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mardi 29 novembre 2022

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Au-dessus du Blavet aujourd’hui 
Le ciel semble plus transparent,
Le moindre petit nuage
Se fait le messager
D’une enfance éblouie.

Sur l’autre rive,
Trois pies volent au-dessus des tombes
Et leur ballet n’est pas triste.
Les mouettes s’élancent
En grands signes blancs vers l’azur. 

Chaque arbre distille sa lumière :
Son feuillage tremblant
Devient aussitôt le fragile compagnon
D’un chemin enfoui dans le mystère. 

Avec de pauvres mots,
Je cherche comment 
Partager encore avec toi
Le pain du poème.

Je contemple ce grand silence
Éclaboussant les marges
Où tu t’es réfugié.

Ta parole vive surgit
De la moindre écorce
Protégeant la sève
De l’implacable hiver à venir.

À chacun, tu laisses la tâche 
De vivre et d’écrire pour deux,
De devenir à son tour
Le libérateur des papillons de la joie.

Tu nous invites
À laisser grandir entre nos mains
L’éclat lumineux 
Du soleil de ton absence,
À semer dans les sillons de nos vies 
Les graines de bonté
Dont tu es soudain devenu 
Le jardinier céleste.

Foulant les feuilles mortes du sentier, 
Nous pressentons déjà, promesse d’un printemps,
L’éclaircie du petit cerisier en fleurs
Dont tu as gardé le secret.

Tu es aussi bien dans le rythme de la marée 
Que dans chaque duvet blanc qui se pose,
L’humble petit moineau égaré,
La moindre goutte de pluie 
Se balançant sur un brin d’herbe oublié.

L’heure est à la gratitude
Pour tout ce que tu nous as appris
À regarder avec les yeux du cœur.

Imperceptiblement,
Tu rejoins la compagnie  fervente
De nos absents familiers
Aux tiges dressées dans la lumière.

Tu nous rends complice
De ces secondes perdues
Où la perle de grand prix
Nous est redonnée.

Tu respires à pleins poumons
Dans cette liturgie d’automne
Où le ciel est baptisé 
Des couleurs de l’aube.

Jean Lavoué, 28 novembre 2022
Photos JL 28/11/22




lundi 28 novembre 2022

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Pour celles et ceux qui désirent s’associer à la douleur de Lydie Bobin, son épouse, ainsi qu’à celle de sa famille et de tous ses amis, proches et lointains, je vous informe qu’une cérémonie religieuse à l’intention de Christian Bobin sera célébrée ce lundi 28 novembre, à 15h30, en l'église Saint-Charles du Creusot, suivie de l'inhumation au cimetière de Marciac (32). 

Pour lui qui était à mes yeux le plus généreux des « sourciers » et pour que sa bonté lumineuse continue à sourdre de nos cœurs, je vous partage ce texte écrit en 2017 :


J'aime les sourciers qui percent le secret des mondes,
Échappent aux croûtes  mortelles,  aux rigidités stériles, aux sécheresses exemplaires,
À tout ce qui retient la vie
Et l'empêche de se transformer.

J'aime les sourciers
Qui savent prendre des risques,
Emprunter des chemins audacieux
Pour contourner le poids des murailles
Des habitudes et des morales.

J'aime les sourciers 
Qui font voler en éclat les portes du temple,
Qui n'ont pas peur d'eux-mêmes
Ni du regard inquiet qui les fige.

Ils savent trouver passage,
Ils connaissent la brèche
Où le vieux monde s'anime
Et s'élance à nouveau.

J'aime les sourciers
Dans chaque groupe,
Dans chaque clan
Dans chaque religion
Dans chaque famille :
Ils ont payé le prix fort
Pour que le sang circule,
Pour que la vie l'emporte,  
Que l'eau irrigue les bras morts. 

J'aime les sourciers et leur jeunesse,
J'aime leur descendance innombrable
Même s'ils n'ont pas eu d'enfants.
J'aime qu'ils brûlent leur vie, 
Qu'ils ne comptent pour rien leur  existence 
Au regard de cela qui les sauve
Les rend impérissables, 
A jamais fraternels. 

Jean Lavoué, 31 mai 2017 








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dimanche 27 novembre 2022

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À la joie de vous retrouver au Salon du livre "Ecritures et Spiritualités" - ce dimanche 27 novembre 2022 à partir de 14 heures - Paris, Mairie du VIème.

L’Association Écritures & Spiritualités organise le 27 novembre son salon littéraire qui rassemble près de 70 auteurs.
Son invité d’honneur sera Louis-Philippe Dalembert. Le débat, organisé de 15h30 à 16h30, portera sur le « spirituel au féminin ».
Il sera animé par Leili Anvar. Y participeront Karima Berger, Louis-Philippe Dalembert et Cécile Mavet.
La vocation d’Écritures & Spiritualités est de faire connaître les écrivains, poètes et philosophes dont l’œuvre s’élabore à la lumière d’une dimension spirituelle.







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En ce premier jour de l’Avent, cette mise en chemin vers la Lumière qui vient, comment ne pas se nourrir de ce magnifique entretien de Christian Bobin avec le Monde des religions paru en 2007 ? Le journal Le Monde le publie à nouveau aujourd’hui : « J’essaie d’avoir le souci du présent, de qui me parle ou de ce qui se tait devant moi ; je cherche dans le plus tremblé du présent ce qui ne glissera pas comme tout le reste dans les ténèbres… Je tourne autour d’un mot : la bonté. C’est la bonté qui me stupéfie dans cette vie, elle est tellement plus singulière que le mal… La confiance est le berceau de la vie.» 

Et si, en nous laissant si nombreux orphelins, Christian Bobin nous confiait sa parole nue, vive comme un talisman pour traverser les nuits bruyantes du monde avec au cœur cette petite étincelle fragile et bienveillante de la joie ?


JL








Christian Bobin : « C’est la bonté qui me stupéfie dans cette vie, elle est tellement plus singulière que le mal »


Ecrivain de la fragilité, virtuose du fragment littéraire, Christian Bobin s’est éteint vendredi à l’âge de 71 ans. Dans un entretien au « Monde des religions » donné en 2007, il se confiait sur son rapport à « l’invisible, qui semble donner le sens de toute chose ».


Propos recueillis par Frédéric Lenoir et Karine Papillaud


Le Monde, 26 novembre 2022


Photo, Christian Bobin, le 4 octobre 2005, sur le plateau de TF1. BERTRAND GUAY / AFP


L’écrivain Christian Bobin est mort ce vendredi 25 novembre, à l’âge de 71 ans. Dans ses textes qui sont aussi bien roman, journal ou poésie en prose, il savait extirper le merveilleux des petites choses, avec des mots simples, des phrases musicales, des formules délicatement lumineuses. Une petite robe de fête est son premier grand succès, en 1991. Il sera suivi d’un chef-d’œuvre, Le Très-Bas, consacré à François d’Assise, qui reçoit le prix des Deux Magots et le grand prix catholique de littérature en 1993. Suivra également, en 2016, le prix de l’Académie française, pour l’ensemble de son œuvre.

Mais la notoriété et la vie parisienne ont toujours laissé Christian Bobin de marbre. L’homme a longtemps continué d’écrire et de vivre à sa façon, sans Internet mais dans l’amour du silence et des jardins fleuris. Et s’il avait accepté une interview pour Le Monde des religions, en 2007, ce fut moins, disait-il, pour se montrer que pour s’octroyer le plaisir d’une rencontre humaine et la joie d’un partage librement consentis.


Vous êtes un écrivain célèbre mais rare, volontairement très discret dans les médias. D’où vient votre désir de retrait ?


Comme souvent dans cette vie, les choses sont mélangées : il y a, dans ce que vous appelez joliment mon retrait, une part de caractère, une sorte de pudeur, et la crainte que la parole, en s’exposant trop souvent en plein jour, perde de sa vitalité. Rien n’est plus éblouissant que des traces de pattes de moineau dans la neige : elles permettent de voir l’oiseau tout entier. Mais pour ça, il faut la neige. L’équivalent de la neige dans une vie humaine, c’est un silence, une discrétion, cette distance qui permet le vrai lien.

Mon retrait n’est pas une misanthropie, c’est ce qui me donne un lien plus sûr au monde. En écrivant, je me sens comme un enfant qui, laissé dans sa chambre, se met à parler seul, un peu plus fort qu’il n’est raisonnable, pour être entendu de la salle à côté où se trouvent peut-être les parents ou les gens.


Cette image vous ramène à votre propre enfance. La solitude du petit garçon que vous étiez vous a-t-elle jamais quitté ?


J’ai une sensation enfantine de la vie qui perdure : je suis attiré depuis toujours par ce qui est apparemment inutile, faible, laissé dans les ornières pendant que passe le grand carrosse du monde. Un enfant est rarement curieux de ce qui préoccupe les adultes. Il va exercer son attention sur ce qui leur échappe ou ce qui, de peu de poids, lui ressemble.

Par exemple, je peux faire une danse de derviche tourneur autour d’un pissenlit toute une après-midi pour arriver au texte qui me convient, qui exaucera ce pissenlit et en fera ce que je l’ai vu être, c’est-à-dire un soleil descendu près de nous.


Ces états vous sont-ils donnés par la contemplation de la beauté ou bien par une méditation ?


Je suis incapable de séparer la pensée de la beauté. Elles ont pour racine commune le réel. Les petits astres que forment les pissenlits au mois de juin sont beaucoup plus réels et éclairants que toutes les lampes de nos savoirs.


« La grâce, c’est regarder Dieu se tenir sur la pointe d’une aiguille, fugace, infime »


Ce que je recherche, et que j’ai du mal à nommer, ne se trouve pas dans les endormissements théoriques, pas plus que dans les agacements de l’économie ou le bruit machinal du monde. Cette chose me concerne personnellement et, je crois, concerne chacun de nous. J’essaie de faire des petites maisons de livres assez propres pour que l’invisible qui me semble donner le sens de toute vie y entre, et s’y trouve accueilli.


Cet invisible a-t-il rapport au divin ? Au moins, lui donnez-vous un nom ?


Paradoxalement, cet invisible n’est fait que des choses visibles. Mais délivrées de nos avidités, de nos volontés et de nos soucis. Ce sont ces choses familières qu’on laisse simplement être et venir à nous. Dans ce sens, je ne sais pas de livre plus réaliste que les Évangiles. Ce livre est comme du pain sur la table : le quotidien est le foncier de toute poésie.


Leur message a-t-il une résonance particulière dans vos livres ?


La lumière la plus profonde, je l’ai tirée d’un auteur que j’estime plus que tout, Jean Grosjean, et en particulier de son livre L’Ironie christique, qui est une lecture d’abeille de l’Évangile de Jean : c’est un livre majeur du XXe siècle. L’auteur fait son miel de chaque parole du Christ, il entre dans chacune d’elles comme une abeille s’engouffre dans chaque fleur d’un rosier, pour en surprendre toute la pensée.

À la fin de l’Évangile, il est dit qu’« il y a encore beaucoup d’autres choses que Jésus a faites ; si on les écrivait une à une, le monde lui-même, je crois, ne saurait contenir les livres qu’on en écrirait ». J’ai pris cette parole à la lettre : j’essaie d’avoir le souci du présent, de qui me parle ou de ce qui se tait devant moi ; je cherche dans le plus tremblé du présent ce qui ne glissera pas comme tout le reste dans les ténèbres. Le ciel est ce qui s’éclaire dans le face-à-face. Le fond de la vie, et c’est le fond même des Évangiles, c’est que tout ce qui compte se passe toujours entre deux personnes.


Dans l’enfance ou à l’âge adulte, avez-vous connu des moments d’illumination, des expériences d’ordre mystique ?


Ce n’est pas vraiment une illumination mais un sentiment plus souterrain, diffus, que je pouvais parfois croire être perdu et qui revenait toujours : la sensation d’une bienveillance tramée dans le tissu parfois déchiré du quotidien. Cette sensation n’a jamais cessé de courir par-dessous les fatigues, les lassitudes et même les désespérances. Je tourne autour d’un mot : la bonté. C’est la bonté qui me stupéfie dans cette vie, elle est tellement plus singulière que le mal.


Qu’avez-vous traversé qui vous a le plus profondément heurté dans votre vie ?


Incontestablement, la perte d’êtres chers. On s’aperçoit qu’on devient désert quand quelqu’un que l’on aime meurt. Qu’on n’a pas d’autre sens que d’être habité par des gens dont la présence nous réjouit ou dont le seul nom nous éclaire. Et quand ces présences s’éteignent, que les noms s’effacent, il y a un moment étrange et pénible où l’on devient à soi-même comme une maison vidée de ses habitants. On n’est propriétaire de rien au bout du compte.

L’épreuve du deuil se traverse. Elle est une épreuve de pensée vécue à son maximum. En refoulant ces choses qui arriveront forcément, on enlève le terreau de la pensée la plus profonde. On risque de se vouer à l’irréel qui me semble être le plus dangereux dans ce monde.


C’est-à-dire ?


L’irréel, c’est la perte du sens humain, c’est-à-dire la perte de ce qui est fragile, lent, incertain. L’irréel, c’est quand tout est très facile, qu’il n’y a plus de mort et que tout est lisse. Contrairement aux progrès techniques, les progrès spirituels sont équivalents à un accroissement des difficultés : plus il y a d’épreuves, plus vous vous rapprochez d’une porte paradisiaque. Alors que l’irréel vous décharge de tout, y compris de vous-même : tout circule merveilleusement, mais il n’y a plus personne.


N’est-on pas aussi dans l’irréel en étant trop religieux, en vivant par exemple dans l’évidence qu’il y a une vie après la mort ou que Dieu est bon ?


On peut faire avec Dieu ce que les enfants font avec un arbre, c’est-à-dire se cacher derrière. Par peur de la vie. Les pièges dans cette vie sont innombrables, comme penser qu’on est du bon côté, qu’on a vu et recensé tous les pièges, ou qu’on sait ce qu’il en est une bonne fois pour toutes du visible et de l’invisible. Ça ne marche pas comme ça.


« Les religions sont analphabètes de leurs propres écritures »


Les religions sont lourdes. Elles reposent sur des textes qui sont des merveilles. Mais elles sont d’abord les analphabètes de leurs propres écritures. Elles n’oublient jamais leur puissance. Elles veulent détourner à leur profit le cours ruisselant de la vie. Au fond, il faudrait débarrasser Dieu de Dieu. On pourrait parler d’un Dieu athée de ses propres religions.


Vous parliez tout à l’heure des « endormissements théoriques ». La connaissance est-elle une barrière à un chemin spirituel ?


C’est difficile de répondre. Kierkegaard parlait de communication directe et communication indirecte. Pour le dire simplement, la communication directe, c’est quand vous transmettez un savoir : vous le donnez comme vous donnez un objet. La communication indirecte, d’après lui, est la seule qui convienne aux choses de l’esprit : il ne faut rien donner directement. La vérité n’est pas un objet mais un lien entre deux personnes.

C’est pourquoi le Christ parle en parabole et rarement tout droit. Sa parole est chargée d’images, avec ce qu’il faut d’énigme pour que le chemin se fasse dans la tête de son interlocuteur, pour que cet interlocuteur accomplisse son propre travail mental. C’est l’origine de toute poésie vraie : il faut que quelque chose manque pour espérer goûter à un peu de plénitude. Le problème avec ce qu’on appelle le savoir, c’est que tout est fait, cuit et même mâché.


« Je suis né dans un monde qui commençait à ne plus vouloir entendre parler de la mort et qui est aujourd’hui parvenu à ses fins, sans comprendre qu’il s’est du coup condamné à ne plus entendre parler de la grâce. » C’est une phrase tirée du recueil La Présence pure, publié en 1999. Comment prolongeriez-vous aujourd’hui cette réflexion ?


Pardonnez-moi d’être banal, mais on n’a jamais plus conscience de la vie que lorsqu’on sait qu’à chaque seconde elle peut vaciller et tomber en poussière. La mort est une excellente compagne, très fertile pour la pensée de la vie. Si on expulse l’une, on condamne l’autre à s’épuiser dans le bagne d’une distraction perpétuelle.

La claire conscience de la vie, amenée par la calme pensée de sa fragilité, est la grâce même. La grâce, c’est regarder Dieu se tenir sur la pointe d’une aiguille : quelque chose de fugace, d’infime, qui ne demande surtout pas à être retenu, et qui coïncide avec l’incorruptible joie d’être vivant. Emily Dickinson écrit dans l’une de ses lettres : « Le simple fait de vivre est pour moi une extase. »


Sur la mort, avez-vous une espérance, une intime conviction ?


J’éprouve que le meilleur de nous, quand nous réussissons à le faire vivre, ne sera pas bruni, emporté par la mort. Je ne peux guère dire plus. Ou plutôt si : les nouveau-nés, je l’ai souvent écrit, sont mes maîtres à penser. Le bébé à plat dans son berceau, avec le ciel étonné de nos yeux qui lui tombe dessus, est la figure même de la résurrection. C’est beau, le front dénudé des nouveau-nés. C’est la confiance qui remplace le crâne. La confiance est le berceau de la vie.


Cet entretien a initialement été publié dans « Le Monde des Religions » n° 25, septembre-octobre 2007


Frédéric Lenoir et Karine Papillaud









samedi 26 novembre 2022


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Dans la vie, dans cette vie qui est la seule que nous ayons
les morts les disparus les gens qu'on a aimés sont toujours là
ils peuvent venir
c'est par timidité qu'ils restent sur le seuil
on peut les convier les inviter
je crois aux vertus ressuscitantes de la parole et du langage

C'est très simple
quand vous avez vu le soleil vous l'avez vu
après c'est la nuit
mais le soleil vous l'avez vu il ne vous reste plus qu'à en témoigner

moi j'ai vu un soleil qui s'avançait
et ce soleil continue à avancer, à rayonner
à me donner cette très étrange gaieté et cette étrange douceur
cette connaissance de la vie subtile infime et mortelle
le plus grand cadeau qu'on puisse nous faire

Je manque de beaucoup de choses
comme on manque tous de beaucoup de choses
ce qui est le plus intéressant ce sont nos creux nos failles
la perfection ce n'est rien
ce qui importe c'est l'élan le désir
la force qui va ouverte généreuse
c'est merveilleux que ce ne soit jamais tout à fait ça

Je suis fait de ce soleil là
de ces rayons qui m'ont été donnés par les uns et les autres
des gens que j'ai rencontrés
de ce qu'ils ont été de seigneurial pour moi
quand j'ai su voir qu'ils étaient des seigneurs

ma misère mes manques pourquoi m'en plaindre
c'est aussi cela qui me fait écrire
si j'avais la plénitude 
je serai dormant comme un enfant repu à Noël

Si l'amour a un sens c'est le mouvement
le fleurissement
l'espérance de la chose qui va venir
le printemps
Chercher
Etre en recherche, en mouvement, en travail
ce n'est pas trouver qui compte

Bach c'est le plus haut
mais il y a plus haut encore que le plus haut
c'est le chant du moineau
c'est le bruit de la rivière
c'est le vent dans le feuillage d'un tremble ou d'un peuplier
ces choses pauvres
qui sont toujours avec nous
jusqu'au dernier instant
c'est au-dessus de tout l'art des hommes

Parfois on sent que les nuages ne croient plus en Dieu
il y a une lassitude qui me vient par moment
le rideau noir de Soulages est innervé de lumière
parfois ce rideau est comme un bloc de cendre
je n'arrive plus a en saisir les nuances
mais ça se traverse les orages

Christian Bobin, extraits saisis au cours de l’émission La Grande Librairie, en 2015, à propos du livre « Noireclaire »


















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vendredi 25 novembre 2022

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Par un ami, je savais Christian Bobin malade depuis quelques semaines : une invitation à communier silencieusement avec lui dans la traversée de l’épreuve. Que dire désormais qu’il vient de nous quitter sinon rejoindre justement ce grand silence de la poésie, ouverte à la beauté et à la tendresse du monde, auquel il n’a cessé de nous éveiller. Cette photo accompagnait fin octobre son entretien avec le journal La Vie :
« L’âme est une espèce à protéger. »
Je partage à nouveau cette rencontre à propos de la sortie de ses deux derniers livres…
Rencontre avec un passeur d’ « âme »…

JL

CHRISTIAN BOBIN
La Vie 20 octobre 2022

« L’âme est une espèce à protéger »

INTERVIEW MARIE CHAUDEY
PHOTO DENIS MEYER / HANS LUCAS

Le poète du Creusot revient avec le Muguet rouge, un recueil plus mordant que jamais sur notre modernité. Et un Quarto Gallimard regroupe 17 œuvres de ce rebelle contemplatif.

Le Muguet rouge, au titre énigmatique, est un petit livre aiguisé comme une lame, qui rentre dans le dur de notre modernité. Le poète en colère y moque les économistes – ces « bouilleurs de chiffres », fustige la folle vitesse qui régit nos vies. Dans le collimateur de Christian Bobin : les écrans qui absorbent notre temps de cerveau disponible, happent nos esprits mais aussi nos cœurs. Les métaphores s’enchaînent – « l’œil du cyclope », « le Gutenberg du diable », « le miroir des aveugles »… Haro sur « les chiens électroniques » qui nous tiennent en laisse au quotidien. L’heure est grave et le poète, plus vigilant que jamais.

LA VIE. Votre recueil porte une férocité nouvelle, pourquoi ? 

CHRISTIAN BOBIN. Parce que le temps presse. Les cavaliers de l’Apocalypse sont arrivés à notre seuil, ils attendent que l’on ouvre. Et même à travers le bois de la porte, ils nous regardent… Je souligne que, dans son sens originel, l’apocalypse n’est pas une fin du monde, mais d’abord un dévoilement. Et précisément, c’est celui-ci que nous refusons : nous ne voulons pas voir ce que nous avons fait à cette terre et ce que nous sommes devenus. La situation a été tenable un moment, mais désormais elle se retourne contre nous. Dans la Bible, les quatre cavaliers de l’Apocalypse du texte de Jean (Apocalypse 6) amènent la guerre, les épidémies, le désordre financier et le feu de la nature… N’avons-nous pas chacun de ces maux devant les yeux tous les jours ? Nous en sommes arrivés à un abaissement spirituel, l’âme est devenue une espèce à protéger. Je me suis dit qu’il était peut-être temps, au moins une fois, au moins dans ce recueil, de voir au mieux, et d’aider le lecteur à voir lui aussi. Simplement voir. Loin de moi l’intention de faire un livre de morale – je n’aime pas ça de manière générale : le confort des sièges bien rembourrés pour le bien, et l’inconfort du petit tabouret boiteux pour le mal. Ce recueil n’est pas non plus un condensé d’opinions et de pensées. Je nourris juste l’ambition que le langage, en se densifiant jusqu’à son point de brûlure, ait une chance de réveiller quelque chose chez quelques-uns.

« La mort devenait de plus en plus miniaturisée, des paillettes électroniques dans ses cheveux de cendre » : vous y allez fort !

C.B. Je ne souhaite pas non plus que l’on sorte déprimé de cette lecture. Car la fin du monde, c’est à chaque seconde, depuis que nous sommes nés, depuis toujours pour toute l’humanité. Pour l’homme des cavernes, la fin du monde commence par un grognement qui sourd du noir de la grotte où il a cru trouver refuge. Aujourd’hui, pour nous, la fin du monde est en jeu dans le dialogue des êtres et dans le maintien de l’humain à l’intérieur de l’humain. Elle n’est pas tant dans les machines, même si celles-ci aident beaucoup à notre destruction, mais elle est d’abord dans le face-à-face – comme aurait pu le dire le poète Jean Grosjean : est-ce que toi qui me parles tu es là ? Est-ce que moi qui te réponds je suis là ? Est-ce que, par la parole, nous allons enfin ouvrir une fenêtre dans ce monde qui nous étouffe ? La chance de créer cette brèche est toujours possible, mais il y a urgence. J’ai écrit ce livre en croisant deux sortes de paille : la paille sombre d’aujourd’hui – on nous fait avaler par jour l’équivalent d’un siècle entier de poison et de désastre – et puis la paille toujours existante, parce qu’invincible, de l’invisible : celle de l’amour quand il est à son point d’envol entre deux êtres ou celle d’un poème qui est encore vivant alors qu’il a été écrit il y a quatre siècles – les absents aussi peuvent nous aider. Mais il faut d’abord voir en face le mal qui vient : pour se sauver, on doit reconnaître son étendue.

N’y a-t-il pas deux visages différents de la mort, que vous opposez dans le Muguet rouge ?

C.B. En effet, il y a une mort dont on se remet paradoxalement assez bien, c’est celle qui arrive à chacun de nous par la loi de la nature. Une fleur éclôt sur terre, donne sa lumière, séduit quelques abeilles et, le soir venu, se replie sur elle-même, fane et meurt. Il en va de même pour nous : nous sommes voués à une mort qui n’est pas un abandon de souveraineté mais une métamorphose. C’est une chose qu’il serait folie de vouloir empêcher, comme les apprentis sorciers de la Silicon Valley en ont le sinistre projet. Car la mort est un sacre pour chacun, fut-il le plus pauvre ou le plus mal famé, on est confié à ce moment-là aux bras innombrables de l’invisible. Mais il y a une deuxième sorte de mort, dont il est difficile de sortir une fois qu’on y est entré. Elle est à l’intérieur même de la vie courante et nous est donnée par les injonctions du monde et la nécessité non expliquée de penser et d’agir de plus en plus vite, d’aimer de moins en moins, de vouloir de plus en plus. Cette mort-là, absolument désolante, dont personne ne porte le deuil, j’ai souhaité la montrer au plus près dans le Muguet rouge. C’est une mort sournoise qui commence par vider les yeux, et ensuite le cœur.

Votre ville du Creusot est une cité marquée par l’épopée industrielle : avez-vous ressenti ses méfaits dès votre jeunesse ? Vous mettez un P majuscule ironique au mot progrès…

C.B. Le « Progrès » a pris la place de Dieu. Il y a cette croyance absurde et morbide qu’il suffit de continuer sur sa lancée pour s’en sortir : qu’en élargissant la tache, on va la faire disparaître ! Quand en aura-t-on fini avec cette foi stupide en un « Progrès » qui va résoudre les problèmes du « Progrès » ? Comment peut-on demander à ce qui nous tue de nous ressusciter ? Durant mon enfance, au long des années 1950-1960, l’épopée industrielle et technique commençait déjà à s’essouffler. J’ai senti le poids des choses en train de s’effondrer sur elles-mêmes. C’est en en prenant le contre-pied que j’ai voulu écrire. Ce n’est pas un hasard si j’essaie de faire de l’écriture un rameau aérien, quelque chose de plus léger que la légèreté même. Parce que j’ai baigné dans cette atmosphère d’une cité dite « ouvrière », presque pharaonique à l’époque : je voyais les esclaves égyptiens défiler sur leur vélo pour répondre à l’appel des usines. Ils avaient une fierté – que je comprends d’ailleurs, parce qu’on leur donnait encore à l’époque une reconnaissance pour ce travail. Et en échange, on leur offrait une protection – tout cela a disparu très vite. J’ai connu cet univers par sa surface très pesante et par son dogme du travail – un monde qui nous empêche d’être… C’est parce que j’aime les gens que je n’aime pas le monde. J’ai connu la puissance financière, orgueilleuse, matérielle et tellurique du monde. Elle a ses beautés, comme un volcan a ses éclats. Mais il m’a paru nécessaire de sortir très vite de là pour rencontrer quelqu’un, pour avoir la chance de donner leur vie pleine aux chansons d’amour du XVIe siècle. Et je peux témoigner qu’elles sont vraies, dans une amitié profonde entre deux personnes, dans un lien qui n’est plus d’avidité ni d’emprise, mais de respiration commune, enjouée et élargie.

« L’absence, le vide, le manque, qu’avez-vous fait d’eux ? Ce sont notre seul bien », affirmez-vous…

C.B. Ces choses-là sont la source de la beauté. C’est de nos nuits de désespoir que va fleurir une glycine qui se penche par-dessus un mur. C’est de nos déchirures, de nos doutes et de nos manques que naissent des palais dans les cieux et toutes sortes de printemps imaginables. Si nous nous coupons de ces racines profondes, alors nous nous coupons des fleurs et des fruits qui viennent après et naissent d’elles. Il y a un lien entre la plénitude et le manque, entre le visible et l’invisible. Je n’écris pas pour réparer, je n’ai pas cette prétention-là, mais pour faire se rejoindre ce qui a été disjoint par notre inattention, notre paresse, et par la violente modernité. J’écris pour qu’on puisse à nouveau ressentir le frôlement de l’invisible dans le visible, ici-bas. Je ne dis pas qu’il y a un autre monde, je n’en sais rien, bien que j’en aie souvent le soupçon. Mais je dis qu’à l’intérieur de notre monde terrestre, il y a des choses à la fois faibles et immortelles, très précieuses, qui nous mettent leur main sur l’épaule et nous demandent de faire attention à nous. J’écris en espérant faire entendre cette parole que nous massacrons avec nos bruits, notre avidité et notre insensibilité grandissante.

Votre recueil ouvre sur ces mots : « Mon père mort me montre deux brins de muguet rouge. » Pourquoi cette couleur ?

C.B. Je ne suis pas l’auteur de l’expression, c’est bien mon père disparu qui m’a nommé cette merveille dans un rêve que j’ai fait. Tout vient d’une parole, comme une étoile descendue dans le puits du sommeil et qui m’a donné ce cadeau incroyable du livre entier, en fait. Car mon père m’invite ensuite à chercher ceux qui cultivent le muguet rouge : ils sont de sa famille et il me pousse à les reconnaître. Une fois éveillé et me mettant à écrire, le muguet rouge m’est apparu comme un paradoxe vivant. Dans l’imaginaire, le muguet est nécessairement vert et blanc. Mais qu’est-ce qui existe et qui n’existe pas ? C’est Dieu, c’est l’amour et c’est le muguet rouge… C’est une grande vertu tantôt de ne pas être là, et tantôt d’être là, cela permet d’échapper à toute incarcération dans un dogme, dans une définition et un confort. J’ai reconnu que ceux qui étaient porteurs du muguet rouge, ce rouge battant du cœur, sont pour la plupart des inconnus qui aident à maintenir le monde à flot, à ne pas avoir le souffle complètement brisé, et peut-être même à commencer un début de réenchantement. La confrérie du muguet rouge est une sorte de compagnie secrète…

… qui seconde le poète ?

C.B. Si le poète a un rôle, c’est de rehausser le langage à son point d’incandescence. C’est par les yeux du langage que nous voyons. S’ils se sont fermés à force de publicité et d’abrutissement, qu’au moins quelqu’un ici ou là redonne à ce langage sa splendeur native, et nous remette au premier matin du monde, qui peut toujours venir. La fin du monde est juste à côté du premier matin du monde. Ce n’est pas si compliqué de tenter un pas de côté : il peut être fait à tout moment, même aujourd’hui alors que nous commençons à payer le prix fort. Comment ne pas voir le paradis à côté de l’enfer ? Mais désormais, l’enfer est tellement ronronnant que nous perdons même de vue son voisin. Au fond, sans lâcher une seconde un instinct contemplatif, c’est pour donner à la douceur réelle des choses sa vraie lumière qu’il m’a fallu éclairer aussi la face sombre du monde. Mais les choses d’esprit sont vivantes à jamais et pour toujours. Le sourire de mon père, qui a déjà eu lieu il y a plus de 20 ans, hante mes livres. Les vrais instants ne sont jamais pris par le temps, car ils étaient déjà saisis par l’éternel. Écrire, c’est travailler du côté de l’éternel, je suis un petit soldat au service de l’invisible, un simple maquisard.

À vos yeux, « cimetières et librairies sont les derniers endroits civilisés ». Pour quelles raisons ?

C.B. Pour une revue de bibliophiles, j’ai écrit un jour un petit texte que je n’ai d’ailleurs pas retrouvé. J’ai inventé un gardien de cimetière, qui, un peu lassé par la monotonie de son métier, inscrivait sur les tombes des gens des titres de livre s’accordant à leur personnalité et leur vie passée. J’ai ainsi rassemblé les deux sujets qui m’importent : les livres et les disparus. Les vies sont comme des livres, et les livres sont comme des vies, les deux sont vivants… Les deux sont inséparables. Il faut que dans la vie tout soit vivant, qu’entre nous tout soit vivant. Il faut que chaque phrase d’un livre soit bondissante comme un enfant qui va au réveil déranger le sommeil de ses parents. Et c’est ainsi que l’humanité peut s’en sortir…
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