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lundi 31 janvier 2022

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Dans sa série hebdomadaire « Je ne serai pas arrivé là si… », le journal Le Monde consacre ce week-end un beau portait à Véronique Margron. Celle-ci a joué un rôle de premier plan, en tant que présidente de la conférence des religieux de France, autant dans la saisine que dans le suivi des préconisations de la commission Sauvé. Elle évoque notamment avec humilité dans cet entretien son enfance rude et solitaire dans un milieu familial très éloigné de la religion, puis sa profession d’éducatrice à la Protection Judiciaire de la Jeunesse (expérience que je partage avec elle pour avoir exercé également une dizaine d’années dans cette direction du Ministère de la Justice avant de rejoindre le secteur associatif de la protection de l’enfance…) Sa rencontre avec Xavier Thévenot auquel elle rend ici un vibrant hommage va orienter ensuite toute sa vie intellectuelle et ses engagements dans le domaine éthique. À l’écoute depuis longtemps de victimes d’abus, elle s’est trouvée particulièrement à sa place pour faire face avec courage et responsabilité à la question de la pédocriminalité dans l’Église catholique…

JL








Entretien

Véronique Margron : « J’ai toujours eu conscience que le désir de vivre n’allait pas de soi »

Par Solenn de Royer, Le Monde 30 janvier 2022

« Je ne serais pas arrivée là si… » Chaque semaine, « Le Monde » interroge une personnalité sur un moment décisif de sa vie. La religieuse revient sur les origines de sa vocation et sur le « choc » des révélations du rapport Sauvé sur la pédocriminalité dans l’Eglise.

Docteure en théologie morale, première femme élue doyenne d’une faculté de théologie, Véronique Margron se consacre depuis plusieurs années à l’écoute des victimes de violences sexuelles au sein de l’Eglise. Egalement présidente de la Conférence des religieux et religieuses de France et provinciale des sœurs dominicaines de la Présentation, elle a participé à la mise en place de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Eglise, présidée par Jean-Marc Sauvé, qui a remis son rapport cet automne. Visage compatissant de l’Eglise, la théologienne dénonce « la faillite » des institutions catholiques et la dimension systémique de ces crimes.

Je ne serais pas arrivée là si…
… Si je n’avais pas rencontré un immense théologien, Xavier Thévenot [1938-2004], quand j’avais 25 ans. C’est avec lui que j’ai commencé la théologie. Il était féru de sciences humaines, était un grand lecteur de Paul Ricœur et considérait que la théologie ne devait pas être un discours plaqué mais qu’il fallait d’abord se mettre à l’écoute du réel. Il nous enseignait la théologie morale en tricotant des histoires particulières, inspirées des récits de tous ceux qu’il recevait, notamment de nombreux homosexuels, pour les besoins d’une thèse, qui portait sur les homosexualités masculines. Cet homme était à la fois profondément dans l’Eglise, il était prêtre, salésien de Don Bosco [une congrégation cléricale], théologien, et à la fois sur le seuil, prêt à recevoir et écouter ceux dont la vie était malmenée. Il se trouvait à une jointure. De mon côté, je venais d’entrer dans la vie religieuse, alors que j’étais issue d’un milieu profondément agnostique, et je travaillais au ministère de la justice, avec des mineurs en danger. Il y avait une forme d’écart des mondes. Il m’a aidée à faire le trait d’union. J’ai compris que je pouvais à la fois écouter des vies bouleversées et lire saint Thomas d’Aquin. Cette rencontre a été décisive.

A quoi votre enfance a-t-elle ressemblé ?

Je suis née [en 1957] à Dakar, où j’ai grandi avec ma mère et mon frère. Une famille étroite, au sens propre. J’étais une enfant timide et solitaire. Ma mère était fonctionnaire au rectorat. Je n’ai jamais su si elle y avait rencontré mon père ou si elle l’avait rencontré avant et qu’elle l’avait ensuite suivi en Afrique. Cela fait partie des secrets de famille qu’elle a emportés avec elle. Nous sommes rentrés en 1961, un an après l’indépendance du Sénégal, avons vécu un temps à Orléans, avec mes grands-parents. Mon grand-père était ouvrier à l’usine ; ma grand-mère, couturière. Je crois que mes parents se sont séparés avant que nous rentrions d’Afrique, mais ce n’est pas très clair. Mon frère et moi ne posions pas de questions.

Quels souvenirs gardez-vous de votre père ?

Aucun. Seulement de ma mère, qui pleurait souvent. Est-ce parce qu’elle était séparée de notre père, qu’elle avait dû rentrer en France, ou est-ce parce qu’elle élevait seule deux enfants ? Je ne sais pas. Elle a passé des concours internes à la force du poignet, travaillait beaucoup, était souvent fatiguée. Ce n’était pas facile. J’ai peu de souvenirs d’amis venant à la maison. Nous vivions comme dans une bulle. A 10 ans, j’ai découvert un courrier annonçant la mort de mon père. J’ai refermé cette lettre et n’en ai jamais parlé à quiconque. Dans notre appartement, à Orléans, il n’y avait que deux chambres, une pour mon frère, une autre pour ma mère et moi. Je me souviens de nuits entières passées à la regarder dormir en me demandant ce qu’elle pensait, ressentait. Je ne comprenais pas qu’elle n’ait montré aucune émotion après avoir reçu cette lettre. Ma mère était comme un granit, impossible à pénétrer. Une femme d’un mystère absolu.

Devenue adulte, n’avez-vous jamais essayé d’en savoir plus ?

Non. Par crainte de ce qu’on trouverait, par pudeur, ou pour la protéger, même si on ne savait pas de quoi. C’était une femme très forte, digne, qui a fait face toute sa vie, mais je ne voulais pas risquer qu’elle s’effondre. Plus les années ont passé, plus c’était compliqué d’en parler. Finalement, on a respecté son silence. Peu avant 40 ans, j’ai eu besoin de m’approprier un récit et mené une enquête. J’ai retrouvé des traces de mon père. Il était représentant de commerce et avait de la famille en Haïti. Il est mort à Paris, très seul.

Comment vous êtes-vous échappée de cette atmosphère familiale pesante ?

J’ai fait beaucoup de sport, du handball. Et je partais tous les étés dans des camps de vacances à Barcelone, organisés par une association orléanaise. Un bol de liberté inouï ! Je quittais enfin mon univers étriqué. Vers 16 ans, je suis devenue monitrice, ce qui m’a forcée à sortir de moi-même. Je me suis liée avec la responsable de ces séjours linguistiques, Anna, une femme formidable, originale, drôle, nous parlions des heures entières. Elle m’a aidée à respirer, j’en avais besoin. Avec le recul, je découvrais que ma mère, mystérieuse et volontaire, aimante, pouvait aussi se montrer autoritaire et possessive. Ne plus vivre sous son regard a été une libération. Il se trouve qu’Anna était très croyante, sans faire de prosélytisme. Je ne comprenais pas mais je trouvais ça beau. Ou plutôt que ça sonnait juste.

Vous partez ensuite à Tours faire des études de psychologie.

Oui, et je voulais être autonome, donc j’ai travaillé. A l’époque, on pouvait être institutrice remplaçante avec le bac. J’ai été nommée dans des « classes de perfectionnement », avec des enfants difficiles. J’y ai passé deux ans, tout en étudiant la psycho. Puis, j’ai passé le concours de la Protection judiciaire de la jeunesse. Mon métier d’éducatrice auprès de jeunes délinquants m’a passionnée. J’ai toujours aimé essayer de comprendre l’autre et tenter de combattre la fatalité. Avec ces jeunes en échec, c’était compliqué, mais c’est ce qui me motivait. Les histoires dures ne sont pas condamnées à se reproduire !

Comment votre vocation religieuse intervient-elle ?

Pas dans une église, derrière un pilier ! Je viens d’un milieu très loin de la religion. Je n’y connaissais rien mais j’avais des amis étudiants très croyants. Un dimanche, je devais faire des photocopies. Ils m’ont emmenée chez des sœurs dominicaines qui tenaient un lycée à Tours. Ces femmes m’ont touchée. Un peu comme avec Anna, j’avais l’impression qu’elles étaient à leur juste place. Elles travaillaient, étaient insérées dans le monde, ne tenaient pas de grands discours. Et en même temps, je pressentais que c’était profondément des femmes de foi, par la qualité de leur écoute et de leur attention, leur façon simple de parler de Dieu et de ce qu’elles vivaient. Elles étaient à la fois pudiques et singulières. Je sentais aussi chez elles, et dans cette congrégation religieuse, un grand attachement à la liberté. Je les ai vues beaucoup, puis j’ai quitté Tours pour Orléans. Où, plus tard, je les ai retrouvées !

Comme cela ? Par hasard ?

Complètement ! Entre-temps, elles avaient fondé une communauté à Orléans, dans une HLM près de la gare. Je traversais un pont, et suis tombée sur l’une des sœurs, c’était incroyable ! Elle m’a invitée à revenir les voir. Je leur ai demandé de vivre un temps chez elles. Je voulais comprendre de l’intérieur ce qu’était leur vie. Voilà, au départ, il y a une rencontre fortuite : la vie ne tient parfois qu’à un fil ! Au cours des années précédentes, j’avais fait quelques séjours dans des monastères, notamment chez les bénédictins de la Pierre-qui-Vire. J’ai été saisie par le silence, la densité, il y avait quelque chose d’apaisant, de l’ordre du repos. J’y trouvais des visages bienveillants et approchais ainsi la vie religieuse, qui est une forme de simplicité, d’unification. Ces hommes étaient l’envers de la dispersion. Cela a fait écho chez moi.

Pourquoi ?

Je me posais beaucoup de questions sur le sens de l’existence. J’ai toujours eu conscience, peut-être au contact des jeunes en difficulté que je côtoyais en tant qu’éducatrice, que la vie, le désir de vivre, n’allait pas de soi, qu’il fallait qu’il soit aiguillonné, nourri. Qu’est-ce qui fait qu’on se lève tous les jours, qu’on mène des projets, qu’on fait des efforts pour réussir ? Qu’est-ce qui tient tout ça, lui donne du goût ? C’était des questions lancinantes. La rencontre de ces sœurs m’a aidée à trouver des réponses. Surtout, j’ai eu le sentiment d’être chez moi. Quand je suis partie faire mon noviciat à Tours, j’avais 23 ans.

Comment votre mère a-t-elle réagi ?

Mal. Un monde s’est écroulé. Elle qui s’était tant battue pour son autonomie, elle avait l’impression que je devenais dépendante d’autres, une régression. Nous ne nous sommes pas parlé pendant des mois. Elle est quand même venue à mes vœux, mais a pleuré sans arrêt. Mes amis éducateurs sont venus aussi. Au début, ils étaient inquiets. Ils me disaient : « Tu entres dans une secte ! » Mais, à force de venir me voir, de parler avec les sœurs, ils ont compris.
Parallèlement à votre vie chez les dominicaines, vous enseignez aussi la théologie…
J’ai fait dix ans de théologie. Et une thèse sur le sentiment de solitude. Dans la souffrance ou les grands bonheurs, il y a quelque chose qu’on ne peut pas partager totalement avec l’autre. J’ai toujours été très marquée par le récit de Job, dans la Bible, ce cri d’incompréhension devant la souffrance et le mal qui s’abat sur lui. Il y a aussi la solitude du Christ en croix. J’ai commencé à donner de nombreuses conférences sur la bioéthique, la question de la souffrance, tout en enseignant à la « Catho » d’Angers, dont j’ai été élue doyenne.

Vous êtes la première femme doyenne d’une faculté de théologie en France… Comment en êtes-vous venue à écouter les victimes de pédocriminalité ?

Mon maître en théologie, Xavier Thévenot, qui était atteint de la maladie de Parkinson, a commencé à m’adresser des gens à recevoir et à écouter. Certains demandaient juste un accompagnement spirituel. D’autres n’allaient vraiment pas bien. J’ai reçu de nombreuses victimes d’inceste. Mais aussi des victimes de prêtres. Pour moi, ces gens avaient été victimes de salopards. Je ne faisais pas de lien avec l’Eglise. Ce n’est que plus tard que j’ai compris la dimension systémique de ces crimes, l’institution s’en était rendue complice.

Vous avez toujours reçu de nombreuses victimes. Est-ce lié, selon vous, au fait d’être une femme ?

Je ne sais pas. Peut-être y aurait-il eu plus de défiance avec un homme. J’ai surtout reçu de nombreuses victimes qui n’avaient été écoutées par personne. Elles avaient frappé à je ne sais combien de portes de religieux, d’évêques, de prêtres… En vain. Je crois que les femmes doivent prendre toute leur place dans l’Eglise, qui doit sortir de l’entre-soi. Car plus il y a d’entre-soi (qui plus est, masculin, célibataire, religieux ou prêtre, soit le sommet de l’entre-soi !), plus il y a des risques d’abus.

Cette expérience d’écoute vous a-t-elle changée ? Essayez-vous de vous protéger ?

Je ne suis pas convaincue qu’il faille se protéger. Ma règle d’or, c’est tenter d’écouter jusqu’au plus loin du possible. Devant ces récits, vous vous sentez minuscule. Beaucoup pensent qu’on ne va pas supporter, se détourner… J’essaie juste d’être là, vraiment. Avec ma chair, dans mon humanité. Cela participe de la reconnaissance du mal commis, du mal subi. La confrontation à une telle barbarie lamine de l’intérieur. J’aimerais en sortir indemne physiquement, mais c’est impossible : ce n’est pas grand-chose par rapport à ce que traversent les victimes. C’est bouleversant de constater à quel point le mal s’insinue, s’inscrit profondément, et fait des ravages, quel que soit l’âge. J’ai écouté une religieuse de 100 ans, qui avait été victime d’un prêtre à 9 ans : elle se souvenait encore de l’odeur de son agresseur…

Quel rôle avez-vous joué dans la constitution de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Eglise, la Ciase ?

En 2014, les sœurs m’ont élue provinciale, c’est-à-dire responsable de notre congrégation en France. J’ai changé de vie, suis venue à Paris. Puis, en 2016, j’ai été élue présidente de la Conférence des religieux et religieuses de France (Corref). Nous étions alors en plein procès du père Preynat, et assistions à la montée en puissance de l’association La Parole libérée, qui a brisé l’omerta sur les abus sexuels dans l’Eglise. En tant que présidente de la Corref, de nombreux témoignages de personnes ayant été victimes d’un religieux m’étaient envoyés, en copie. Ils étaient d’abord adressés à des responsables d’Eglise. Le nombre de courriers reçus m’a étonnée, et il y en avait de plus en plus. Devant l’ampleur du phénomène, j’ai senti que nous n’allions pas réussir à faire face, que quelque chose de trop lourd s’annonçait. Nous avions besoin de comprendre ce qui se passait et surtout de répondre avec justesse aux victimes. C’est comme cela que l’idée d’une commission indépendante, présidée par Jean-Marc Sauvé, est née.

Le 5 octobre, en conclusion de votre discours pour la remise du rapport de la Ciase, vous avez cité Bernanos : « L’espérance est la plus grande et la plus difficile victoire qu’un homme puisse remporter sur son âme. On ne va jusqu’à l’espérance qu’à travers la vérité, au prix de grands efforts. » Comment avez-vous réagi à ces révélations ?

La remise du rapport a été un moment très dur, un choc. Je n’avais pas de mots. Que dire, sinon éprouver un infini chagrin et une indignation absolue ? Ce rapport montrait deux désastres : celui de toutes ces vies brisées à l’intérieur de l’Eglise, et celui de nos institutions, qui ont failli à protéger les enfants, à signaler les auteurs de ces forfaits. Vertigineux ! Avoir fait dix ans de théologie, puis passé vingt ans à l’enseigner, ne pesait pas lourd face à une telle réalisation du mal commis et du mal subi. Il me restait le Livre de Job, mon compagnon de toujours, et Hannah Arendt, qui a médité sur la banalité du mal.

Comment, après cela, continuer à vivre dans l’Eglise ? Avez-vous des doutes ?

Le Christ a toujours été du côté des victimes. Mais il y a eu des moments difficiles, c’est vrai. Ecouter ces histoires si sombres, parfois inimaginables, et constater que l’institution y a été mêlée, ou n’a rien fait pour les empêcher, c’est très dur à accepter. Quoi qu’il en soit, je suis sûre d’être à ma place. Ecouter ces vies fracassées, empêchées, fait partie de ma vie, de ma foi. Il ne faut pas chercher un sens à la souffrance. Mais on peut essayer de donner un sens à ces vies qui traversent la souffrance.

 

dimanche 30 janvier 2022

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Avec tes mots indigents,  
Tu creuses la terre fertile
De ton absence.

Une à une tu déploies 
Les tiges lumineuses 
De ton silence.

Tel un navire,
Tu ignores le sillage
Que tu laisses en partant. 

Mais tu connais déjà
La transparence des îles
Qui te visitent en grand secret.

Tant de soleils disparus 
Dont l’empreinte reste en toi
Visages gravés d’avenir.

Tu confies à des voix amies
Ta quête ardente
Orientée vers la joie. 

L’écriture scelle les coups
Que tu frappes à la porte
Avant que l’on te dise d’entrer.

Jean Lavoué, 27 janvier 2022
Photos JL Blavet 20/01/22























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vendredi 28 janvier 2022

 




Rejoindre le monde
En ses écorces et son chant
Là où il ressuscite
De toute les sèves qui le traversent
Et se sentir avec lui tiré 
Vers la lumière 
Par cette main confiante
Emportant avec elle l’univers.

Retourner avec l’oiseau,
Avec le vent,
Dans la rectitude des troncs
Et la danse des cimes 
Vers cette terre promise ;
Déjà le printemps caresse
Ses premiers bourgeons 
Et nous sommes témoins
De ce jaillissement perpétuel
Dans le feu des saisons.

Nous allons dans la légèreté 
De cette plume vagabonde
Qui se pose à nos pieds
Nous certifiant que tout ce qui fut sera,
Que toute mort sera traversée
Et que nous sommes déjà,
Même à l’ombre du doute,
Les habitants de ce royaume
Dont l’annonce nous délivre.

Inutile de tourner en boucle
Nos litanies du passé,
C’est aujourd’hui même
Que la terre avec nous est sauvée :
Dans chacun de nos gestes,
Chacune de nos attentes,
Nous laissons faire le souffle
Qui nous réconcilie.

Voué à disparaître,
Tout ce qui nous entoure
Est pourtant signe
De l’infini présent.
Et nous y sommes aussi
Comme au jour de notre naissance
Qui toujours nous précède
Jusqu’à l’heure de son accomplissement.

Jean Lavoué, Le Blavet, 25 janvier 2022
Photos JL 25/02/22












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mercredi 26 janvier 2022

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En lisant cet entretien bouleversant paru dans le journal La Vie avec Edith Bruck, comment ne pas songer à mon amie Magda Hollander-Lafon et à ses « quatre petits bouts de pain » ou encore à Etty Hillesum à propos de laquelle je prépare la publication prochaine d’un beau livre d’Olivier Risser  : « Un chant de vie par-delà les barbelés ». Cet interview d’Edith Bruck est aussi, dans la traversée de l’enfer qu’il évoque, un hymne à la bonté, à l’écriture et à la poésie…
JL




Edith Bruck : « Raconter les camps, c'est une conscience morale et un devoir »

[Interview] Grande voix des survivants de la Shoah, l’auteure italienne d’origine hongroise raconte sa déportation et sa vie après les camps dans un bouleversant récit, « le Pain perdu ». Rencontre à Rome.
Marie Chaudey Hebdomadaire LA VIE Publié le 18/01/2022

Elle fut une amie intime de Primo Levi, elle est devenue une sorte d’âme sœur du pape François. Une carte de visite qui en impose. Edith Bruck a partagé avec le premier l’indicible des camps de la mort, l’écriture du témoignage et le salut par la littérature. Avec le second, ses questionnements sur Dieu, le bien et le mal, la quête de la justice. À la parution de son livre le Pain perdu, en Italie, il y a un an, le souverain pontife est sorti expressément du Vatican (un extraordinaire coup de projecteur) pour aller rendre en voisin une visite émue et fraternelle à Edith Bruck dans son appartement de la via del Babuino, à deux pas de la Trinité-des-Monts, à Rome.
C’est là qu’elle nous reçoit en toute simplicité, silhouette frêle de 89 ans mais port de tête impérial, entourée de ses livres, de ses souvenirs et de ses absents si présents : ses parents et l’un de ses frères morts à Auschwitz ; son mari, Nelo Risi, frère du célèbre cinéaste, lui-même réalisateur et poète, atteint par la maladie d’Alzheimer, décédé en 2015. Edith Bruck nous montre avec ferveur le chandelier à sept branches que François lui a offert et la dédicace chaleureuse de l’encyclique Fratelli tutti. Entre l’intellectuelle athée d’origine juive et le chef de l’Église catholique, le courant est passé, un lien s’est tissé, ils s’appellent désormais régulièrement.
François a été touché par la puissance de « la lettre à Dieu » qui clôt le Pain perdu, ce récit d’une vie, chef-d’œuvre de concision, d’une lumineuse sobriété, d’une franchise rare mais sans haine aucune, écrit comme une fable – son enfance dans un village pauvre de Hongrie ; sa déportation à 13 ans avec sa famille, sa survie à Auschwitz, Dachau, Bergen-Belsen ; son errance au sortir des camps, son arrivée à Naples puis à Rome après un décevant détour par Israël, l’adoption de l’italien comme patrie et langue d’écriture, sa vie d’intellectuelle et de témoin passeuse de mémoire, engagée pour toujours.
Depuis la publication en 1959 de Qui t’aime ainsi, Edith Bruck a refait sans relâche le chemin des camps par les mots de ses récits, fictions et poèmes, pour dessiller les yeux de ses contemporains.

Qu’est-ce qui vous permet de traverser si droite notre époque confuse ?

Écrire me rend heureuse : c’est mon oxygène et ma liberté. Et si j’écris dans la langue italienne, c’est parce qu’elle est pour moi un rempart intime face à ma langue d’origine. Le hongrois m’évoque les insultes et les offenses, puisque j’ai traversé une époque fasciste. L’italien est pour moi exempt de ces souvenirs, il n’a pas de racines aussi profondes que ma langue maternelle.
Si je dis le mot pain en hongrois, je vois le visage de ma mère, ses joues rougies au moment de mettre la pâte dans le four. Elle est heureuse car elle va pouvoir nourrir ses six enfants pendant une semaine. Or ce jour de 1944, juste après la Pâque juive, la voisine nous avait offert de la farine. Et je vois le dernier pain que ma mère a pétri, la veille. Dès l’aube, elle est debout à surveiller la pâte qui lève avant de l’enfourner. C’est alors que sont arrivés les gendarmes fascistes pour nous arrêter – des locaux, j’insiste, et pas des Allemands, contrairement à ce qui a été raconté dans les livres d’histoire en Hongrie après la guerre... Ma mère a hurlé. Nous n’avons pas pu emporter le pain, elle l’a pleuré jusqu’à Auschwitz.

Comment se manifeste la nécessité de l’écriture ?

L’après-midi, j’écris pendant deux ou trois heures, à la main, sur mes genoux. C’est très physique, ça passe par le corps. Quand une blessure mûrit en moi, je suis comme enceinte d’elle... Et les mots sortent, sous forme d’un récit, ou de courts poèmes quand le sujet ne réclame pas plus d’espace. J’ai ce besoin de jeter les mots sur le papier, et la forme s’impose toute seule, je ne choisis pas.
Quand j’étais enfant, je préférais réciter des poésies plutôt que mes prières, au grand dam de ma mère, très pieuse. Les poètes ne sont pas simplement des naïfs mais des êtres qui voient au-delà : plus loin et plus en profondeur. Dans ma poésie, il y a assurément une grande influence des auteurs hongrois, comme Attila József (1905-1937) que j’ai traduit en italien. Au travers de la poésie, on peut faire revivre les êtres que l’on a aimés.

Quand on vient vous visiter, on a le sentiment que l’on vient à la rencontre d’une multitude...

De toute façon, je ne parle pas de moi mais de ce que j’ai traversé et vu, il s’agit avant tout d’un témoignage. J’ajoute que je n’ai pas attendu d’être amie avec Primo Levi pour écrire, je l’ai fait dès 1946, en hongrois, mais j’ai tout perdu et jeté en quittant le pays.
De toute façon, personne ne nous écoutait à ce moment-là. J’avais beau dire : regardez, c’est sur le papier, noir sur blanc, personne ne s’y intéressait. Mon objectif était de faire revivre les êtres qui avaient disparu. Mais les gens se contentaient de dire « nous aussi »... Nous aussi, nous avons eu faim. Nous aussi, nous avons eu froid.

Vous dites que votre mission de témoignage est également une cage qui vous enferme...

Je ne vois pas là de contradiction : je suis vraiment dans une cage, mais une cage intérieure. On ne sort pas d’Auschwitz, c’est pour toujours. Au début, quand j’ai commencé à raconter les camps, c’est sorti morceau par morceau. Je vomissais le poison, je vivais une libération. C’est plus tard que ça devient une conscience morale et un devoir.
En 1945, à l’arrivée des soldats anglo-américains qui venaient de libérer Auschwitz (nous ne le savions pas, nous avions déjà été embarquées dans la marche de la mort), on nous a finalement ramenées au camp des hommes de Bergen-Belsen. Les lieux étaient jonchés de cadavres nus. Une image qui a imprégné mon âme pour toujours.
Les kapos nous ont demandé de tirer les corps en attachant les chevilles avec un chiffon, pour en faire une pyramide. Deux hommes étaient encore vivants. Ils m’ont dit : « Si jamais tu survis, raconte-leur. Mais ils ne te croiront pas. » C’est pour eux que je continue, j’ai promis.

S’agit-il de dire et redire, sous toutes les formes possibles ?

Oui, en fidélité à ma promesse. Je vais toujours à la rencontre des jeunes, même si c’est difficile. L’antisémitisme n’a jamais été éradiqué, le racisme et la discrimination reviennent. C’est important que les jeunes gens sachent. Si j’arrive à faire bouger quelque chose chez une poignée d’entre eux, ma survie n’aura pas été inutile.
Mais aujourd’hui, les derniers témoins se heurtent au silence, car les vieux ne comptent plus dans cette société. Ils sont considérés comme improductifs, les plus fragiles pèsent sur les familles, leur vie n’a plus aucune valeur…
Au cœur du mal, j’ai appris le bien et la valeur de la vie de chacun, y compris des vieux. En m’occupant de mon mari Nelo Risi, atteint par la maladie d’Alzheimer, je n’ai cessé de songer à ma mère.
Alors que les médecins affirmaient qu’il allait mourir le lendemain, je l’ai maintenu en vie pendant 11 ans. C’était comme le remettre au monde chaque matin. Et ce faisant, inconsciemment, ce sont mes parents que je gardais en vie...

De quoi avez-vous parlé avec le pape François ?

Je lui ai raconté ce que j’appelle mes cinq lumières, ces moments où j’ai échappé à la mort et où on m’a rappelé que j’étais humaine. Dès l’arrivée à Auschwitz, alors que les enfants étaient immédiatement éliminés, un soldat m’a arrachée à ma mère pour me pousser dans la file des travaux forcés, il voulait que je vive.
Ensuite à Dachau, un cuisinier m’a demandé : « Comment t’appelles-tu ? » Or, ça n’existait pas, des mots pareils, dans les camps – j’étais le numéro 11552. Sa question signifiait : tu as un nom, tu es une personne, tu es en vie.
Une autre fois, un soldat m’a jeté une gamelle en pleine poitrine en me disant : lave-la. Or elle était enduite de confiture... Le pape m’a demandé ce qu’avait représenté pour moi cette nourriture : c’était la bonté humaine, l’émerveillement, tout n’était pas si noir. Un paradoxe total ! Une autre fois encore, un soldat m’a lancé un gant troué. François m’a demandé ce qu’il y avait dans le trou de ce gant : la vie, là encore.
Quant à mon cinquième salut, il est arrivé de façon tout à fait dramatique, après que ma sœur, pour me protéger (j’étais à terre, ensanglantée) a frappé de toutes ses forces un soldat. Il est tombé à la renverse dans la neige. Ma sœur m’a adjuré de réciter le kaddish, la prière des morts, en hébreu.
Le soldat s’est remis debout et a dégainé son pistolet. Mais aussi incroyable que ça puisse paraître, il ne nous a pas tuées. Il a dit : « Une immonde petite Juive a osé porter la main sur un Allemand. Si elle a faim, elle mérite de survivre »... Nous avons survécu.
Nous étions habituées à la vie dure du village, à la pauvreté, nous étions plus fortes que les filles bourgeoises ou intellectuelles. Et plus généralement, les hommes étaient plus faibles que les femmes : il y a eu trois fois plus de morts de leur côté.

L’étincelle de la bonté vous paraît donc possible chez le pire salaud ?

J’en suis convaincue. Après la libération des camps, cinq soldats hongrois ont demandé à nous accompagner, ma sœur et moi, dans notre voyage. C’étaient des jeunes fascistes, qui pensaient pouvoir profiter de l’aide que les Américains apportaient aux Juifs. J’avais 14 ans, ma sœur, 18 ans. Nous avons décidé de les accepter avec nous, de faire ce geste de pacification.
C’est absurde, mais je n’ai aucune haine en moi. Je suis toujours émue quand je pense à ce retour : nous deux assises sur les tas de charbon des wagons de marchandise, et ces hommes à nos côtés, avec qui nous partagions les rations américaines. J’y vois quelque chose de grandiose, d’absolu, comme si nous avions bâti avec ces cinq inconnus la paix dans le monde !

Aucun désir de vengeance, jamais ?

Dans ma vie d’après, en Israël ou à Rome, le hasard m’a fait croiser à trois reprises des femmes qui avaient été kapos à Auschwitz. Je ne les ai jamais dénoncées, car je sais tout ce qu’on est prêt à commettre dans la survie – les Allemands avaient bien l’intention de les transformer en bêtes sauvages.
Primo Levi affirmait que c’était les circonstances qui faisaient sortir le mal que les gens ont à l’intérieur d’eux -mêmes. J’avais 13 ans, et je n’ai pas accepté une seule fois de faire la messagère pour les kapos en échange d’un peu de pain : j’ai dit non. Et plus tard, je n’ai dénoncé personne non plus. Je ne pourrais plus dormir si je savais que j’ai mis quelqu’un en prison.
Je crois dans le destin : le bien est comme un boomerang. Empêcher le mal de gagner, c’est ne pas laisser le dernier mot aux nazis : le devoir de vivre, c’est mon utilité. La vie ne m’appartient pas, elle appartient à l’Histoire.
Quand Primo Levi s’est suicidé, son geste m’a profondément meurtrie. Il se sentait coupable d’avoir survécu, car en tant que chimiste, il avait été privilégié dans le camp. Mon seul privilège à moi fut d’avoir été plus petite que les autres, j’ai été sélectionnée une fois par Mengele et j’ai pu me cacher.

Vous êtes incroyante, mais vous racontez votre relation avec Dieu...

Tous les soirs, je me dis que Dieu m’aime, et je ne sais pas pourquoi... Je ne sais pas s’il existe ou s’il n’existe pas, mais quelque chose m’a sauvée. Je m’adresse également à ma mère, je ne sais pas si c’est pareil.
Il y a sur cette terre des choses qu’il est impossible de s’expliquer. Comment peut-on expliquer ce qui s’est passé dans les camps ? L’humain tombé aussi bas ? Comment ces lieux mêmes ont-ils été possibles ? Dans un camp, on apprend tout de l’humanité : on peut voir quelqu’un qui arrache de la bouche même de son enfant un brin de nourriture.
Pourquoi l’être humain est-il autant attaché à l’existence ? La volonté de vivre est plus forte que tout. Et quand il n’y a plus d’espoir, on l’invente.
Pour moi, la religion, c’est avant tout le respect du vivant. Le pape François est d’accord, il accepte les athées. Me permettrez-vous de dire que les athées sont peut-être les gens les plus religieux qui soient...
J’ai été sauvée des camps mais aussi de graves problèmes de santé. J’ai eu un infarctus, un AVC, une opération du cœur, j’aurais dû mourir. Est-ce que Dieu m’aime ? Est-ce que ma mère m’aime ? Ce sont les morts qui me maintiennent en vie.

À LIRE
* Le Pain perdu, d’Edith Bruck, traduit par René de Ceccatty, Éditions du sous-sol. 16,50 €.
* Pourquoi aurais-je survécu ?, poèmes d’Edith Bruck, choix, traduction et préface de René de Ceccatty, Rivages, 9 €.

Photo : Edith Bruck, la vie après la déportation ©Bénédicte Roscot









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dimanche 23 janvier 2022

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Quand nous serons compris
Comme l’eau du fleuve comprend l’arbre et le ciel,
Saisis dans les remous de l’immense présent,
Nous ne ferons plus qu’un avec l’azur et ses nuages,
Dans le murmure des lichens et le chuchotement des eaux vives.

Dans la grâce des commencements où le monde se donne,
Nous marcherons au pas allègre des saisons
Et nous serons, au souffle dormant de chaque instant,
Le frémissement de l’onde,
Dans l’aube de la création et l’empreinte des premiers jours.

Qui sommes-nous allant ainsi sur les rives du temps,
Sinon la joie et le regard de se savoir ici,
Princes de ce royaume aussi bien qu’un brin d’herbe,
Ou qu’un oiseau furtif dont le chant nous rassure.

Nous allons éblouis parmi les choses nues,
Passants discrets au fil de signes immobiles
Dont seules les marées proclament avec l’éveil des bourgeons,
Ou les frémissements de l’aile ou la houle du vent,
Le pouls battant de la vie.

Ô soirs et matins qui ressuscitez en nous
Les naissances fidèles, revêtez-nous de gestes de gratitude
Par lesquels nous acquiesçons à la splendeur de vivre !
Faites de nos marches un retour aux fontaines,
Esquissez en nos cœurs l’éclat des printemps revenus !

Nous sommes tous voisins du trèfle,
Des écorces ensoleillées et des berges patientes :
De temps à autre, saurons-nous les rejoindre
Sans nous laisser happer par le flux des images ?
Il reste où se poser tant de clairières attentives,
Tant de ports illuminés par la ferveur de nos sillages !

Au fond de nous, tous les espaces sont promis,
Les vagues, les océans, les grèves et les îles :
Allons vers l’horizon comme on entre en soi-même,
Et trouvons-y le feu ou la simple étincelle 
Dont nous sommes les gardiens  
La braise et les sarments !

Jean Lavoué, le Blavet, 20-21 janvier 2022
Photos : comme un vitrail, le Blavet en ses reflets du soir, 20/01/22






samedi 22 janvier 2022

 
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C’est à la plume sensible et généreuse du poète nantais Claude Serreau, familier de René Guy Cadou, que je dois cette amicale recension de mon recueil « Carnets de L’enfance des arbres » illustré par des linogravures d’Isabelle Simon. Celui-ci est toujours disponible aux éditions L’enfance des arbres 3 place vieille ville 56 700 Hennebont au prix de 15 euros + 4 euros de frais de port.

https://www.editionslenfancedesarbres.com/carnets-de-lenfance-des-arbres--j-lavoueacute.html

En une vingtaine d’années de publication de livres personnels, Jean Lavoué et ses éditions « L’enfance des arbres » s’est fait une place dans le domaine poétique de l’Ouest littéraire. Poète lui-même, et de talent reconnu, récompensé par un prix décerné par l’Académie de Bretagne et des Pays de Loire, il peut à juste titre revendiquer qu’il est dans la lignée des Cadou, Grall, Baudry, Boulic et quelques autres dont l’allégeance à la Bretagne ne fait aucun doute. Basé à Hennebont, cet auteur écrit une poésie « qui va », puisqu’il affirme que, souvent, l’inspiration lui vient en marchant.

 

D’où ces carnets de quelque 200 pages dans lesquels s’imposent ses impressions, intuitions, réflexions comme autant de petits textes poétiques en 2, 3 ou 4 vers, rimés ou non, où la nature a toute sa place, et, parmi elle, bien évidemment, les arbres, symboles d’une renaissance humainement attendue. Au fil de ses pas et de ses notations naissent des poèmes fort joliment illustrés par Isabelle SIMON dont la réalisation se révèle en accord avec la tonalité automnale de cette poésie, laquelle sait cependant se ménager des clairières d’espoir. Se fait alors jour, derrière le recours à l’enfance, ce vieux fond de mysticisme celte qu’une longue présence bretonne ne manque jamais d’insinuer sous les mots, mais qui est ici dépassé dans ce bel ouvrage élégamment imprimé : y émerge cette volonté d’aller vers la lumière, de quelque origine soit-elle, celle qui, par-delà les branches et le silence, guide nos vies. Paru dans cette très personnelle collection « Poésie et intériorité », ce livre ne peut laisser indifférent tous ceux qui se cherchent une terre où mieux habiter et des raisons d’espérer. Oui, les arbres de Jean Lavoué poussent dans un vrai terroir de mémoire, mais de leurs racines à leur faîte, ils nous élèvent, sans prétention philosophique, dans une prosodie maîtrisée, un lyrisme retenu, à la dignité d’êtres humains sensibles et responsables :

 

« Les mots sont ton mystère / ton aube et ton secret,/ Tu te plies sans rien dire / A leur nuit végétale. / Garde toujours à ta portée / Un arbre en devenir, / Ne fais pas comme si / Tu étais seul au monde ! ».

 

« L’enfance des arbres », une belle leçon de vie en somme, et propice à rafraîchir l’esprit ! »

 

Claude Serreau


Carnets de L’enfance des arbres, Jean Lavoué, Éditions L’enfance des arbres 2021, 15 euros


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Voir aussi la note de Pierre Tanguy à propos de ce recueil sur le site « Recours au poème » :


https://www.recoursaupoeme.fr/jean-lavoue-carnets-de-lenfance-des-arbres/



Jean Lavoué, Carnets de l’enfance des arbres

Par Pierre Tanguy| 21 janvier 2022|Catégories : CritiquesJean Lavoué


L’enfance des arbres est un blog poétique dédié à l’aventure intérieure. Conçu il y a déjà plusieurs années par le poète, écrivain et éditeur breton Jean Lavoué, ce site fait de l’arbre le symbole à la fois de l’enracinement et de l’élévation.


« Il faut reboiser l’âme humaine », disait le chanteur Julos Beaucarne, cité par l’auteur. « Reboiser » : c’est la noble entreprise à laquelle Jean Lavoué s’est attelé. Il nous le rappelle dans un livre contenant les brefs poèmes qui ont accompagné la naissance de son blog, accompagné ici de linogravures et monotypes de Isabelle Simon,

« Déjà je parle aux arbres/et mes doigts me suffisent », écrivait René Guy Cadou dans Les bruits du cœur (1941). Jean Lavoué demeure dans le sillage du grand poète disparu auquel il a consacré un fervent livre-hommage en 2020 (René Guy Cadou, la fraternité au cœur). « Avec l’arbre, // ce que tu écris / Semble avoir trouvé son axe », note pour sa part Jean Lavoué. Et, plus loin, il écrit : « Parler à hauteur d’arbre / Sans forcer la voix / Dans la croix des saisons / Et le ciel grand ouvert ».

Le poète, en effet, ne force pas la voix. Il nous dit fréquenter les mots simples : « Soleil, silence, lumière, absence, présence ».


Soleil ? « Ah ! si le chemin / N’était que tronc tendu / Vers le soleil »
Silence ? « Dès que tu fais silence / La forêt se redresse / Les mots s’ordonnent un à un / La clairière s’illumine, // Tu sens que tu es là ».
Lumière ? « Arbre, pesante lumière / Etrange gravité / Donnant des ailes / A ta voix ».


Jean Lavoué ne se paie pas de mots. Il veut sa poésie orientée vers plus vaste que nous. « J’ai découvert un jour / Qu’écrire était une forme de prière ». Et s’il nous parle  -fugitivement — de l’enfant qu’il a été (« Comment rester à hauteur de l’enfant / que tu as été »), c’est d’abord pour nous inviter à retrouver l’enfant qui est en nous, retrouver notre innocence et notre capacité d’émerveillement. « La foi ne n’apprend pas / Elle s’enracine », écrit Jean Lavoué. Oui, s’enracine comme un arbre.


Le poète évoque tout aussi fugitivement des poètes bretons qui lui tiennent à cœur. Georges Perros à qui il dédie un poème. Xavier Grall, cet homme qui « chantait la Bretagne / Ressuscitait ses pardons », sans parler des vents qu’il chérissait dans sa paroisse de Nizon. Avec, comme en écho, ces vers de Jean Lavoué qui nous ramènent invariablement à l’arbre. « C’est le vent bien sûr / Qui parle le mieux / La langue de l’arbre ».

 

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