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lundi 31 octobre 2022

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En solidarité avec les nombreuses victimes de la guerre en Ukraine, ce poème publié en mai 2006 dans la revue Hors-Jeu…






Par le ciel épargné
Par le juste tombé
Par l’âme qu’on assassine
Retiens la paix
Par la gorge serrée
Par l’oiseau qui se tait
Par l’aube que l’on devine
Garde la paix
Par le baiser perdu
Par le chant arrêté
Par la nuit confondue
Porte la paix
Par la fenêtre ouverte
Par le matin qui tremble
Par la joie redonnée
Étends la paix

Par la terreur glacée
Par la haine triomphante
Par la colombe tuée
Retiens la paix
Par le vol suspendu
Par l’instant qui gravite
Par le regard volé
Garde la paix
Par le soleil taché
Par trois gouttes de sang
Par l’espoir envolé
Porte la paix
Par le ciel ton ami
Par la rose coupée
Par la source endormie
Étends la paix

Par l’enfant que j’étais
Par la beauté trahie
Par l’astre qui n’est plus
Retiens la paix
Par le sel de tes larmes
Par la peur familière
Par les journées vaincues
Garde la paix
Par le bonheur gagné
Par la vie déployée
Par la confiance nue
Porte la paix
Par la fraternité
Par la gerbe nouée
Et par le pain rompu
Étends la paix

Par les greniers vidés
Par le grain dispersé
Par la moisson ardente
Retiens la paix
Par la folie têtue
Par l’âme prisonnière
Par le mensonge armé
Garde la paix
Par le chant par le rire
Par les voix du bonheur
Par toutes tes enfances
Porte la paix
Par l’attente étonnée
Par le silence aimé
Par les mots dans le cœur
Étends la paix

Par l’éclat des douleurs
Par la plus lourde branche
Par la mort devancée
Retiens la paix
Par l’écriture blanche
Par le poème dressé
Par la juste ferveur
Garde la paix
Par la route qui est longue
Par la terre qui est ronde
Par le feu des chansons
Porte la paix
Par le soleil qui luit
Par le vent qui dessine
Par la vie qui chemine
Étends la paix

Par l’âme qui se souvient
Par le chant retrouvé
Par le sourire ailé
Retiens la paix
Par les mille couleurs
Par l’arc-en-ciel en fête
Par la terre incendiée
Garde la paix
Par le geste qui invite
Et le jour qui se lève
Par le visage neuf
Porte la paix
Par la main qui console
Par la tendresse offerte
Par ton rire étoilé
Étends la paix.

Jean Lavoué, Hors Jeu, n° 49, mai 2006
Poème dédié au frère Roger de Taizé assassiné le 16 août 2005

















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dimanche 30 octobre 2022

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Aujourd’hui et demain, L’enfance des arbres participe à Carhaix au Festival du livre en Bretagne. L’occasion de présenter trois nouveaux ouvrages dont je vous parlerai davantage prochainement :

* Georges Perros… La vie à pied d’œuvre de Christophe Thiébault, préfacé par Thierry Gillyboeuf
* Michel Remaud, un cheminement pictural d’Alain-Gabriel Monot 
* Un voyage intérieur, Cheminer vers soi sur les pas du Petit Prince de Muriel Mazet 

Aujourd’hui, Jean-Pierre Boulic, signe ses ouvrages publié par L’enfance des arbres : Tisser les couleurs du silence et À la cime des heures.












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vendredi 28 octobre 2022

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Tes mots ne sont pas encore assez simples
Pour s’adresser en chacun
Au cœur de l’enfant ébahi,
Avec des silences d’arbres et des chants d’oiseaux.

Le retournement urgent que nous avons à faire
Va pourtant vers le plus dépouillé :
Cela, nous le savons obscurément depuis longtemps
Mais l’avons-nous pour autant bien compris ? 

En de somptueux effacements,
L’automne commence à déposer en nos paumes démunies
Une belle moisson de couleurs et de promesses.

Efforce-toi d’écouter
La parole du vent dans les branches :
Dans le dénuement qui lui répond,
Tu entendras peut-être le chant secret,
À chaque instant, qui te relève.

Si tu parvenais à sentir chaque fibre du bois,
C’est sûr, tu aurais le ciel à portée de doigts
Et sa musique dont les harmoniques
S’élargiraient sans fin à l’intérieur de toi.

Sentir vibrer en soi sous l’archet
La corde la plus ténue,
C’est s’ouvrir aussitôt à la symphonie
Dont la terre est le sacre.

Nous allons ainsi à pieds d’anges 
À l’intérieur de nous-mêmes 
Comme on foule pour la première fois 
L’herbe des matins du monde.

Jean Lavoué, 26 octobre 2022
Photo Jackie Fourmiès






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jeudi 27 octobre 2022

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Il faut creuser seul dans sa nuit
Sans se laisser dérouter 
Par les éclats trop purs !
Ne sont-ils pas indices,
Filantes étoiles, 
De l'ombre traversée ?

Ce qui nous guide,
C'est la terre obscure
Où nous sommes plantés. 
Quand nous allons trébuchant,
Nos pieds dans la boue et nos mains dans la glaise,
Nous ne nous trompons pas. 

Viennent pourtant des jours transparents
Alors que nous avons frôlé le pire,
Des matins encore hantés par le noir des tempêtes,
Des traces lumineuses rescapées de quelles ténèbres ?

C'est ainsi que nous naissons
De nos déroutes et de nos famines,
Dépouillés de tout,
Nous ne savons comment.
Nous advenons un jour,
Sans carte ni boussole,
À cet espace délivré
Avec juste ce qu'il faut de ciel sur le visage.

Jean Lavoué, 1er septembre 2020 
Photo : tableau de Pierre Soulages, détail
En hommage à Pierre Soulages qui savait conjuguer avec génie le noir et la lumière.














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lundi 24 octobre 2022





 


Dévoilée par le chant du silence

Autant que par celui de la terre, des oiseaux ou des saisons,

Les battements d’ailes de l’âme révèlent en nous  

La jeunesse sacrée de toute vie.


Par eux, nous sommes unis

À la fine présence vibrant, 

Belle, humble et fragile,

En tout être provisoire et mortel.


Leur éclat vif et pauvre est aussi sûr en nous

Que la sève secrète dans la nuit de l’arbre

Aspirant à la pleine lumière de la cime.


Par eux, nous sommes emportés

Vers l’émergence d’un amour 

Dans la communion duquel germe sans cesse

Une nature toujours en genèse.


Nous ne pouvons nommer

Le frémissement dont ils manifestent en nous 

Le souffle obscur 

Mais nous y reconnaissons pourtant

La source de notre chant. 


L’âme est devenue un mot

Tellement encombrant pour notre époque

- Nous en avons privé la Terre-mère elle-même -

Que rares sont ceux qui croient entrevoir encore

Son murmure de fin silence

Et son léger cillement de joie ;


Notre monde de démesure et de domination

Lui a tourné le dos :

Il exploite toutes choses en ignorant cette part sacrée 

Mais elle se tient à l’écoute

En tout être conscient de recevoir sa vie

De plus grand que soi. 


Jean Lavoué, 23 octobre 2022

Photo JL La Chesnaie 9/10/22






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samedi 22 octobre 2022

 

En exergue du nouveau livre de Christian Bobin, Le muguet rouge, ces mots de Nadejda Mandelstam : « Mandelstam racontait qu’ayant entendu pour la première fois le mot « progrès » à l’âge de cinq ans, il avait fondu en larmes, pressentant quelque chose de fâcheux. »
Christian Bobin à son tour dans son livre sonne le tocsin : « Quand en aura-t-on fini avec cette foi stupide en un “Progrès” qui va résoudre les problèmes du “Progrès” ? Comment demander à ce qui nous tue de nous ressusciter ?… L’absence, le vide, le manque, qu’avez-vous fait d’eux ? Ce sont notre seul bien… Est-ce que, par la parole, nous allons enfin ouvrir une fenêtre dans ce monde qui nous étouffe ?… L’âme est une espèce à protéger. »
Rencontre dans le journal La Vie de cette semaine avec un passeur d’ « âme »…

JL





CHRISTIAN BOBIN
La Vie 20 octobre 2022

« L’âme est une espèce à protéger »

INTERVIEW MARIE CHAUDEY
PHOTO DENIS MEYER / HANS LUCAS

Le poète du Creusot revient avec le Muguet rouge, un recueil plus mordant que jamais sur notre modernité. Et un Quarto Gallimard regroupe 17 œuvres de ce rebelle contemplatif.

Le Muguet rouge, au titre énigmatique, est un petit livre aiguisé comme une lame, qui rentre dans le dur de notre modernité. Le poète en colère y moque les économistes – ces « bouilleurs de chiffres », fustige la folle vitesse qui régit nos vies. Dans le collimateur de Christian Bobin : les écrans qui absorbent notre temps de cerveau disponible, happent nos esprits mais aussi nos cœurs. Les métaphores s’enchaînent – « l’œil du cyclope », « le Gutenberg du diable », « le miroir des aveugles »… Haro sur « les chiens électroniques » qui nous tiennent en laisse au quotidien. L’heure est grave et le poète, plus vigilant que jamais.

LA VIE. Votre recueil porte une férocité nouvelle, pourquoi ? 

CHRISTIAN BOBIN. Parce que le temps presse. Les cavaliers de l’Apocalypse sont arrivés à notre seuil, ils attendent que l’on ouvre. Et même à travers le bois de la porte, ils nous regardent… Je souligne que, dans son sens originel, l’apocalypse n’est pas une fin du monde, mais d’abord un dévoilement. Et précisément, c’est celui-ci que nous refusons : nous ne voulons pas voir ce que nous avons fait à cette terre et ce que nous sommes devenus. La situation a été tenable un moment, mais désormais elle se retourne contre nous. Dans la Bible, les quatre cavaliers de l’Apocalypse du texte de Jean (Apocalypse 6) amènent la guerre, les épidémies, le désordre financier et le feu de la nature… N’avons-nous pas chacun de ces maux devant les yeux tous les jours ? Nous en sommes arrivés à un abaissement spirituel, l’âme est devenue une espèce à protéger. Je me suis dit qu’il était peut-être temps, au moins une fois, au moins dans ce recueil, de voir au mieux, et d’aider le lecteur à voir lui aussi. Simplement voir. Loin de moi l’intention de faire un livre de morale – je n’aime pas ça de manière générale : le confort des sièges bien rembourrés pour le bien, et l’inconfort du petit tabouret boiteux pour le mal. Ce recueil n’est pas non plus un condensé d’opinions et de pensées. Je nourris juste l’ambition que le langage, en se densifiant jusqu’à son point de brûlure, ait une chance de réveiller quelque chose chez quelques-uns.

« La mort devenait de plus en plus miniaturisée, des paillettes électroniques dans ses cheveux de cendre » : vous y allez fort !

C.B. Je ne souhaite pas non plus que l’on sorte déprimé de cette lecture. Car la fin du monde, c’est à chaque seconde, depuis que nous sommes nés, depuis toujours pour toute l’humanité. Pour l’homme des cavernes, la fin du monde commence par un grognement qui sourd du noir de la grotte où il a cru trouver refuge. Aujourd’hui, pour nous, la fin du monde est en jeu dans le dialogue des êtres et dans le maintien de l’humain à l’intérieur de l’humain. Elle n’est pas tant dans les machines, même si celles-ci aident beaucoup à notre destruction, mais elle est d’abord dans le face-à-face – comme aurait pu le dire le poète Jean Grosjean : est-ce que toi qui me parles tu es là ? Est-ce que moi qui te réponds je suis là ? Est-ce que, par la parole, nous allons enfin ouvrir une fenêtre dans ce monde qui nous étouffe ? La chance de créer cette brèche est toujours possible, mais il y a urgence. J’ai écrit ce livre en croisant deux sortes de paille : la paille sombre d’aujourd’hui – on nous fait avaler par jour l’équivalent d’un siècle entier de poison et de désastre – et puis la paille toujours existante, parce qu’invincible, de l’invisible : celle de l’amour quand il est à son point d’envol entre deux êtres ou celle d’un poème qui est encore vivant alors qu’il a été écrit il y a quatre siècles – les absents aussi peuvent nous aider. Mais il faut d’abord voir en face le mal qui vient : pour se sauver, on doit reconnaître son étendue.

N’y a-t-il pas deux visages différents de la mort, que vous opposez dans le Muguet rouge ?

C.B. En effet, il y a une mort dont on se remet paradoxalement assez bien, c’est celle qui arrive à chacun de nous par la loi de la nature. Une fleur éclôt sur terre, donne sa lumière, séduit quelques abeilles et, le soir venu, se replie sur elle-même, fane et meurt. Il en va de même pour nous : nous sommes voués à une mort qui n’est pas un abandon de souveraineté mais une métamorphose. C’est une chose qu’il serait folie de vouloir empêcher, comme les apprentis sorciers de la Silicon Valley en ont le sinistre projet. Car la mort est un sacre pour chacun, fut-il le plus pauvre ou le plus mal famé, on est confié à ce moment-là aux bras innombrables de l’invisible. Mais il y a une deuxième sorte de mort, dont il est difficile de sortir une fois qu’on y est entré. Elle est à l’intérieur même de la vie courante et nous est donnée par les injonctions du monde et la nécessité non expliquée de penser et d’agir de plus en plus vite, d’aimer de moins en moins, de vouloir de plus en plus. Cette mort-là, absolument désolante, dont personne ne porte le deuil, j’ai souhaité la montrer au plus près dans le Muguet rouge. C’est une mort sournoise qui commence par vider les yeux, et ensuite le cœur.

Votre ville du Creusot est une cité marquée par l’épopée industrielle : avez-vous ressenti ses méfaits dès votre jeunesse ? Vous mettez un P majuscule ironique au mot progrès…

C.B. Le « Progrès » a pris la place de Dieu. Il y a cette croyance absurde et morbide qu’il suffit de continuer sur sa lancée pour s’en sortir : qu’en élargissant la tache, on va la faire disparaître ! Quand en aura-t-on fini avec cette foi stupide en un « Progrès » qui va résoudre les problèmes du « Progrès » ? Comment peut-on demander à ce qui nous tue de nous ressusciter ? Durant mon enfance, au long des années 1950-1960, l’épopée industrielle et technique commençait déjà à s’essouffler. J’ai senti le poids des choses en train de s’effondrer sur elles-mêmes. C’est en en prenant le contre-pied que j’ai voulu écrire. Ce n’est pas un hasard si j’essaie de faire de l’écriture un rameau aérien, quelque chose de plus léger que la légèreté même. Parce que j’ai baigné dans cette atmosphère d’une cité dite « ouvrière », presque pharaonique à l’époque : je voyais les esclaves égyptiens défiler sur leur vélo pour répondre à l’appel des usines. Ils avaient une fierté – que je comprends d’ailleurs, parce qu’on leur donnait encore à l’époque une reconnaissance pour ce travail. Et en échange, on leur offrait une protection – tout cela a disparu très vite. J’ai connu cet univers par sa surface très pesante et par son dogme du travail – un monde qui nous empêche d’être… C’est parce que j’aime les gens que je n’aime pas le monde. J’ai connu la puissance financière, orgueilleuse, matérielle et tellurique du monde. Elle a ses beautés, comme un volcan a ses éclats. Mais il m’a paru nécessaire de sortir très vite de là pour rencontrer quelqu’un, pour avoir la chance de donner leur vie pleine aux chansons d’amour du XVIe siècle. Et je peux témoigner qu’elles sont vraies, dans une amitié profonde entre deux personnes, dans un lien qui n’est plus d’avidité ni d’emprise, mais de respiration commune, enjouée et élargie.

« L’absence, le vide, le manque, qu’avez-vous fait d’eux ? Ce sont notre seul bien », affirmez-vous…

C.B. Ces choses-là sont la source de la beauté. C’est de nos nuits de désespoir que va fleurir une glycine qui se penche par-dessus un mur. C’est de nos déchirures, de nos doutes et de nos manques que naissent des palais dans les cieux et toutes sortes de printemps imaginables. Si nous nous coupons de ces racines profondes, alors nous nous coupons des fleurs et des fruits qui viennent après et naissent d’elles. Il y a un lien entre la plénitude et le manque, entre le visible et l’invisible. Je n’écris pas pour réparer, je n’ai pas cette prétention-là, mais pour faire se rejoindre ce qui a été disjoint par notre inattention, notre paresse, et par la violente modernité. J’écris pour qu’on puisse à nouveau ressentir le frôlement de l’invisible dans le visible, ici-bas. Je ne dis pas qu’il y a un autre monde, je n’en sais rien, bien que j’en aie souvent le soupçon. Mais je dis qu’à l’intérieur de notre monde terrestre, il y a des choses à la fois faibles et immortelles, très précieuses, qui nous mettent leur main sur l’épaule et nous demandent de faire attention à nous. J’écris en espérant faire entendre cette parole que nous massacrons avec nos bruits, notre avidité et notre insensibilité grandissante.

Votre recueil ouvre sur ces mots : « Mon père mort me montre deux brins de muguet rouge. » Pourquoi cette couleur ?

C.B. Je ne suis pas l’auteur de l’expression, c’est bien mon père disparu qui m’a nommé cette merveille dans un rêve que j’ai fait. Tout vient d’une parole, comme une étoile descendue dans le puits du sommeil et qui m’a donné ce cadeau incroyable du livre entier, en fait. Car mon père m’invite ensuite à chercher ceux qui cultivent le muguet rouge : ils sont de sa famille et il me pousse à les reconnaître. Une fois éveillé et me mettant à écrire, le muguet rouge m’est apparu comme un paradoxe vivant. Dans l’imaginaire, le muguet est nécessairement vert et blanc. Mais qu’est-ce qui existe et qui n’existe pas ? C’est Dieu, c’est l’amour et c’est le muguet rouge… C’est une grande vertu tantôt de ne pas être là, et tantôt d’être là, cela permet d’échapper à toute incarcération dans un dogme, dans une définition et un confort. J’ai reconnu que ceux qui étaient porteurs du muguet rouge, ce rouge battant du cœur, sont pour la plupart des inconnus qui aident à maintenir le monde à flot, à ne pas avoir le souffle complètement brisé, et peut-être même à commencer un début de réenchantement. La confrérie du muguet rouge est une sorte de compagnie secrète…

… qui seconde le poète ?

C.B. Si le poète a un rôle, c’est de rehausser le langage à son point d’incandescence. C’est par les yeux du langage que nous voyons. S’ils se sont fermés à force de publicité et d’abrutissement, qu’au moins quelqu’un ici ou là redonne à ce langage sa splendeur native, et nous remette au premier matin du monde, qui peut toujours venir. La fin du monde est juste à côté du premier matin du monde. Ce n’est pas si compliqué de tenter un pas de côté : il peut être fait à tout moment, même aujourd’hui alors que nous commençons à payer le prix fort. Comment ne pas voir le paradis à côté de l’enfer ? Mais désormais, l’enfer est tellement ronronnant que nous perdons même de vue son voisin. Au fond, sans lâcher une seconde un instinct contemplatif, c’est pour donner à la douceur réelle des choses sa vraie lumière qu’il m’a fallu éclairer aussi la face sombre du monde. Mais les choses d’esprit sont vivantes à jamais et pour toujours. Le sourire de mon père, qui a déjà eu lieu il y a plus de 20 ans, hante mes livres. Les vrais instants ne sont jamais pris par le temps, car ils étaient déjà saisis par l’éternel. Écrire, c’est travailler du côté de l’éternel, je suis un petit soldat au service de l’invisible, un simple maquisard.

À vos yeux, « cimetières et librairies sont les derniers endroits civilisés ». Pour quelles raisons ?

C.B. Pour une revue de bibliophiles, j’ai écrit un jour un petit texte que je n’ai d’ailleurs pas retrouvé. J’ai inventé un gardien de cimetière, qui, un peu lassé par la monotonie de son métier, inscrivait sur les tombes des gens des titres de livre s’accordant à leur personnalité et leur vie passée. J’ai ainsi rassemblé les deux sujets qui m’importent : les livres et les disparus. Les vies sont comme des livres, et les livres sont comme des vies, les deux sont vivants… Les deux sont inséparables. Il faut que dans la vie tout soit vivant, qu’entre nous tout soit vivant. Il faut que chaque phrase d’un livre soit bondissante comme un enfant qui va au réveil déranger le sommeil de ses parents. Et c’est ainsi que l’humanité peut s’en sortir…

À LIRE

Le Muguet rouge, de Christian Bobin, Gallimard, 12,50 €.
Les Différentes Régions du ciel. Œuvres choisies, de Christian Bobin (l’écrivain ouvre la nouvelle collection des Voix contemporaines), Quarto Gallimard, 26 €.

mercredi 19 octobre 2022

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Mes premiers mots sont souvent
Pour l’herbe pauvre des chemins :
Elle nous rappelle sans bruit
De quel humus nous sommes.

Elle est rarement seule,
Faisant bon ménage avec l’ortie,
La fougère, les feuilles mortes, le pissenlit,
Et tout un peuple d’insectes 
Se faufilant entre ses racines.

Elle n’a rien à amasser 
Mais se contente de purifier
L’air que nous respirons :
Elle semble avoir gardé intacte en elle
La bénédiction des premiers jours.

Elle ne se compare pas ;
L’arbre est pour elle un miracle
Qui l’éblouit. Le moindre arbuste,
Un don de vie que l’ombre réconforte.

Elle partage sa présence
Avec tous les vivants 
Et se laisse parfois manger
Sans n’y trouver rien à redire.

Elle participe, simple et joyeuse,
Au grand ballet de l’existence,
Ignorant qu’elle nous donne ainsi chaque jour
Des leçons de sagesse.

Sa sobriété est allègre,
Elle s’abandonne à l’abondance
Autant qu’au dénuement des saisons ;
Elle n’enlève rien à la terre qui la nourrit,
Mais elle la couvre et la protège.

Elle n’aurait pas l’idée de s’abriter
Ni de faire des réserves :
Vent, pluie ou neige, elle se revêt  chaque soir 
Du manteau mystérieux de la nuit
D’où elle contemple à l’infini
La moisson du Vivant étoilée. 

Peut-être, au fond, perçoit-elle mieux que nous
Le don généreux dont elle est le simple signe
Et dont nous sommes, nous aussi, les fruits.

Jean Lavoué, Le Blavet, 18 octobre 2022
Photo JL 18/10/22













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lundi 17 octobre 2022

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Les chemins de mer
Jubilent sous le ciel d’automne 
Tandis que nos cœurs se portent
Au chevet de la terre. 

Comme tout parait calme encore
Face aux orages qui nous menacent
Atteignant déjà les plus pauvres,
Submergés par les moussons,
Affamés par les sécheresses et les canicules écrasantes.

Beaucoup se noient pour tenter de nous rejoindre 
Mais nous regardons ailleurs,
Poursuivant notre course folle,
Obsédés par le niveau de nos carburants,
Quand il nous faudrait apprendre à marcher
Au pas lent des arbres et des matins. 

Nulle sagesse, nulle fraternité ne nous viendront de nos outils
Ni de la science
Mais peut-être de l’écoute silencieuse de la sève
Veillant depuis la nuit des temps
Sur nous et sur la beauté de notre planète. 

Jean Lavoué, Festival de l’Écologie, Saint-Jacut-de-la-Mer, 15 octobre 2022
Photo JL, pointe de Saint-Jacut, 15/10/22










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