Traduire

dimanche 29 mai 2022

 .







Nous joindrons nos mains
A celles qui nous furent berceaux,
Qui nous furent arches dans la nuit,
Croisement d’ailes et consolation,
Colombes magnifiant nos matins.

Nous ferons alliance 
Avec l’arbre du courage et de la joie
Dont elles furent en nos vies l’élan et la couronne.

Nous cueillerons avec elles le silence
Dont elles firent de leur envol un bouquet.

Nous marcherons encore longtemps
Au battement de leurs gestes mesurés
Vers l’horizon de nos naissances.

Jean Lavoué, 16 mai 2016
Photo Pixabay 
























samedi 28 mai 2022

 .




De Marioupol à Sievierodonetsk
La sombre bête grignote pas à pas
Des territoires dévastés.

Les villes laissent place aux ruines,
La vie se terre sous les bombes,
La résistance paraît anéantie.

Le ciel s’est obscurci,
Les champs de blé sont striés
De noires déchirures.

C’est tout un peuple désormais
Dont on rogne méthodiquement les ailes.

On déporte, on emprisonne, on rééduque 
On « russifie » tous ceux qui n’ont pu fuir.

La grande terreur mensongère
A planifié son dessein de mort.

C’est un pays volé, pillé, violé
Qui nous arrache des larmes de détresse.

Au loin, des millions d’exilés 
Tremblent pour toute cette tendresse saccagée.

Pourtant la grande nation ukrainienne survivra,
Blessée certes mais digne.

Elle n’est pas seule,
Avec elle bat le cœur du monde. 

Le vent de l’histoire
Soufflera toujours pour elle.

Les fleurs de tournesol
Toujours se redresseront.

On n’arrête pas le soleil !

Jean Lavoué, 27 mai 2022


















.

jeudi 26 mai 2022

 .



En ce jour où la liturgie chrétienne célèbre l’Ascension, jour d’ouverture à la promesse du Souffle - « Si je ne m’en vais pas, vous ne recevrez pas l’Esprit » Jn 16,7 - je vous partage les quelques lignes de présentation de ce livre qui est une invitation à ce que chacun trouve dans la joie la voie de sa liberté et de son accomplissement intérieurs :


« Ce que j’appelle « l’allegro spirituel », c’est cette mutation rapide amenant aujourd’hui, dans toutes les traditions, un nombre croissant de personnes à prendre leurs distances avec les formes culturelles, sociologiques et dualistes de la religion reçue. Elles s’engagent dans une quête de sens plus personnelle, fondée sur leur expérience propre : une approche plus dialogale, plus poétique et plus mystique aussi. Un nouveau paradigme qui est aussi un déplacement : le lien fécond avec les pratiques silencieuses proposées par les spiritualités orientales y est souvent évoqué. La grande mutation spirituelle qu’explorent ainsi les variations de ce livre est la reprise actualisée de mon livre « L’évangile en liberté » aujourd’hui épuisé.

 

Cette approche consonne avec le diagnostic de José Arregi : « Les religions se trouvent, à notre époque, devant un défi historique : ou bien nous consentons à transformer radicalement notre façon de comprendre et de pratiquer les religions traditionnelles, en nous laissant inspirer par l’esprit plus que par la lettre, ou bien nous nous résignons à ce que les religions  – christianisme compris – soient réduites à des bastions sociaux et culturels, jusqu’à ce que, plutôt tôt que tard, elles s’éteignent, leur legs spirituel d’origine tombant dans l’oubli. »

Jean Lavoué, extraits de l’avant-propos »


L’allegro spirituel (240 p.) disponible aux éditions L’enfance des arbres, 3 place vieille ville, 56 700 Hennebont au prix de 17 euros + 4 euros de frais de port. Ou bien à commander en librairie...


Voir sur le site le bon de commande et la liste de l’ensemble des autres titres disponibles (frais de port offerts au-delà de 35 euros de commande) : 


Éditions L'enfance des arbres







.

mardi 24 mai 2022

 .




La boussole de l’écriture
Te reste salutaire.

Grâce à elle, tu t’orientes
À l’estime des heures,

Tu composes avec les courants,
Tu te fies à l’incertain.

Tu consens à tes fragilités
En partage d’inconnu.

Tu apprivoises les nuits
Où s’entrevoit la présence.

Tu dialogues avec le silence
En des conciliabules bleus.

Tu ensoleilles de confirmations
Tes matins sans ferveur.

Quand le danger menace,
Tu prends le pouls du monde.

Depuis ta barque patiente,
Tu cueilles les coquillages familiers, 

Tu laisses une trace
Dont le sillage est ton poème.  

Tu retrouves sous l’aile de tes doigts
Tout ce que tu avais perdu,

Tu te rapproches
Des amis lointains, 

Tu te contentes d’écouter la voix
Dont la barre est souveraine.

Tu gardes au cœur
Des simplicités d’enfance,

Tu chemines avec des mots
De premiers jours. 

Jean Lavoué, 22 mai 2022






















.

samedi 21 mai 2022

 .




Difficile de rester à la hauteur
De sa fragilité consentie.

Le plus souvent on l’ignore,
On la cache,
On cherche à la masquer.

On ne veut plus entendre
Ce rappel à l’ordre.

Il faut écrire encore
Pour côtoyer les prunelles de l’espérance.

Dans les fêlures du jour
Le silence s’ensommeille.

Le temps n’épouse plus 
Ses abeilles.

L’instant écarquille
Les yeux du matin.

On cherche partout
Son soleil.

Il faut apprivoiser la nuit
Comptable de la joie.

Sans projets, on accoste
Aux rives de la confiance.

Quelques mots suffisent à révéler
Le soleil de l’âme.

Il est un temps pour lire,
Un autre pour goûter au miel de la Présence.

Le souffle seul ponctue
La grâce des heures redonnées. 

Jean Lavoué, 18 mai 202
Photo : Jackie Fourmiès 



















.

vendredi 20 mai 2022

 .






Voici une belle méditation sur l’art comme ressource spirituelle essentielle dans nos vies exposées à toutes sortes d'épreuves. Christiane Bascou est présidente de l’association du Parvis. 


DE L’ART COMME INFORMATION


Par Christiane Bascou


Durant toute mon enfance, j’ai vu mon père, chaque année en février, offrir à ma mère la plus belle branche en fleurs de son amandier, une merveille de blanc, de rose et de parfum. Il comptait la moindre amande le reste du temps, mais ce jour-là repoussait la productivité au deuxième rang.


Ce changement de point de vue sur les priorités du monde, on le retrouve quand, sur un ciel d’orage, un arc-en-ciel fait jaillir à nos yeux les couleurs, à notre ventre une impression de plénitude, à notre cœur le sentiment d’une harmonie possible entre terre et ciel, eau et feu du soleil, à notre cerveau l’idée d’un pont aux formes géométriques parfaites : pas étonnant qu’il soit signe universel, « Alliance de toujours qui passe entre Dieu et toute vie sur la terre » (Genèse 9,16).


Le contact avec la beauté perçue met en prise avec l’essentiel : notre appartenance au monde, à l’humanité qui partage la même expérience, au mystère du cosmos, à celui du divin. L’imagination créatrice procède de la même façon. Sous toutes les formes visuelles, sonores et corporelles du choc esthétique, l’art s’adresse directement et simultanément à toutes les zones de contact humain. Le cœur et les tripes, bourrés de neurones [1], véritables petits cerveaux annexes, réagissent immédiatement, puis l’information passe au cerveau, qui va enrichir le choc sensoriel et émotionnel de ramifications symboliques, de sens, de nouvelles questions ! Parce qu’il stimule ces zones de façon libre, sans être limité par la logique ou le contexte, l’art ouvre les champs du possible, fait accéder directement à un niveau autre de compréhension et, forcément, change le regard sur les choses, la nature, les êtres.


Les artistes, à la sensibilité exacerbée, réceptifs aux signaux invisibles du monde, n’existent que dans le partage de cette connaissance originale de la réalité. Ils et elles sont des antennes vivantes et vibrantes, des capteurs-émetteurs. Ils transmettent en mode court-circuit une information sur les nuances subtiles de notre présence au monde : aspirations ou souffrances, beautés, laideurs et déchirures, que la plupart des gens traversent ou subissent sans les voir ou sans pouvoir les exprimer. La rencontre de l’autre à travers l’œuvre va servir de révélateur, donner un moyen d’expression, une forme, un goût, une voix, une dynamique à l’essentiel refoulé de la vie humaine.


L’information donnée par l’art est donc par essence toujours déstabilisante, voire subversive. En dévoilant, en reconnectant différemment, elle provoque « la rupture d’une relation antérieure entre un homme et le monde » [2], par simple mise en présence ! Et comme il touche à tous les domaines (matériel, passionnel, politique, spirituel, sacré) sans entraves, cette liberté le rend dangereux, explosif, révolutionnaire. Pas étonnant que les artistes soient parmi les premiers éliminés en temps de dictature et de pensée unique.


S’il perd sa subversivité, qu’il rentre dans le rang par censure, conformisme ou médiocrité, l’art n’est plus. Par contre, libre, touchant au cœur de l’universel, il peut traverser l’espace et le temps, comme les « Vénus » du fond des âges, icônes de créativité généreuse, ou comme le Champ de blé aux corbeaux de Van Gogh. À son origine, il suintait l’angoisse existentielle. Aujourd’hui, il parle de guerre, de prédation sur l’Ukraine et de routes d’exil, de spéculation financière sur le blé, de menace sur la planète et le vivant, de l’angoisse des chemins à prendre, mais aussi de vie toujours en mouvement, de chemins ouverts malgré les orages, d’éclaircies futures et d’espoir.


À bien y réfléchir, le fait que, pendant la période de Covid, tout le pan culturel, artistique, « spirituel » de la vie ait été considéré officiellement comme « non essentiel », tandis que caves et commerces de « spiritueux » restaient largement ouverts, dénote soit une méconnaissance crasse, soit un mépris délibéré des besoins profonds de notre humanité, ce qui n’est pas de bon augure quant à la qualité de notre société. On regrette les Malraux et Jack Lang, qui ne confondaient pas non-rentable et essentiel. Heureusement, les artistes ont continué à éclairer ou à faire éclater nos solitudes, même avec de simples chansons comme celles de HK, « Dis-leur que l’on s’aime, dis-leur que l’on sème » [3].


Rendant compte au passage de l’utilité vitale du lien social et culturel, de l’accès salutaire à la nature et à la beauté, l’art nous rappelle toujours que nous sommes pétris d’argile, d’énergie, d’intériorité, de transcendance, que nous sommes poussière d’étoiles.


Notes :

[1] Le système nerveux entérique (de l’intestin) concentre jusqu’à 80 % des cellules du système immunitaire. Produisant la sérotonine à 95 %, il est responsable de nos états d’âme et constituerait la matrice biologique de l’inconscient. Il véhicule à 80 % des informations dans le sens intestin-cerveau. Le système nerveux du cœur, relié au cerveau comme celui des intestins par le nerf vague, est riche de quelque 40 000 neurones et son champ électromagnétique est 5000 fois plus puissant que celui du cerveau (source : Wikipedia).

 [2] Citation d’André Malraux.

 [3] HK, L’épicerie des poètes.


Source : Dossier « S’informer et informer », Les réseaux des Parvis n°110-11, p. 16








.

mercredi 18 mai 2022

 .






Tu tisses sur le fil de la nuit
Des mots improbables

Tu écoutes le murmure 
À la lisière des vagues 

Tu sens si fragile
Le jour qui vient 

Tu ramènes de tes pêches silencieuses
Les galets de la joie  



Dans leurs matins vulnérables
Tes amis te parlent au loin

Ils savent bien que le bonheur 
Habite ainsi les heures précaires 

Vos échanges sont devenus
De longs conciliabules invisibles

Vous côtoyez ensemble
L’éternité des mondes

Vous éprouvez de la tendresse
Pour ces limites que vous frôlez 



Vous êtes devenus
Familiers de l’instant 

Même la mort
N’aura prise sur lui.


Jean Lavoué, 14 mai 2022
Photo Pixabay















.

mardi 17 mai 2022

 .




Si d’aventure un jour
Le souffle vient à manquer
Choisis-toi un cours d'eau,
Un fleuve, une rivière :
Peuple-la de grands arbres
Épris de vent, d’oiseaux. 

Arpente ses sentiers,
Ses sous-bois, ses halages !
Apprivoise ses clartés,
Ses méandres, ses silences :
Déchiffre l'inconnue,
Cherche son nom secret. 

Trouve-toi des amis,
Des compagnons de route,
Des passants du soleil
Qui savent s'arrêter
Sans mesurer leur temps
Et puis te laissent aller. 

Ne compte pas tes pas,
Ne calcule pas les heures :
Fais confiance aux courants,
Laisse-toi respirer ! 

Jean Lavoué, 2017
Photo JL Le Blavet, printemps 2021












.

dimanche 15 mai 2022

 .



En ce jour honorant la mémoire de Charles de Foucauld, je retrouve ce texte publié en 2012 dans le livre « Christ Blues, Stèles pour Xavier Grall » : l’occasion de partager à nouveau ce récit témoignant d’une présence intime dans les racines de mon arbre généalogique…

Charles de Foucauld, compagnon de l'impossible !

De passage à Paris en ce bel après-midi ensoleillé de septembre, disponible, je me laisse guider par l'intuition. Une librairie comme on aime en trouver, où tous les titres font signe. Je saisis machinalement le volumineux recueil des correspondances sahariennes de Charles de Foucauld[1]. Est-ce le miroitement des dunes à l'infini sur la couverture. Est-ce l'homme bleu qui s'avance ? Est-ce le rayon de soleil qui a tourné la page ? Je tombe sur une notice consacrée au Père Richard. Je n'en crois pas mes yeux : Pierre Richard est mon grand-oncle qui a passé l'essentiel de sa courte vie en Algérie, comme Père Blanc.

A t-il rencontré Charles de Foucauld ? Depuis longtemps je me pose la question : les dates coïncident ; les lieux. N'a t-il pas vécu plusieurs années dans le Sud Algérien : à El Goléa, là-même où est enterré le Père de Foucauld ? Mais dans ce livre, tout à coup, plus qu'une confirmation, une bénédiction ! Un signe éclatant de la grande communion qui nous devance.

« Pierre Richard, né à Rennes » Il doit y avoir une erreur ! Peut- être s'agit-il d'un autre ? Le doute me traverse un instant. Mais rapprochant la courte biographie de celle que je connais de mon grand-oncle, l'évidence me saute aux yeux : c'est bien lui. Il y a quelques années j'avais obtenu de l'archiviste des Pères Blancs à Rome quelques repères sur sa vie missionnaire. Il était bien né dans le diocèse de Rennes, mais à Hirel précisément, dans le nord de l'Ille et Vilaine. Sa mère, très tôt veuve de son père, se remarie, épousant mon arrière grand-père. Pierre sera élevé avec ses demi- frères et sœur : mon grand-père, son frère qui mourra à la guerre 14-18 et sa sœur, « Pierre Célestin » en religion. Je vois encore son visage illuminé, son sourire malicieux sous la cornette, enchanter nos rencontres familiales du seuil de ses 90 printemps. Je devine aujourd'hui d'où rayonnait son cœur ! Pierre, le demi-frère bien-aimé qui depuis si longtemps déjà avait rejoint son ciel intérieur : Pierre Célestin !

Enthousiaste, j'achète le livre comme une correspondance longtemps restée secrète, tout à coup à moi seul adressée. Il y est précisé qu'aucune des lettres échangées entre Charles de Foucauld et Pierre Richard n'a été conservée. Cette phrase, présupposant que ces lettres ont existé suffit pourtant à mon bonheur. Glanée au fil des pages, surgit alors toute une part de la vie cachée de ce grand-oncle dont le portrait ornait le mur blanchi à la chaux de la ferme familiale. Une révélation pour moi qui pressentait combien il avait pu être brûlé par la proximité et peut-être même par la rencontre de cet être qui avait franchi la ligne. Une vague rumeur familiale alléguait ce voisinage avec Charles de Foucauld. Or il s'agissait de bien plus que cela. J'en avais désormais la preuve écrite, attestée.

Charles de Foucauld et Pierre Richard s'étaient longuement rencontrés les 4 et 5 novembre 1904. A cette époque Charles de Foucauld rêvait de trouver un compagnon qu'il emmènerait avec lui dans le grand sud saharien. Leur dialogue avait porté sur ce projet. Toutefois aucune décision ne fut prise alors : Charles de Foucauld sent le Père Richard bien trop ancré encore dans son projet missionnaire ; il veut transmettre la foi par le ministère de la parole, alors que lui ne pense qu'à l'enfouissement dans le silence et la prière. Il l'écrit dans une lettre du 2 janvier 1905 au Père Guérin, Supérieur du Père Richard : « Le bon Père Richard m'a longuement parlé - avec grande simplicité et ouverture - en saint homme. Bien des choses lui vont dans ma vie, mais il se regarde comme ayant surtout la vocation de la parole. Je lui ai dit que, dans ces conditions je l'engageais à ne pas venir avec moi. La vie des Petits Frères du Sacré-Cœur de Jésus s'offre à ceux que Dieu appelle à mener la vie cachée de Jésus, sa vie d'obscurité et de silence. » Quelques mois plus tard, le 6 mai 1905, il revient sur cette appréciation. Il attribue à Pierre Richard un nom de code : Gérard. C'est ainsi qu'il nommera par la suite tout possible compagnon : « J'ai refusé en janvier l'offre de notre cher Gérard. Je crois que désormais il y a lieu de l'accepter : à une condition, c'est qu'il vienne comme mon jardinier... Je le ramènerai ou le ferai venir comme mon jardinier-sacristain-serviteur-auxiliaire, soit à Beni-Abbès, soit bien plutôt au Hoggar où je voudrais l'installer.» Suit toute une série de recommandations pour le préparer à sa « nouvelle vie », allant des menus pour se refaire une santé, aux exercices de jardinage et d'élevage, en passant par l'étude « à force » du tamacheq, la copie de l'Evangile dans cette langue, un peu de médecine et surtout « prier JESUS : faire une bonne retraite en septembre . » Puis qu'il se tienne prêt à venir sans aucun bagage, sans nom et sans possibilité de communiquer avec sa famille : « sa nouvelle vie doit être inconnue de tous excepté ses supérieurs » Au fond, qu'il se prépare à ne pas laisser de trace…

Est-ce l'ampleur du programme et des exigences fixées par le frère Charles de Jésus ? Les supérieurs furent-ils effrayés ? Ou Pierre Richard lui-même ? Toujours est-il que cette préparation n'eut jamais lieu et que mon grand-oncle fut alors nommé supérieur de la mission d'El Goléa, aujourd'hui rebaptisée Elménia. Toute sa vie, Charles de Foucauld attendra en vain l'impossible compagnon. Mais n'avait-il pas déjà trouvé depuis longtemps le seul qui lui convienne ?

Quelques années plus tard, en 1926, vint à Ghardaïa, dernière étape avant El Goléa puis Tamanrasset et le grand sud algérien, Albert Peyriguère sur les pas duquel Xavier Grall se rendra en pèlerinage - sur le lieu de sa mission à El Khab au Maroc - un an après sa mort : Albert Peyriguère, comme Charles de Foucauld, fit du Christ son seul maître intérieur. Grall le cite à plusieurs reprises dans son œuvre. Il lui consacre même une douzaine de pages dans son roman Africa Blues. Il a beaucoup reçu de lui et de cet ancrage dans les silences du Christ dont le désert africain garde le secret : « Je vis au milieu des Berbères, écrivait le Père Peyriguère à un correspondant. Je me sens l'un d'entre eux. Et, me présentant au Maître comme l'un d'entre eux je fais monter la prière berbère. Je dis la Messe comme l'un d'eux, pour eux. Le Christ est en moi. Il est plus moi que moi-même. Je n'ai qu'à regarder au-dedans de moi- même pour le trouver. Non pas un Christ abstrait : le Christ est là maintenant, personne vivante qui veut être votre vie. Tout se réduit à se laisser consciemment au Christ, à libérer le Christ qui est déjà en nous. » Xavier Grall rend hommage dans son roman, songeant explicitement au lieu d'enfouissement du Père Peyriguère, à « ces noyaux de chrétienté vivante, à ces sanctuaires silencieux, à ces fraternités tissées dans la chair même du Christ, à ces extraordinaires ermitages africains, à ces bornes dans les déserts, à ces scandaleux abris de prière intense et de miséricorde infinie, oui à ces fragment vivants du ciel sur la terre. Le père Morel (alias Peyriguère) ne baptisait pas, il réincarnait la religion. C'était un Christ. » Voilà aussi pourquoi sans doute le Christ bleu de Grall garde aussi intensément les couleurs du ciel et du désert africains.

Le Père de Foucauld et le Père Richard se reverront à plusieurs reprises, notamment en 1908, puis à deux reprises en 1913. Après deux ans à Arris, dans les Aurès, ce dernier fut nommé en Kabylie, à Bou-Nouh, qui s'appelait à l'époque Béni-Ismaël, où il mourut le 5 janvier 1919, à 43 ans en pensant au vin chaud sucré que lui préparait autrefois sa mère, Jeanne Le Dru, dans la ferme du Pont au Vero, à La Fresnais, route de Saint Malo. Trois ans avant cette mauvaise grippe qui l'emporte, il a dû apprendre le martyre du petit frère de Jésus. J'imagine combien la nouvelle de cette mort violente a pu le bouleverser : ne l'avait-il pas laissé seul dans son ermitage de Tamanrasset, au milieu de son peuple, dans les bras de son Seigneur ?

Mon grand-oncle était un homme rude, exigeant, sans doute un peu excessif. Plusieurs témoignages l'attestent, y compris certaines lettres de ses supérieurs rapportées dans ce livre. Il était marqué par cette culture encore pionnière et conquérante des missions africaines. Mais, si j'en crois les quelques courriers qui nous ont été conservés où il s'adresse à sa mère, à ses demi-frères et sœur, conseillant mon grand-père et son frère pour le choix de leurs épouses, accompagnant ma grand-tante dans sa vocation religieuse, consolant sa mère qui n'avait pas accepté le départ de sa fille si utile à la ferme et au commerce, il parvient à assumer de loin le rôle d'un père chaleureux qui conseille, encourage, soutient ; lui dont le père puis le beau-père sont décédés depuis longtemps.

Plus d'un siècle après cette rencontre, l'Eglise honore l'un des maîtres spirituels du XXe siècle. A l'instar de St-François ouvrant, au temps de l'Europe marchande, des perspectives insoupçonnées sur la pauvreté et la simplicité évangéliques, Charles de Foucauld aura su faire du désert et du silence, à l'aube d'un siècle qui connaîtra une explosion sans pareille de la communication, un des hauts lieux de la spiritualité. Ce n'est pas pour rien que, chaque année, des dizaines de milliers de femmes et d'hommes vont, sur ses traces, y chercher l'espace qui leur parle au cœur. Depuis longtemps j'entends résonner en moi cet appel transmis par les silences de mon histoire familiale. Traversée de blessures, elle a su préserver telle une icône gardée par la flamme vacillante des bougies, dans le coin le plus retiré de la grande pièce commune, la mémoire des sacrifices joyeux et douloureux qui portèrent pour les générations à venir la trace incandescente du soleil. Comme l'assurance d'un compagnonnage secret, impossible, nécessaire.



Jean Lavoué

Photo transmise par Armelle Dutruc, archives de Félix Dubois 



[1] Charles de Foucauld, Correspondances sahariennes, Cerf, 1998.

[URL=http://www.compteur.fr][IMG]https://www.compteur.fr/6s/1/6057.gif[/IMG][/URL]