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vendredi 31 décembre 2021

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« Le temps qui m’est donné, que l’amour le prolonge »




René Guy Cadou était un homme simple qui aimait les gens simples. Dans le journal Ouest-France du 29 décembre 2021 (Édition de Châteaubriant), je découvre ce témoignage émouvant de l’une de ses élèves, Antoinette Lestrat, suivi d’une courte biographie du poète… Je suis heureux de vous les partager…

Fille du tailleur, Antoinette se souvient de son instituteur…

Seule fille à passer le certificat d’études, Antoinette a passé toute une année dans la classe de René Guy Cadou.

Photo Collection Antoinette Lestrat

Témoignage

Antoinette Lestrat a 10 ans lorsqu’un nouvel instituteur, René Guy Cadou, arrive à Louisfert, en 1945. « Nous habitions sur la place de l’église où mon père, Joseph, tenait un petit atelier de tailleur. En ce temps-là, quasiment tout le monde faisait fabriquer ses vêtements chez les artisans locaux. La pièce en terre battue était aussi la cuisine. Une petite estrade en bois servait d’espace de travail. Une ou deux ouvrières l’aidaient. Je le revois encore assis en tailleur sur une planche, qui découpait avec d’énormes ciseaux l’épais velours fréquemment utilisé alors. »

« Il était toujours habillé de velours »

La boutique est coincée entre deux cafés, dont celui de Jean Rialland, qui exerce aussi la profession de charpentier. « C’est là que René Guy Cadou prenait pension lorsqu’il est arrivé à Louisfert. Il enseignait dans une petite maison située derrière l’église. La commune comptait alors beaucoup de réfugiés, de Saint-Nazaire surtout. J’ai encore gardé des contacts avec des copines d’école de ces familles… »
Le nouvel instituteur s’intègre très vite dans le petit bourg où sa simplicité lui vaut de fidèles amitiés. « Il passait voir Victor Caridel, dans son atelier de menuiserie. Il recevait souvent des copains. Ils allaient boire le coup chez Marceline, la femme de Francis Caridel, le secrétaire de mairie, qui tenait un café épicerie. Quand il avait cueilli des champignons, il les montrait à papa, qui avait vécu près de la forêt du Gâvre. Il était toujours habillé de velours. Il portait une veste ample. Mon père lui a confectionné plusieurs de ces tenues. Il savait ce qu’il voulait. Je me rappelle aussi un beau pardessus gris en mohair fabriqué chez nous… »
Antoinette se rappelle aussi des moments cocasses, sous la neige ou à vélo. « Quand il neigeait, M. Cadou montait, avec le peu d’élèves qu’il avait ces jours-là, dans la cour de l’école des filles. Il en a fait des batailles de boules de neige avec nous ! Il a été mon instituteur pendant un an. J’étais la seule fille à préparer le certificat d’études. Nous sommes allés le passer à Issé, tous à vélo avec lui. »

Mort le jour du printemps

L’annonce de sa mort résonne encore dans son esprit. « En 1951, le jour du printemps, Victor Caridel vient nos annoncer que René Guy Cadou est décédé. On le savait malade depuis quelque temps. Un hommage lui a été rendu avant que le cercueil ne parte pour Nantes, où il est enterré. Nous étions très nombreux sur la route, devant l’école. » Quelques années plus tard Antoinette, de passage à Orléans est allée voir Hélène Cadou, à la bibliothèque de la ville, où elle travaillait. « Elle était très émue de me revoir. »

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70 ans que le poète René Guy Cadou a disparu
Considéré comme un des grands poètes du XXe siècle, René Guy Cadou a passé ses dernières années dans la région de Châteaubriant. Il est mort en 1951, à 31 ans.

L’histoire

Fils d’instituteurs, René Guy Cadou est né à Sainte-Reine-de-Bretagne, en Brière, le 15 février 1920. Il a 7 ans quand ses parents sont nommés à Saint-Nazaire, 10 ans lorsqu’ils s’installent à l’école du quai Hoche, à Nantes. Il perd sa mère en 1932, puis son père en 1940.
Après des études au lycée Clemenceau, il devient instituteur remplaçant. Pendant toute l’Occupation, il sillonne le département, à l’époque intitulé la Loire inférieure, au gré de nominations pour quelques mois. C’est ainsi qu’on le retrouve à Saint-Aubin-des-Châteaux, en 1941-1942. Mais c’est en poste à Clisson qu’il rencontre Hélène Laurent, qui deviendra sa femme, le 17 juin 1943. Il est nommé à Louisfert en 1945. C’est ici, aux côtés d’Hélène, qu’il passe ses dernières années. La maladie l’emporte à 31 ans, le 20 mars 1951.

Une œuvre écrite en quinze ans

Dès l’âge de 16 ans, au contact du libraire et poète Michel Manoll (1) (1911-1984), Cadou « entre en poésie ». C’est le début d’une longue amitié entre les deux hommes, qui participent à la création de L’école de Rochefort, un village de l’Anjou, en 1941. Celle-ci rassemble des poètes : Luc Bérimont, Jean Rousselot, Marcel Béalu, Maurice Fombeure… Ils publient des recueils de poésie et ont plaisir à se rencontrer de manière joyeuse en cette période troublée.
Le poème Automne, appris par de nombreux écoliers pendant des décennies, a vulgarisé le nom de Cadou. La nature, l’amour, l’amitié, la détresse aussi parfois, sont parmi les ingrédients de son œuvre poétique, rassemblée dans l’ouvrage Poésie, la vie entière. L’homme est tout entier imprégné de cette nécessité d’écrire. Les fusillés de Châteaubriant, Entre Louisfert et Saint-Aubin, Louisfert, sont autant de titres qui rappellent son ancrage, un temps, dans ce terroir de la Mée, qu’il appréciait.
Il a aussi publié un roman, La maison d’été, et une autobiographie, Mon enfance est à tout le monde.
Si Hélène Cadou est aussi l’autrice d’une œuvre poétique reconnue, elle a consacré sa vie à promouvoir celle de son époux. Sa carrière professionnelle terminée, elle est revenue à Louisfert pour faire vivre chaque été la maison de l’écrivain installée, à sa demande, dans la classe et le logement attenant qu’ils occupèrent durant ces années d’après-guerre. Elle s’en est allée en 2014.

(1) Il a publié une biographie de Cadou dans la collection Poètes d’aujourd’hui (Seghers).














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mercredi 29 décembre 2021

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Comment passer des jours de la naissance
À ceux de la venue d’une année nouvelle ?

Nous allons dans cet entre-deux, 
Un peu perdus par l’intensité
Des émotions qui nous traversent.

Peut-être songeons-nous à ceux qui ne sont plus là
Pour accompagner l’émerveillement des matins
Ou encore la crainte qui nous étreignait
Lorsqu’éprouvant leur fragilité, 
Nous leur adressions pourtant des vœux d’éternité.

Nous sommes ainsi faits 
Que seul ce qui dure
Demeure gravé à la pointe de notre cœur.

Et pourtant, avec leurs gestes maladroits,
Ils nous tendaient déjà le miroir d’un monde sans cesse à renaître
Dans sa précarité et son espérance.

C’est à notre tour à présent
De veiller à la puissance de cette vie qui appelle
Depuis la nuit des temps,
Et d’entrevoir son ciel dont sont tissés 
Chacun de nos jours à venir :
Cette promesse n’est-elle pas 
Ce que nous avons de mieux à offrir aux autres ?

Ne sommes-nous pas désormais les témoins privilégiés 
De ces jours fugitifs et fabuleux
Dont chaque instant est le berger fidèle ?

Seuls seront transmis ces signes d’amour
Dont toute réalité, passée, présente et à venir,
Chaque beauté consentie,
Gardent à jamais la trace étonnée
De notre passage sur cette terre.

Jean Lavoué, 28 décembre 2021 
Photo J.L. Plouhinec 4/12/21











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samedi 25 décembre 2021

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Poème pour Noël 2021 de Francine Carrillo 

Depuis le fond des siècles
l’enfant dansait avec le vent
les étoiles prenaient vie sous ses pas
tandis que ses doigts 
tressaient d’or le néant
Quand il leva les yeux
il comprit qu’il était tombé
dans un monde déserté
par les dieux
Ici pas de vent 
mais des ouragans
des abîmes de violence
mais si peu d’espérance
et partout du clinquant 
qui offense l’invisible
Il y avait surtout ces regards 
penchés en avant
qui cherchaient consolation
sur leurs écrans
Personne ne voyait l’enfant
et l’enfant était seul
parmi tous
Il aurait voulu
reprendre sa danse
mais son cœur s’était figé
C’est alors 
qu’une larme roula 
sur ses pieds
une perle dont le silence 
fit un tel vacarme
qu’enfin ils levèrent les yeux
sur l’enfant qui pleurait
Ils ne comprirent pas
ce qu’il leur arrivait
mais dans leurs regards
quelque chose d’infime
s’était levé
comme une étrange lumière 
qui en eux ouvrait une clairière

FC Noël 2021










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vendredi 24 décembre 2021

 





Dans l’hiver adouci,
Enveloppés de songe, 
Dociles à l’appel de la nuit, les arbres
Veillent à l’avènement de la lumière.

Jean Lavoué, 23 décembre 2021
Photos J.L. 23/12/21





























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mercredi 22 décembre 2021

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À Noël,
Ce n’est pas seulement un enfant qui naît
Mais c’est le monde aussi,
Dans son innocence et sa fragilité,
Sa tragédie, dans sa bonté surtout,
Sa lumière et son chant.

Cela ne survient pas seulement voici deux mille ans
Mais c’est au commencement de tout et c’est maintenant :
L’acte créateur dont, depuis la nuit des temps, 
Le cosmos entier est le fruit.

Cet enfant refera, dit-on, toutes choses nouvelles ;
Il sera incompris des maîtres des nations ;
Étranger au pouvoir des hommes,
Il sera mis à mort et pourtant,
En chaque conscience ouverte à son amour,
Sa vie triomphera.

La splendeur du monde, elle aussi,
Peut aujourd’hui être anéantie :
À chaque instant, nous en percevons davantage le risque ;
La démesure humaine, le règne de l’argent
La clouent chaque jour un peu plus sur la croix du désastre
À laquelle, le sachant ou non, le voulant ou non,
Par le moindre de nos gestes, tous, nous contribuons.

Pourrions-nous cependant célébrer la Vie
En ce Noël qui est aussi rappel du premier jour,
Offrir notre gratitude pour ce don gratuit d’un univers
Tellement plus vaste que les membres crucifiés 
De notre petite planète bleue humiliée ?
Nous en connaissons désormais l’extrême vulnérabilité.

Pourrions-nous bénir encore,
Comme en une genèse d’amour,
La magnificence de cette origine,
De cet enfantement de tout,
De cet ouvrage qui ne se reprend pas,
De cette présence à jamais donnée,
Irradiant le moindre atome et toutes les galaxies ?

Songeant à la naissance au vent des étoiles de ce petit enfant,
Pourrions-nous faire confiance
À cette puissance généreuse d’amour,
Toujours fidèle et disponible,
Qu’aucune atteinte ne décourage jamais ?

Elle est la matière même de l’univers,
C’est elle qui relève à jamais tout être et toute chose :
En serons-nous les bergers reconnaissants ?

Jean Lavoué, 21 décembre 2021

















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lundi 20 décembre 2021

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Dans ces mots labourés 
Où nous avons semés
Des graines de silence, 
Lèverons-nous un chant
D’attente et de lumière ?

La joie jaillira-t-elle
De l’heureuse naissance
Sans faste ni éclat
Accordée à la nuit,
À la voix des bergers, 
Aux semences, aux étoiles ?

Sera-t-elle promesse
De tant d’autres naissances,
Victorieuses et fragiles,
Dont nous sommes l’annonce
Dans l’infini des jours ?

Jean Lavoué, le 18 décembre 2021 
Photo Pixabay




























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samedi 18 décembre 2021

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Quelques mots de Christian Bobin à propos de Noël… c’était en décembre 2007 dans le cadre d’une interview pour le Journal La Vie :


À Noël nous arrive un nouveau-né bien particulier...


Christian Bobin : C'est difficile de parler de Noël. Je ne veux pas aller du côté de l'attendrissement, car ce penchant-là est aujourd'hui nourri, et même gavé. J'aimerais éviter les sucres et les papillotes en offrant une vision très simple du destin de ce nouveau-né : il va être notre victime, nous allons le massacrer. Mais son absence de ressentiment est si grande qu'elle a peut-être une chance de nous atteindre et de nous délivrer de nos manies d'avoir toujours raison, de notre volonté d'être sans cesse les premiers. Jésus, l'enfant le plus fragile de tous, est en même temps invulnérable. Car il a accepté cette fragilité, il en a fait la fleur de sa vie. Quand on écoute les paroles des Évangiles, elles sont étrangement simples et d'une profondeur abyssale. Comme si le Christ, cet homme de 33 ans, était à chaque fois en train de naître. Comme s'il se trouvait toujours dans l'émerveillement des premières fois, des premiers jours. Celui que nous cherchons à célébrer à Noël, c'est tout simplement la vie à son point de source : c'est un bébé infatigable.


Vous ne souhaitez donc pas que le message évangélique soit morcelé ?


Christian Bobin : Toute la vie est toujours là, entière, à chaque seconde. Les préraphaélites, ces peintres anglais du XIXe siècle, ont réalisé des tableaux du Christ enfant où se dessine l'ombre de la croix. Si nous savions regarder dans l'incroyable bleu des yeux des nouveau-nés, nous y capterions des nouvelles toutes fraîches du ciel. Nous y verrions la mort à venir, mais aussi le démenti de cette mort. Ce qui est presque insupportable et merveilleux tout à la fois, c'est la densité atomique de notre existence : chaque instant contient tous les autres. C'est la raison pour laquelle la racine de la vie est la poésie. En une seule image, un poème fait surgir de multiples réalités, le maximum de lumière en un minimum de mots. La vie n'est pas si bavarde, elle est furtive souvent, parfois même muette. Et elle jaillit soudain de manière elliptique ou énigmatique. Mais, dans cette brièveté, il y a de quoi entendre jusqu'à la fin des siècles. En ce nouveau-né qu'est le Christ à Noël, il y a non seulement les 33 ans à venir, mais aussi tout le paradis, toute la joie qui excède et lave notre maladie d'inattention.


Le cadeau de Noël qui vous rendrait heureux ?


Christian Bobin : Qu'on m'emmène devant un arbre couvert de givre... Tout simplement.


Texte transmis par Olivier de Beaulieu 

Photo de Jackie Fourmiès
















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mercredi 15 décembre 2021

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Longtemps je t’ai cru simplement revenu à la vie,
Apparaissant, il y a longtemps, dans une auberge 
Avec pour seuls témoins deux compagnons d’errance et d’infortune.
Puis je t’ai imaginé installé en des cieux
Dont le vide interstellaire n’a cessé depuis 
De se creuser à nos yeux.
J’ai bien voulu croire que tu avais un père
Et qu’il t’avait choisi pour fils,
Te faisant naître à la dure dans une étable
Avant de te laisser clouer sur une croix.
J’en suis resté longtemps à votre compagnie improbable
Qui avait pour troisième larron, disais-tu, un souffle indicible,
Un vent dont on ne savait d’où il venait, où il allait.

Mais je demeurais étranger,
Et tout le cosmos avec moi, à votre danse divine.
Vous étiez les héros fabuleux d’histoires que l’on se racontait,
Se transmettait de générations en générations,
Tandis que nos vies suivaient mal ces  admirables croyances
Très souvent extérieures, inaccessibles et lointaines.

Et puis, il m’a suffi un jour de me fier au Poème 
Et d’habiter dedans
Avec toutes les choses, les êtres, les visages,
L’amour, les joies et les souffrances des hommes et des femmes,
Les arbres, les animaux, les plantes,
Les galaxies, les étoiles
Pour comprendre que ta naissance, dans cette nudité rapportée,
C’est aussi bien en moi qu’elle se jouait
Comme en chacun de nous
Et aussi dans le moindre rocher ou l’immense océan
Offerts au vent du monde ;
Qu’il n’y avait pas d’autre corps à relever
Que celui de cette terre que nous avions souillée
Avec tout ce qu’elle contient ;
Que c’était elle dont le front depuis le premier jour
Était oint de cette huile sacrée de toutes bénédictions.

Tu n’avais fait qu’ouvrir la voie vers ce que nous avions déjà sous les yeux 
Et j’ai compris alors que tu ne naissais 
Nulle part ailleurs que dans ce réel-là
Dont nous étions tous partie-prenante, 
Que tu étais toi-même cette danse cosmique avec nous
Dont le relèvement le troisième jour avait été promis,
Non pas comme celui d’une exception, 
D’un individu hors du commun et séparé,
Mais comme celui de la création tout entière ; 
Et que c’était sur sa naissance à elle qu’il nous fallait veiller
Comme sur notre propre naissance,
Notre plus vaste secret.

Depuis ce jour, les moindres troncs dénudés,
Les prairies couvertes de brumes et de brouillard,
Les branches cassées, les feuilles mortes froissées sous mes pas,
Ce ciel bas dont s’emmitouflent les derniers feux de la forêt,
Tout ce qui se tient ici et maintenant m’émerveille…
Et tant de vies enfouies qui participent aujourd’hui encore
De ce grand mystère
D’une vie sans cesse jaillissante, redonnée.

Ainsi, je ne te nomme plus
Que par ce nom silencieux qui englobe tout
Et que chacun réinvente à son usage,
Je te célèbre en toute écorce,
En toute blessure qui portent trace de ton visage :
Que tout soit grâce en toi
Et que tout soit béni !

Jean Lavoué, La Chesnaie, le 14 décembre 2021
Photos J.L. 14/12/21
























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samedi 11 décembre 2021

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Voici quarante ans, ce 11 décembre 2021, que Xavier Grall (1930-1981) a quitté sa Bretagne bleue…
« SOLO » est l’un de ses plus beaux poèmes. Xavier Grall l’écrit peu de temps avant sa mort, comme un testament et une adresse à Dieu, une prière en sachant qu’il va mourir, et qu’il veut une dernière fois saluer tout ce qu’il a aimé de ce monde et de cette vie. Voici quelques extraits de ce poème bouleversant…

SOLO

Seigneur me voici c’est moi
je viens de petite Bretagne
mon havresac est lourd de rimes
de chagrins et de larmes
j’ai marché
Jusqu’à votre grand pays
ce fut ma foi un long voyage
trouvère
j’ai marché par les villes
et les bourgades
François Villon
dormait dans une auberge
à Montfaucon
dans les Ardennes des corbeaux
et des hêtres
Rimbaud interpellait les écluses
les canaux et les fleuves
Verlaine pleurait comme une veuve
dans un bistrot de Lorraine
Seigneur me voici c’est moi
de Bretagne suis
ma maison est à Botzulan
mes enfants mon épouse y résident
mon chien mes deux cyprès
y ont demeurance
m’accorderez vous leur recouvrance ?
Seigneur mettez vos doigts
dans mes poumons pourris
j’ai froid je suis exténué
O mon corps blanc tout ex-voté
j’ai marché
les grands chemins chantaient
dans les chapelles
les saints dansaient dans les prairies
parmi les chênes erraient les calvaires
O les pardons populaires
O ma patrie
j’ai marché
j’ai marché sur les terres bleues
et pèlerines
j’ai croisé les albatros
et les grives
mais je ne saurais dire
jusqu’aux cieux
l’exaltation des oiseaux
tant mes mots dérivent
et tant je suis malheureux

Seigneur me voici c’est moi
je viens à vous malade et nu
j’ai fermé tout livre
et tout poème
afin que ne surgisse
de mon esprit
que cela seulement
qui est ma pensée
Humble et sans apprêt
ainsi que la source primitive
avant l’abondance des pluies
et le luxe des fleurs

Seigneur me voici devant votre face
chanteur des manoirs et des haies
que vous apporterai-je
dans mes mains lasses
sinon les traces et les allées
l’âtre féal et le bruit des marées
les temps ont passé
comme l’onde sous le saule
et je ne sais plus l’âge
ni l’usage du corps
je ne sais plus que le dit
et la complainte
telle la poésie
mon âme serait-elle patiente
au bout des galantes années ?

Seigneur me voici c’est moi
de votre terre j’ai tout aimé
les mers et les saisons
et les hommes étranges
meilleurs que leurs idées
et comme la haine est difficile
les amants marchent dans la ville
souvenez-vous de la beauté humaine
dans les siècles et les cités
mais comme la peine est prochaine !

Seigneur me voici c’est moi
j’arrive de lointaine Bretagne
O ma barque belle
parmi les bleuets et les dauphins
les brumes y sont plus roses
que les toits de l’Espagne
je viens d’un pays de marins
les rêves sur les vagues
sont de jeunes rameurs
qui vont aux îles bienheureuses
de la grande mer du Nord

Je viens d’un pays musicien
liesses colères et remords
amènent les vents hurleurs
sur le clavier des ports

je viens d’un pays chrétien
ma Galilée des lacs et des ajoncs
enchante les tourterelles
dans les vallons d’avril
me voici Seigneur devant votre face
sainte et adorable
mendiant un coin de paradis
parmi les poètes de votre extrace
si maigre si nu
je prendrai si peu de place
que cette grâce
je vous supplie de l’accorder
au pauvre hère que je suis
ayez pitié Seigneur
des bardes et des bohémiennes
qui ont perdu leur vie
sur le chemin des auberges
nulle orgue grégorienne
n’a salué leur trépas
pour ceux qui meurent
dans les fossés
une feuille d’herbe dans la bouche
le cœur troué d’une vielle peine
de lourdes larmes dans le paletot
et dans les veines des lais et des rimes
Seigneur ayez pitié !

…/…

Seigneur Dieu
A mes frères et amis
Aux femmes que j’ai aimées
A tous ceux que mon cœur a croisés
Avant que d’entrer dans les ténèbres
Transmettez je vous prie mon espérance testamentaire
Nul chant nul solo
Nulle symphonie nul concerto
Qui porte nostalgie d’amour
Et soif et faim de tendresse
Ne sera perdu dans la détresse de la mer 

Voilà et puis encore ceci
Par la dernière larme
Par l’ultime halètement
Par le dernier frémissement
Par le moineau qui s’envole
Par le geai sur la branche
Par la dernière chanson
Par la joie dans la grange
Par le vent qui se lève
Par le matin qui vient
Tout simplement
Je vous rends grâce
D’avoir été dans le bondissement incroyable
De votre création
Et misérable
Oui
Tout simplement
Un être humain
Parmi les milliards et les milliards
De vos créatures

A présent que les feuilles et les mains
De douce Nature
Me closent les yeux !
Mais Seigneur Dieu
Comme la vie était jolie
En ma Bretagne bleue !"

Solo et autres poèmes »,
Editions Calligrammes, 29000 Quimper 1981









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