Un seul ami
lointain
séparé
au plus près de l'âme
sera toujours
le meilleur chemin vers soi

Puisses-tu devenir nomade
arrimé pour toujours
à un visage qui t'appelle

Toi qui parlais dans tes livres
de déchirures
de traversées matinales
de blessures ouvertes
dis-moi encore de tes mots libres
la joie ivre du passage

Sois le frère de ma voie

Parfois l'écriture
laisse sur la page
la trace d'un grand feu

J'écris : la vie demeure
à jamais
par le miracle de ton visage

Il reste
un chant secret
que nul exil
n'a trahi

Il habitait une maison du bout du monde
Une terre possédée par les oiseaux de mer
On l'aurait dit héritier de leur race

Il se méfiait des rites
prenait garde à toute entrave
à son amour
se fiait à la parole de ses amis
Dieu est au-delà de Dieu

Si par mégarde
l'ordre s'emparait de sa vie
il cherchait aussitôt la lucarne
pour regagner le jour

La force qui lui manquait
c'est en y renonçant
qu'il l'éprouvait

Toujours recommencée
l’œuvre en soi du silence

J'écris pour laisser trace
de l'essentielle absence

Dans l'écriture
comme dans l'amour
ce qu'il cherchait
c'était l'enfance
le contre-chant
la déraison

C'est ainsi qu'il faudrait écrire
par touches successives
à la manière d'un paysage
qui se donne à mesure

N'espère rien de la ligne continue

Fais jouer la lumière

Invite les sommets
à reposer sur leurs bases

Assieds-toi
et contemple
amusé
le spectacle imprévu
de la parole

Si tu écris
fais-le avec ton sang
la plus belle part de toi
qui coule dans tes veines

Trouve ton chant
ton rythme
ta note fondamentale
puis accueille tout ce qui viendra
dans sa lumière

Où avait-il contracté
cette inguérissable habitude d'écrire

Quelques livres l'auront blessé
une parole
un souffle

Il a appris à vivre avec

Faut-il que flamboie la blessure
afin que germe la parole

Ta vie à jamais lestée
du poids d’un silence
Restent pour le regard
quelques traces d’oiseaux sur le sable

Et pour le chant
la musique du nom gravé

Soleil des grèves









Les haies
de la douleur
circonscrivent
des grèves d’or

La Pâque des mers
Anne-josé Lemonnier











Soleil des grèves

Ici
Où le pain que tu romps
Affranchit la demeure

Ici
Où s’accomplit le jour
Au levain de la joie

Ici
Où la lampe qui brûle
Annonce le matin

Ici
Où les oiseaux mêmes
Prolongent
La lumière

Ici
Où souffle un vent léger
Jailli du fond de soi

Ici
Où la fête va sans dire
Où les boiteux sont rois

Ici
Où toute marche naît
D’un vide qui t’appelle

Ici
Où l’inconnu partout
Entrouvre ses parois

Ici
Où chaque fruit
Qui tombe
Soulève
La terre entière

Ici
Où chaque homme
Qui meurt
Pousse ses branches
En toi

Ici
Où la fougère
Est mûre
Où la ronce rougeoie

Ici
Où toutes mains célèbrent
Que la forêt
Emploie

Ici
Où l’arbre qui fleurit
Sans fin porte le monde

Ici
Où les quatre saisons
De très loin
Se répondent

Ici
Où l’écorce du livre
Semble chercher le ciel

Ici
Où la feuille des mots
Tremble dans la lumière

Ici
Où tu demeures en toi
Familier de ta faim

Ici
Où tu poses
Ton pas
Dans l’humus des chemins

Ici
Où l’instant
Te saisit
T’emporte
Vers toi-même

Ici
Où la vie
Est entière
Où l’horizon
Est là

Ici
Où l’on entend bruisser
Le nom
Sur toutes lèvres

Ici
Où s’épouse l’attente
Où les voix
Parlent aux voix

Ici
Où la nuit en secret
Semble sculpter la pierre

Ici
Où la prière
Est nue
Mêlée
Aux choses mêmes

Ici
Où les regards
Se taisent
Où les paumes se rassemblent

Ici
Les heures
Où se rejoignent
Toutes les lignes de la main

Ici
L’accord qui retentit
Sous les voûtes du temps

Ici
Les arches du silence
Déployées
Au-dedans











Pèlerin du seuil

Dieu si jeune
Toi si vieux

Où est la différence

Tu n’oses ce mot
Mais toi
Tu le nourris

Au croisement
Des mains
Et du silence

L’arbre et l’oiseau
Auraient-ils eu raison de tout