renoncement ; une authentique ouverture est offerte, qui permet avancement et accomplissement. « J’ai embrassé la voie christique », voilà la formule la plus juste, en ce qui me concerne.

Vous avez dit que le Christ était « le bien absolu répondant au mal radical »…

Un jour, au sein de l’humanité écrasée par les conditions tragiques de son existence terrestre, Quelqu’un est venu accomplir l’acte absolu : affronter le mal radical au nom de l’amour absolu. Cet acte qui restituait à l’homme sa part divine était accompli une fois pour toutes ; personne ne peut aller plus loin. En effet, il ne manque pas de chefs spirituels qui exhortent au bien. Leur exhortation, faute d’être incarnée jusqu’à ces extrêmes limites, reste relative.
Par ailleurs, les rationalistes comptent sur la seule raison pour vaincre le mal. C’est ignorer la complexité de l’âme humaine. Notre cerveau régit, en plus de la raison, les deux autres entités que sont la mémoire, qui contient tous les affects, et l’imagination, qui contient toutes les pulsions. Seul l’authentique amour parvient à transcender et à transfigurer ce que l’humain porte en lui comme drame.

« L’âme est le lieu de l’unicité de la personne », dites-vous. Toute votre œuvre n’est-elle pas une écoute du battement du cœur, de la vibration de l’âme ? Est-ce que cela ne vous a pas conduit à écrire dans une langue de plus en plus sobre ?

La base et le sommet de ma création, s’il m’est permis de le dire, est la poésie. À force d’affronter l’écriture et le temps, à force d’élagage et de dépouillement, l’âme irréductible du poète parvient à ce langage essentiel que tente de définir le quatrain suivant : « Mais il reste la nuit / Où la braise en souffrance / Épure mille charbons / En unique diamant. »

La beauté est-elle une réalité de nature spirituelle ? Un antidote au mal ? Où la trouvez-vous par prédilection ?

La beauté est un signe fondamental par lequel la Création nous signifie que la vie a du sens. L’univers créé aurait pu n’être que fonctionnel ; ce n’est pas le cas. Au sein de la nature, nous allons d’instinct vers ce qu’il y a de beau. Ce faisant, au lieu de tourner aveuglément en rond, nous prenons une direction. Cette direction nous signifie que nous sommes sur un chemin où réalisation et dépassement sont possibles.
Sensation, direction, signification… ces trois qualités sont réunies par la langue française en un seul mot : sens. La beauté nous montre aussi que tout n’est pas indifférencié, que tout ne se vaut pas ; elle nous procure le sens de la valeur. À la beauté de la nature s’ajoute une beauté spécifiquement humaine : la beauté de l’âme. Apprenons à apprécier, partout et toujours, les regards et les gestes où l’âme humaine, en sa meilleure part, se révèle.

La mort qui nous attend tous est le dénuement par excellence. Comment la percevez-vous ?

Au niveau de l’existence terrestre, c’est la conscience de la mort qui suscite en nous l’élan vers la vie, qui nous pousse à vouloir créer afin de nous dépasser. C’est aussi la mort qui permet à l’ordre de la vie de se renouveler, qui donne à toute vie une chance d’accéder à la transformation, voire à la transfiguration. En réalité, la mort physique est une loi imposée par la vie même. La vie a primauté sur la mort, et non l’inverse. La vie est-elle un fruit du hasard, un épiphénomène ?
Beaucoup d’astrophysiciens s’extasient en exaltant la splendeur de l’Univers, tout en qualifiant nos existences de « poussière d’étoiles ». L’un d’entre eux, Stephen Hawking, a eu le mérite de dire : « Cet Univers, au fond, ne serait pas intéressant s’il n’y avait pas des êtres qu’on peut aimer. » L’aboutissement de la Création n’est pas l’univers physique, mais la vie, qui est l’unique aventure en devenir – la voie – dont nous faisons partie. Sans notre regard éveillé et notre cœur battant, toute la splendeur d’aurore et tout le ciel étoilé seraient vains.

Que ressentez-vous devant cette ultime échéance ?

Je porte en moi tant de deuils d’êtres chers et tant de mes propres expériences de mort… Cependant, d’avoir été bouleversé tant de fois devant la gloire de la Création suffit à m’emplir de gratitude. Le mot qui me vient aux lèvres est : merci !







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