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mardi 31 mars 2020

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HÉBERGER L'INOUÏ

Dans le désert de nos vies,
Dans la nuit qui nous tient, Osons tracer des dessins de lumière !
Le vent souffle fort, 
Il nous faut bien pactiser avec lui.

Et si, chacun, nous devenions l'inspiré, le peintre de feu,
L'inventeur de notes de clarté dont nous n'avions jamais rêvé.

L'ombre et le retrait conviennent à cet art oublié :
Dégager des pépites dans les ruisseaux de nos enfances,
Laisser croître un poème,
Adresser par-dessus les toits des constellations
Au moindre carré de ciel.

Soudain le monde est retenu en son errance,
Et nous, suspendus aux actes d'amour de ceux qui prennent soin :
Nous ne sommes plus sur les routes, cherchant toujours
ailleurs
Un soleil étrange pour nous masquer le vide.

Ce que nous n'aurions pu décider seuls,
Ce qui pourtant, nous le savions depuis longtemps, s'imposait
- Protéger la terre de nous-mêmes, la mettre au repos -
Voilà : c'est arrivé !
D'une irruption minuscule, l'inouï est survenu.

Nous sommes tous concernés et contraints,
Perdant jour après jour nos repères,
Ramenés soudain à l'essentiel, confrontés à nos peurs
Mais aussi à notre musique souveraine.

Vulnérables nous le sommes, dans cet enclos inattendu,
Capables de dérives et de glissades 
Comme de trouvailles infinies :
Chercheurs d'or, voilà notre destin
Mais désormais nulle part ailleurs qu'en nous-mêmes. 

Inventons-nous des rites, des silences,
Des gestes de tendresse capables de déchirer la nuit,
Pourvu qu'ils soient d'offrande et de pauvreté,
De création et de patience,
D'ardente complicité avec le monde qui vient
Qu'il s'agit dès à présent de préparer, de relever
Et d'aimer.

Jean Lavoué, 30 mars 2020
Photo Hans/Pixabay


















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samedi 28 mars 2020

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Merci, cher François, pour ces mots vivifiants !











Entretien avec François Cassingena-Trévedy, Propos recueillis par Marie-Lucile Kubacki le 23/03/2020 pour La Vie - Extraits


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Dans des circonstances exceptionnelles, l’homme est capable, un peu comme un animal ou une plante, de développer des capacités d’adaptation qu’il ne se connaissait pas. C’est ainsi que certains vont se découvrir une endurance qu’ils ne soupçonnaient pas, une vie intérieure, une appétence culturelle, redécouvrir des régions inédites des autres et d’eux-mêmes. Les contraintes actuelles ne sont pas une fatalité, mais une invitation à devenir inventifs, un matériau à travailler.
À l’intérieur de ces règles quasi carcérales, nous pouvons développer un espace de liberté intérieure, de poésie, d’émerveillement… « Le ciel est, par-dessus le toit / Si bleu, si calme ! », écrit Verlaine depuis sa prison. Il va nous falloir trouver le ciel par-dessus les toits, en nous, en autrui, entre nous. Hors de question de céder au catastrophisme, à la magie, de se leurrer avec des recettes miracles (surtout pas dans le domaine religieux) : les ressources viendront de notre propre fond. Aux heures dramatiques de l’histoire, l’homme révèle, à côté de ses misères, ce qu’il a de plus beau, de plus inattendu. Nous sommes renvoyés à notre dignité humaine, à notre seule hauteur d’hommes. Cela donne des choses bouleversantes et sublimes, comme la musique que les gens jouent sur les balcons en Italie.

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En huis-clos, peut apparaître le risque du vide, du désespoir, de la solitude, de la nervosité exacerbée. Il est indispensable que nous puissions verbaliser, nous avouer les uns aux autres notre angoisse, que nous remplacions les paroles creuses par des paroles vitales, que nous retrouvions entre nous le goût d’une affection pleine de gravité. Il est urgent que nous trouvions, au-dedans ou au dehors, des lieux, des liens de parole tonique et profonde : le téléphone et le mail peuvent être d’excellents instruments pour ce grand emploi du temps de réconfort mutuel qui s’ouvre devant nous. Nous faire mutuellement signe de vie et de tendresse : voilà un beau métier en ces temps de retrait forcé ! Rien n’atteste mieux notre dignité humaine que le souci que nous avons les uns des autres : le confinement peut et doit décupler et affiner notre capacité relationnelle, car c’est la relation même qui nous fait hommes.

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La conjoncture actuelle peut être l’occasion de retrouver les bienfaits d’une relative ritualité que nous avions perdue – et qui pourtant nous construit – dans une société très éclatée, du zapping et du papillonnage. Car la bonne humeur a besoin d’horaire ! Ce peut être une chance que de renouer avec une vie plus communautaire et plus partagée, en apprenant à répartir les tâches, à reconfigurer les activités et les priorités. Chacun peut aussi se trouver un grand os à ronger : une lecture, une passion, une curiosité, un artisanat, un domaine de recherche intellectuelle. Il faut aussi nous confier au génie, à la grâce propre du temps, car il fait son œuvre. Le temps n’est pas seulement ce que nous faisons de lui : il nous faut accueillir son rythme et nous laisser travailler par lui, emmener par lui là où nous n’avions pas imaginé.

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L’enjeu est de dépasser les peurs archaïques, animales, et pour cela il nous faut des antidotes puissants. Des trésors d’amitié et de vérité humaine peuvent se révéler chez nos semblables. Il y a aussi la beauté, la fidélité silencieuse de la nature qui respire, tandis que l’homme s’arrête de se faire son propre bourreau. Résistons aux sirènes de l’apocalypse, gardons en nous la nappe phréatique de la paix : la beauté dont nous sommes capables est un commencement de victoire. Dieu, caché dans cette épreuve, attend de nous non des bondieuseries farfelues et affolées, mais l’accomplissement de notre devoir.

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Nous sommes convoqués à la fraternité du désert, coude à coude, cœur à cœur, pas à pas, croyants et incroyants, au seul titre de notre humanité partagée.

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Les conséquences individuelles et collectives de ce confinement général seront énormes. Nous vivons un basculement de civilisation. Ce qui nous arrive n’est pas un châtiment divin, mais un avertissement historique. Économiquement et humainement, cette crise sanitaire est un révélateur et un accélérateur. En l’espace de 15 jours, le paysage mondial s’est modifié de manière impressionnante. Nous espérons ressortir de tout cela plus humains, car nous sommes bel et bien dans l’urgence de retrouver l’essentiel. Envahis par la peur de la mort, nous prenons conscience de notre immense fragilité, alors que nous nous pensions surhumains, peut-être même déjà transhumains…
Nous allons devoir réviser nos priorités, dans le domaine de la santé, de l’écologie, de l’économie, de la culture, du religieux même ; nous allons devoir réduire la voilure, ou plutôt changer de voiles. La frugalité, dans tous les domaines, sera une des données majeures du monde à venir. Nous étions jusque-là des consommateurs de la vie : l’inouï de la vie fera notre émerveillement et appellera nos baisers encore pleins de larmes.

vendredi 27 mars 2020

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NOTRE COMMUNE PAUVRETÉ


À tous ceux qui, dans l'ombre, 
œuvrent auprès des plus démunis...


Une pensée aujourd'hui pour ceux que la nuit a saisis,
Plus qu'un poème, une lente litanie...
Comment se tenir proche,
Avancer à tâtons,
Tenter d'allumer des étoiles dans leurs yeux,
Faire que ces heures d'éloignement ne se déroulent pas sans eux ?

Il y a ces enfants que déjà la vie a meurtris,
Plus d'école, de cantines, ni de cours de récréation 
Pour respirer loin des coups, loin des cris :
Toutes ces douleurs qu'ils apprirent si tôt à cacher...

Il y a ces petits patients du couloir des cancéreux :
Il n'ont plus de visites.
Chaque semaine, la douce fée qui enchantait leur vie, 
S'asseyait à leur chevet, emplissant leurs chambres de contes lumineux,
Elle aussi est cloîtrée, désormais si loin d'eux...

Il y a ces femmes que la violence subie a rendues mutiques
Et qui partout cherchent de l'air :
Jusqu'alors, un peu chaque jour, elles pouvaient en trouver,
Respirer loin de cet enfer...

Il y a ceux qui sentent proche le frôlement de la mort...
Ils ne se sont jamais sentis aussi seuls.
Patiemment, ils ont appris à douleur
À faire le deuil de leurs proches, à s'en aller, à s'effacer sans bruit...

Il y a celui dont la compagne s'est éteinte
Et qui se trouve soudain seul, démuni, 
Préparant une célébration d'adieu sans témoins, 
Sans présences familières à ses côtés...

Et puis il y a le sans domicile auquel personne ne prête plus attention,
Auquel on ne demande même pas ses papiers,
Ni s'il est malade,
Ni s'il sait où s'abriter...

Il y a ces parents entre quatre murs, débordés,
Dépassés par l'instabilité de leurs petits,
N'entrevoyant plus qu'à travers des écrans illisibles
L'attention d'enseignants qui leur font tant défaut maintenant qu'ils sont sans relais...

Il y a aussi ces bienveillants qui voient venir la vague
Et qui s'affairent du mieux qu'ils peuvent
Pour protéger, pour soigner et sauver
Tout en évitant de se laisser eux-mêmes emporter...

Il y en tant et tant d'autres que l'on n'imagine même pas,
Tandis que, chaque soir, nous sommes abreuvés de consignes et de statistiques,
Ignorant tout des drames singuliers, vécus à présent incognito et sans filets...

Mais il y a encore nous tous qui pouvons écouter au fond de nous l'appel,
Le désir d'un matin printanier où nul ne serait plus indifférent,
Où toute fragilité serait enfin saluée.

Il y a notre vie patiente,
Capable de silence pour ceux que la douleur étreint,
De gestes et de paroles de tendresse,
De veilles et d'humbles traversées, 
De passages même silencieux,
Vers notre humaine, notre commune pauvreté. 

Jean Lavoué, 26 mars 2020 



















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jeudi 26 mars 2020

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Pour accompagner ce temps de confinement, et en communion avec tous ceux qui se battent contre la maladie ou qui souffrent, je suis heureux de vous partager en audio et vidéo (texte en pièce jointe) ce poème du 21 mars, mis en musique et dit par mon ami Pier d’Andrea :


Prenez bien soin de vous !
Très amicalement

Jean Lavoué, le 26 mars 2020









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mardi 24 mars 2020

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RESPECT


Puisque les chiffres chaque soir s'assombrissent un peu plus,
Élevons donc pour les matins 
Une pensée fervente !

Tournons-nous avec tendresse
Vers ceux qui consacrent leur vie,
À chaque instant en font l'offrande,
Pour sauver d'autres vies.

À cette manie calculante qui obscurcit,
Préférons l'affection matinale,
L'ardente gratitude adressée à chacun !

Saluons chaque présence vigilante,
Chaque geste protecteur,
Comme autant de bénédictions
À nous tous adressées !

Soignants, victimes, ils nous sont un chemin,
Témoins de nos liens si fragiles,
Notre faillible humanité.

Quand nous serons sortis de l'orage,
Garderons-nous leurs visages au fond de nous,
Comme bonté silencieuse, lampe dans la tempête,
Ou seront-ils effacés ?

Que l'un meure à nos côtés,
Qu'un autre au loin soit sauvé,
N'est-ce pas, au fond, notre chair vulnérable chaque fois dévoilée ?

Face à l'ennemi qui nous concerne tous
Dressons une aube fraternelle !

Faisons la paix avec chaque être,
Élevons en nous une arche de reconnaissance, 
Pleins de recueillement, de sollicitude 
Et de respect !

Jean Lavoué, 23 mars 2020 
Photo : le Dr Jean-Jacques Razafindranazy, 68 ans, urgentiste à Compiègne, premier médecin décédé du coronavirus en France.




















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dimanche 22 mars 2020

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CRISE, DANGER ET CHANCE

Soudain la machine tourne à vide,
La terre respire enfin ;
Une clef minuscule a pris possession de nos secrets les mieux gardés,
Nous a mis à genoux : 
Et nous voici calfeutrés,
Craignant partout l'intrusion d'un ennemi invisible.

Le monde a peur, 
Certains souffrent plus que d'autres,
Mais, paradoxalement, notre planète vit une sorte de cure de repos.
Nous craignons pour nos proches vulnérables
Et aussi pour nous-mêmes,
Tout ce qui allait de soi est soudain devenu si difficile,
Mais pourtant le ciel déjà s'éclaircit :
Nous aussi, au fond, ne respirons-nous pas mieux ?

Notre activité est au repos ;
Pourra-t-elle reprendre et surmonter cette lente léthargie ?
Tant d'efforts accumulés soudain mis à mal,
Nos monnaies et nos empires défaits...
Mais les arbres, les oiseaux, les insectes ont à nouveau une chance inouïe :
L'air pur leur est grâcieusement redonné !

Tout redeviendra-t-il comme avant
Et n'aurons-nous, alors, tiré aucune leçon de cette embellie au goût amer ?
Ou bien emprunterons-nous désormais des sentiers neufs,
Des chemins inédits,
Abandonnant l'inutile,
Ayant, une fois pour toutes, goûté à l'essentiel,
Entrevoyant même une issue à cette apocalypse que nos insomnies préparaient à bas bruit ?

Nous en tenir à l'indispensable,
Prendre soin de ceux qui nous sont proches,
Adopter la sobriété de l'herbe qui pousse,
Imiter son courage,
Regarder la nature enfin comme notre bien le plus précieux,
Ce trésor qui appartient à tous, 
Si désirable depuis que nous nous sommes remis à cultiver nos jardins,
A soigner les fleurs sur nos balcons, à y semer des graines d'espérance,
A donner de la nourriture aux oiseaux,
A nous saluer les uns les autres avec gratitude...

Quand reprendra le flux de nos activités incessantes, 
Saurons-nous oublier la démesure qui auparavant nous tenait ?
Nous souviendrons-nous qu'être vivant ne nous donne pas plus de droits qu'au moindre passereau,
Mais seulement celui de remercier et de rendre grâce pour le simple fait d'être là,
Ouverts à la profusion du monde ?

Aucun de nous n'a plus de mérite que le plus humble paysan d'Afrique, des Andes ou d'Asie
Dont la joie de vivre n'a jamais eu besoin 
De tous ces dominos de possessions que nous n'avons cessé d'accumuler
Et qui s'écroulent tout à coup :
Nos futiles jouets d'enfants qu'enfin, pour donner sa chance à la vie,
Nous serons peut-être prêts à remiser au grenier de nos passions tristes,
De nos allégresses oubliées...

Jean Lavoué, 21 mars 2020

















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jeudi 19 mars 2020

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NÉS POUR L'ÉTONNEMENT

Combien la vie nous paraît soudain proche et simple, 
Insaisissable et précieuse, 
En cette commune fragilité !

Ce que beaucoup d'entre nous endurent souvent seuls,
Dans l'ignorance du grand nombre,
Cette intensité menacée par le destin, l'accident, la maladie,
Ce souffle en nos poitrines aussi léger qu'une flamme, 
Cette lampe fragile,
Voici que, tout à coup, nous l'éprouvons ensemble,
Les plus forts conviés à prendre soin des plus faibles.

Ce temps de reflux,
À quoi l'occuperons-nous ? 
Nous laisserons-nous arracher,
Ne serait-ce que par clairières inattendues,
À la pesanteur des jours,
À leurs mille éclats dispersés,
Nous laissant saisir par la parole et par le chant
Frayant encore en nous un chemin ?

Et si le silence qui, malgré nous, s'accomplit, au fond, nous contenait ?
Si, même à distance, 
Nous étions soudain plus proches les uns des autres que nous ne l'avons jamais été,
Comme d'un secret pour lequel nous fûmes mis au monde !

Arpentons, immobiles, les chemins de notre vie,
Empruntons ceux par lesquels nous ne sommes encore jamais passés !
Laissons au plus lointain ce qui lui reviendra en son temps
Pour nous tenir au plus près de ce que nous sommes,
Nés, ici et maintenant, pour l'étonnement,
Emportés pour de bon par l'orchestre de l'instant, 
Confiés à l'émerveillement de vivre !

Jean Lavoué, 18 mars 2020

























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