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dimanche 3 décembre 2023

 





Taire le secret qui nous habite
Pour le laisser se révéler 
Dans la moindre rencontre 
Le moindre éclat qui nous fait signe
D’un sourire venu des cieux

Ne rien nommer
De cette conscience lumineuse
Mais au contraire s’enfouir en elle
Dans la clarté d’un silence
Dont elle est l’arbre de joie 

Laisser le souffle nous guider
Dans l’inconnu des jours
Vers ce noyau brûlant
Cette vie partout répandue
Comme la signature d’un amour

Porter en soi la lampe
Qui en tous lieux illumine
Et trouver son reflet
Dans chaque parcelle de l’univers
L’éclat de tout regard

Recevoir ainsi son existence 
Transfigurée par la beauté 
Dont le monde est le berceau 
Accueillir d’où qu’il vienne
Le vent du souffle qui nous traverse

Devenir aussi unis
Que le fleuve à l’arbre
Que l’anneau à la nuit
Accueillir en soi l’étoile
Qui nous précède vers l’enfance 

Jean Lavoué, 2 décembre 2023, veille de l’Avent
Photo JL 2/12/23, reflets d’arbres sur le Blavet dans la lumière du soir 
www.enfancedesarbres.com





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samedi 2 décembre 2023

 En juillet 2020, Magda Hollander-Lafon traversa des jours difficiles et incertains sur le plan de sa santé. Par l’intermédiaire de sa fille Elisabeth je lui avais fait parvenir pendant quelques jours ces petits textes poétiques… Hier, lors de la célébration de ses obsèques, son amour de la poésie fut honoré par la lecture de cet extrait des Lettres à un jeune poète de Rainer Maria Rilke qu’elle aimait particulièrement : « Il ne faut jamais désespérer lorsqu'on perd quelque chose, un être, une joie ou un bonheur ; tout reviendra, plus magnifique encore. Ce qui doit tomber tombe ; ce qui nous appartient vraiment nous reste, car tout se produit selon des lois qui dépassent notre sagacité et avec lesquelles nous ne sommes qu'apparemment en contradiction. Il faut vivre en soi-même et penser à la totalité de la vie, à tous les millions de possibilités, d'immensités et d'avenirs qu'elle contient, face auxquels il n'y a rien de passé ni de perdu. »


JL 2/12/23





Où que tu sois sur le chemin
    À chaque jour son petit bout de ciel bleu
    Qui vient frapper doucement aux carreaux de l'âme
 
    Jean
 
 
    "Donne-moi chaque jour une petite ligne de poésie , mon Dieu,
    et si jamais je suis empêchée de la noter, n’ayant ni papier ni lumière,
    je la murmurerai le soir à ton vaste ciel.
    Mais envoie-moi de temps en temps une petite ligne de poésie."
 
    (Etty Hillesum)
 

Instant de communion
En un souffle fragile
Ces mots penchés vers toi
Telles graminées au vent
 
Quelques pattes d'oiseau
Sur le sable du jour
Rumeur d'une présence 
D’une vague familière 
 
Ou bien main qui se pose
Sur la main du silence 
Pour renouer sans fin
Le fil de la merveille 
 
Jean, 15 juillet 2020
 

Aujourd'hui, chère Magda,
Juste trois petites notes de douceur
Pour accompagner d'œillets et de tendresse
Ce chemin vers la mer.
 
Jean, 14 juillet
 

Penser à toi Magda
C'est penser à un puits au désert
Où notre âme se rassure
 
Que tu te sois ainsi tenue 
Comme un jeune plant d'olivier
Enraciné dans la terre bouleversée de ta jeunesse
Nous donne d'avoir le courage
De nous mettre debout à notre tour 
D'accepter avec toi les quatre petits bouts de pain
Que la vie nous tend à travers l'obscurité des jours
D'entrevoir ton regard lumineux
Dans la nuit de l'espérance 
Et de garder ainsi ouvert
Le journal de notre confiance
 
Gratitude à toi Magda
D'être lumière sur la route
Assurance en nous d'un matin
Dans l’abandon à Celui qui te tient la main
 
13 juillet 2020 
 

 Quelle aube se prépare, chère Magda,
Bergère du courage,
Familière de la joie ?
Au jardin de ton cœur
Les arbres sont en fleurs
Et les roses jubilent !
Tous ces jeunes fervents que tu as su convaincre
Sont là qui te saluent.
La vie l'emportera sur les ombres tenaces :
Comme toi ils se tiendront courageux et debout,
Enracinés dans la confiance,
Pleins d'audace pour le jour qui vient.
Tu peux t'éloigner l'âme en paix,
Tout ce que tu as semé germera
Dans l'âme de ce monde :
Ta foi et ta tendresse,
Le feu de l'espérance.
Tu rejoins tant d'amis, d'amies qui te devancent,
Etty dont le chant reste à jamais gravé
Au fronton de nos nuits,
Christiane dont les derniers fragments
Brûlent en nous d'une flamme qui ne s'éteint pas.
Nous sommes là silencieux,
Nos mains posées sur la paume de ton amour.
Nous sèmerons avec toi les graines de la vie,
Nous ne lâcherons rien de l'affectueuse vigilance,
Cet élan généreux que tu nous as appris,
Nous laisserons croître en nous tout ce qui ne meurt pas,
De tout notre être, nous servirons avec toi 
Les promesses du matin.
 
Jean Lavoué, 12 juillet 2020

Photo Visite de Magda à des élèves d’un collège d’Avranches en 2018







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vendredi 1 décembre 2023

 

C’est aujourd’hui le jour de l’au revoir à Magda en l’église Saint-Augustin de Rennes où je me rendrai pour 14h30. Voici un dernier témoignage à son sujet. Ce texte, écrit suite à une conférence qu’elle avait donnée chez les amis Chantal et Philippe Dufief de la librairie « Quand les livres s’ouvrent » de Lorient, a été publié en 2016 chez Mediaspaul dans mon ouvrage « La vie comme une caresse : Dieu nous sauve par sa tendresse ».

JL 01/12/23





Madga Hollander-Lafon,
le partage du pain de Vie


A chaque minute, chaque seconde, Magda rend grâce à la vie. Magda n’est pas heureuse : elle est joyeuse ! Elle n’oublie pas de quel enfer elle vient. Mais elle a décidé d’en faire, une fois pour toutes, le terreau d’une gratitude, l’humus d’un amour pour chaque être humain. Le lieu sacré d’une reconnaissance pour ce qui en l’homme passe l’homme. Pour ce reste d’humanité qui ne peut pas mourir, même dans les circonstances les plus extrêmes, les plus désespérées.
Magda, dans deux petits livres de feu, a donné son témoignage[1]. Elle dévoile le fruit de ce qui en elle a survécu, s’est déployé, au fil des années, en une immense cantate de gratitude et d’amour. De plénitude de vie ! Elle ne décrit pas l’enfer. Elle raconte. Elle fait le récit de ses métamorphoses. Elle dit comment elle s’est laissée transformer et comment la mémoire, par bribes, lui est peu à peu revenue. Parfois par fulgurance. Tel ces quatre petits morceaux de pain moisis qu’une main de miséricorde lui a un jour donnés. Et la voix de la femme qui accompagnait ce don, et cette main tendue, disaient très fermement en cet instant retrouvé de douceur et de grâce : « mange et tu vivras ! Il faudra que tu racontes ce que nous avons vécu ici pour que plus jamais le monde ne connaisse cela ! » C’est d’un rêve que ce morceau de réel a jailli, d’une déchirure dans la toile obscure du temps : cet éclat de lave brute, enfouie dans la chair du souvenir. Et c’est alors que la colère qui la tenait encore parfois à l’égard de certains propos inconscients qui pouvaient nier ce qui était arrivé à son peuple, ou pire encore, le justifier, s’est subitement transformée en joie ! Depuis, Madga a fait de cette brûlure du soleil sur son cœur un viatique pour toutes les traversées à venir.
Magda transmet aux jeunes, aux adultes, à tous ceux qui veulent bien venir l’écouter, cette joie réconciliée, cet amour incandescent qui se sont peu à peu emparés d’elle. Et aussi ce burinage de ses peurs, de ses culpabilités. Elle invite chacun à se laisser ainsi défaire de tant d’entraves, de tant d’obstacles à la vie ! Pourquoi moi vivante quand tant d’autres furent par millions engloutis ? Quand des visages proches, tendres ou bien durs, épousant la même courbe des jours, le même terreau d’épreuves, la même densité de souffrances inassimilables, furent à jamais effacés !
Elle ne juge pas. Elle ne condamne pas. Elle sait qu’elle aussi, il lui fallut parfois se faire complice du mal pour échapper au mal. Dérober ici ou là à d’autres la nourriture essentielle à sa survie… Car c’est avant tout sur elle qu’elle dut compter, demandant à son corps, le priant, le suppliant parfois, de la soutenir en toutes circonstances. Se parlant ainsi, chaque jour, elle sut mettre à distance ce qui aurait pu l’anéantir. Comme elle parla à Dieu aussi ! Engageant un véritable combat avec lui : lui adressant tous ces reproches ; lui faisant part de tant d’incompréhensions…
Puis, ayant survécu, étant sorti de cet abîme, elle continua à le chercher en toute main, en tout visage, en tout sourire, en toute parole d’humanité qui se donnerait la caresse de la Vie. N’est-ce pas son principe de Vie qu’elle désirait par-dessus tout, son Verbe, son Germe créateur ? Pas des explications, pas des théories ! C’est ainsi qu’elle découvrit le Christ... Au fil d’une longue explication grammaticale où elle cherchait à se familiariser avec la langue française et où elle faillit abandonner, elle finit par comprendre, en un éclair, que Verbe, Il était avant tout le soleil de la phrase, son rythme et sa musique, sans lesquels aucun sens ne se donnait : cœur du Poème ! Douce Visitation au sortir de ces années de doute, d’effondrement et d’errance ! Il lui avait fallu pousser tant de lourdes portes, surmonter tant d’obstacles, avant de se trouver un jour saisie par la haute tendresse d’un tel Amour !
Magda est venue le temps d’une soirée à Lorient dire sa reconnaissance à tous ceux qui ont accepté de venir l’écouter, de lui poser une question, de lui adresser un geste de connivence et d’amitié, de se laisser gagner par le feu de la rencontre. Car elle ne fait pas de conférence, n’a pas de discours tout préparé ! Elle laisse venir dans un partage intense les fruits que lui inspirent tous ces visages attentifs, ces regards confiants, ces interrogations secrètes, ces vies qu’elle sent, à chaque instant, chaque seconde, capables, tout comme la sienne, de basculer : riches d’insurrection, de retournements, d’abandons confiants, d’élans bouleversés !
Ainsi de cette femme dont la mère connut, elle aussi, la geôle nazie. Dans un autre camp que celui qu’eut à subir Magda, mais qu’importe ! L’une comme l’autre, la mère de cette femme et Magda, avaient le même âge quand elles furent internées : 16 ans. Et si Magda par la suite ne parla guère à ses enfants, ne trouvant pas les mots pour dire ce qu’elle avait subi, ne voulant pas non plus les écraser du poids de cette nuit, cette autre femme, elle, choisit pour confidente, parmi ses autres enfants qui furent préservés, l’une de ses filles : précisément cette femme qui se tient là parmi nous ce soir et s’adresse à Magda, tellement remuée par sa parole, son rayonnement, sa présence même. Il lui fallut alors, témoigne-t-elle, porter elle-même et transmettre, sans le vouloir, à ses propres enfants, voire à ses petits enfants, certains des démons que sa mère lui laissa entrevoir… mais, à travers plusieurs thérapies, nous confie-t-elle, elle fit ce travail d’apaisement intérieur pour elle et pour tous les siens ; pour sa mère aussi. Ses proches le poursuivent… Ce dont Magda l’honore et la gratifie… Ce même travail que Magda dut faire de son côté pour elle-même… Et qui n’a pas de cesse…! Et l’on sent, à cet instant, passer entre nous ce baume de tendresse déposé sur tant de plaies dont ces femmes sont les vivantes messagères, témoins pour aujourd’hui : ces femmes portant les onguents et les aromates pour oindre le corps de Celui qui les sauve. Ces femmes qui se sont réconciliées avec leurs propres blessures, avec celles qu’on leur infligea. Ces femmes qui ne se posent jamais la question du pardon dans l’absolu, tournées vers la face inaccessible, étrangère et méconnaissable de leurs bourreaux. Mais d’abord vers elles-mêmes et vers les mille facettes de leur propre culpabilité, de leurs refus de vivre, de leurs peurs qui tenaillent : tous ces obstacles à l’insurrection intérieure et à cette brisure de la pierre obstruant leurs tombeaux. C’est de cette résurrection là dont nous sommes témoins en écoutant Magda, petite sœur du Christ, mais tout autant, et peut-être avant tout fille de son peuple, portant à tout jamais en son cœur mémoire de l’Eternel !
Magda fait confiance à la jeunesse du monde comme elle fait confiance à tout cœur se laissant toucher, à tout regard traversé par le souffle d’un amour. Et c’est elle désormais qui voit le monde avec ces yeux gagnés par la lumière d’un jour qui ne finit pas.
C’est matin de Toussaint tandis que j’écris ces mots de reconnaissance. Et c’est vraiment l’aube pour ces femmes que nous portons au cœur et qui se rendent dans le jour à peine frémissant vers la fontaine de leurs amours. Elles savent qu’elles y gagneront des frères. Elles ne verront pas d’autres anges, pas d’autre jardinier que ce peuple de pauvres qui se laisse redresser par la flamme de leur foi. Alors elles vont sans peur par le monde porter leur parole de tendresse et de feu. Elles se laissent appeler par tous ceux qui n’ont pas vu ce qu’elles ont vu mais font confiance à la lumière qui brille dans leur regard. Elles sont les femmes du matin de la Résurrection. Femmes du jour sans fin. Femmes de la haute tendresse portant en tout lieu le parfum de leur amour et la caresse de leur joie.




[1] Magda Hollander-Lafon, Quatre petits bouts de pain, Albin Michel, 2012.
Souffle sur la braise, Cerf, 2013.





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jeudi 30 novembre 2023

 







Pour rejoindre la Source 
Se défeuiller comme un arbre
Laisser la sève devenir printemps 

La voie s’ouvre sans pourquoi 
Au jusant des heures
Royaume de l’éclaircie

Sans avant ni après
Sans projet ni aversion 
L’oiseau couronné par l’instant 

Dans le fond de l’âme
Le désert sans limites
Où poussent les fleurs de la joie 

Buisson où les pieds se déchaussent 
Voir de dos la Présence 
Le chant qui unifie

Sentir le jour diminuer
Et naître l’étoile 
L’assurance de la lumière

Devenir complice
De la nudité de l’hiver
Suivre un vol d’oies sauvages

Une fois trouvé son cap
Être sûr de sa voie
Se délester des charges inutiles

Veilleurs des rives 
L’orchestre des étourneaux 
Brassées d’ailes en fête 

Familier des îles
Le fleuve est toujours assuré
De rejoindre la mer 

Rescapé des tempêtes
Devenir forêt dépouillée
Promise à tant de de nouveaux feuillages 

Jean Lavoué, 29 novembre 2023 
Photo JL 27/11/23
www.enfancedesarbres.com 






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mercredi 29 novembre 2023

 À nouveau ce poème

Écrit à l’heure de la cérémonie religieuse
À l’intention de Christian Bobin 
En l’église Saint-Charles du Creusot
Le 28 novembre 2022…

Avec de pauvres mots
Je cherche encore à partager avec toi
Le pain du poème







Pour Christian BOBIN 

Au-dessus du Blavet aujourd’hui 
Le ciel semble plus transparent,
Le moindre petit nuage
Se fait le messager
D’une enfance éblouie.

Sur l’autre rive,
Trois pies volent au-dessus des tombes
Et leur ballet n’est pas triste.
Les mouettes s’élancent
En grands signes blancs vers l’azur. 

Chaque arbre distille sa lumière :
Son feuillage tremblant
Devient aussitôt le fragile compagnon
D’un chemin enfoui dans le mystère. 

Avec de pauvres mots,
Je cherche comment 
Partager encore avec toi
Le pain du poème.

Je contemple ce grand silence
Éclaboussant les marges
Où tu t’es réfugié.

Ta parole vive surgit
De la moindre écorce
Protégeant la sève
De l’implacable hiver à venir.

À chacun, tu laisses la tâche 
De vivre et d’écrire pour deux,
De devenir à son tour
Le libérateur des papillons de la joie.

Tu nous invites
À laisser grandir entre nos mains
L’éclat lumineux 
Du soleil de ton absence,
À semer dans les sillons de nos vies 
Les graines de bonté
Dont tu es soudain devenu 
Le jardinier céleste.

Foulant les feuilles mortes du sentier, 
Nous pressentons déjà, promesse d’un printemps,
L’éclaircie du petit cerisier en fleurs
Dont tu as gardé le secret.

Tu es aussi bien dans le rythme de la marée 
Que dans chaque duvet blanc qui se pose,
L’humble petit moineau égaré,
La moindre goutte de pluie 
Se balançant sur un brin d’herbe oublié.

L’heure est à la gratitude
Pour tout ce que tu nous as appris
À regarder avec les yeux du cœur.

Imperceptiblement,
Tu rejoins la compagnie  fervente
De nos absents familiers
Aux tiges dressées dans la lumière.

Tu nous rends complice
De ces secondes perdues
Où la perle de grand prix
Nous est redonnée.

Tu respires à pleins poumons
Dans cette liturgie d’automne
Où le ciel est baptisé 
Des couleurs de l’aube.

Jean Lavoué, 28 novembre 2022
Photos JL 28/11/22
Jour de la cérémonie religieuse célébrée pour Christian Bobin le lundi 28 novembre 2022, à 15h30, en l'église Saint-Charles du Creusot






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mardi 28 novembre 2023

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En 2015 nous étions à la veille
De la Conférence de Paris sur le Climat,
C’était aussi au lendemain d’attentats sanglants
Ayant endeuillé la France ;
Demain voici déjà la COP 28 de Dubaï :
Tant reste à faire pour sauver notre planète
Tandis que d’autres attentats,
D’autres guerres mettent le monde 
À feu et à sang.
Par-delà les peurs qui nous tenaillent 
Un chemin de paix finira-t-il par s’ouvrir
Dans le cœur de chaque homme et de chaque femme Désireux de voir surgir un printemps pour la terre ? 

JL 28/11/2023




Nous sommes à ton chevet ma terre
Mais aussi au chevet de l'homme
Même les arbres sont défeuillés
Les villes sont désertes
Et nos matins sont blêmes
Les saisons ont rompu leurs amarres
Nous n'avons plus de port

Qui pourrait refaire à notre place
Ce que nous seuls avons défait ?

Aujourd'hui est aussi un jour de deuil
Le cri du sang monte jusqu'au ciel
Nous lançons nos couleurs au vent de nos détresses
Y aurait-il quelqu'un pour apaiser l'épouvante entre frères ?

Opposerons-nous à l'horreur une violence encore plus meurtrière
Serons-nous seulement ces boutiquiers des armes
Ces magiciens du néant ces ensorceleurs de haine
Plutôt que sentinelles avisées guettant partout l'amour aux frontières ?

Pour frayer la voix d'une autre paix
D'une aube nécessaire
Qui se lèvera
Qui ouvrira les yeux
Qui prêtera l'oreille
Qui s'éveillera sinon toi-même
Qui s'engagera sinon ce coeur qui bat au rythme de ton pas ?

Jean Lavoué, 27 novembre 2015 
www.enfancedesarbres.com

Photo : Syrian artist Tammam Azzam and his personal Gustav Klimt's "The Kiss" on a war-torn buildind in Syria.









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lundi 27 novembre 2023

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Je poursuis mon hommage à Magda Hollander-Lafon qui vient de nous quitter en partageant ce texte qui conclut mon ouvrage « Des clairières en attente » (Médiaspaul 2021).






LA FERVEUR DE MAGDA


Une femme me bouleverse particulièrement ces jours-ci. Son grand âge la rend désormais vulnérable. Mais, à 93 ans, elle continue à témoigner d’une confiance en la Vie qui jamais ne l’a quittée. Elle m’appelle justement hier tandis que nous conversons frère Martin, Gilles Baudry, mon épouse et moi-même dans cette clairière enveloppée de soleil de l’abbaye de Landévennec, en cette chaude journée estivale. Aura-t-elle senti l’aile du papillon venu se poser sur nous telle une visitation ?

Magda connut très jeune la déréliction, la multiplication des « pourquoi ? », et jusqu’à l’abandon de son peuple par Dieu. Jeune juive hongroise, elle est déportée à 16 ans au camp d’Auschwitz. Elle se tient pourtant debout dans la boue du camp. Même quand Dieu se fait silencieux, elle croit d’une foi inébranlable en la vie qui l’habite. Elle reçoit un jour, comme une bénédiction, quatre petits bouts de pain moisis qu’une femme mourante lui tend en lui disant : « toi, il faut que tu vives et que tu témoignes »[1]. Longtemps, elle aura enfoui ce geste et ces paroles. Survivante, elle se convertit au christianisme par la grâce de rencontres autant que par une sorte de révélation à la fois linguistique et théologique : c’est en apprenant la langue française, qu’elle a un jour la révélation. Ce Verbe dont lui parle tant la religieuse qui l’a prise sous son aile, et auquel elle ne comprend rien, prend un jour toute sa force et tout son dynamisme lorsqu’elle saisit d’un seul coup que, sans lui, la phrase ne va nulle part. Qu’elle reste là, inerte, sans mouvement, sans vie. Le Verbe, c’était donc cela. Ce qui donne vie ! Ce qui donne sens ! ce qui met en mouvement ! Ce qui est le cœur battant de l’être…

À partir de ce jour, Magda s’engage dans une véritable conversion christique mais sans jamais renier pour autant la religion de ses ancêtres. Juive, elle restera. Mais avec cette Parole inouïe qui soudain a germé en elle. Jamais elle ne voit d’opposition entre le judaïsme de son enfance et le christianisme de sa vie de jeune adulte. Même si elle est consciente des barrières qui se sont dressées au fil des siècles entre l’un et l’autre. Tous deux sont constitutifs de son identité même. Mais elle doit cependant passer par une mort pour entrevoir cette voie nouvelle. Toute sa famille a disparu dans les camps. Le Dieu auquel elle croit s’est tu. Et voici qu’elle se trouve à présent seule dans un monde étranger, revenue d’on ne sait quelles ténèbres.

Combien fut radical cet abandon des croyances qui ne l’avaient pas protégée, ni elles, ni les siens, du pire. Mais avec cette tornade ravageant tout sur son passage, tout se passe comme si l’essentiel, en elle, a survécu. Un vrai sauvetage de l’être ! Le Dieu qui l’accompagnera désormais jusqu’aux rivages de sa vie est un Dieu qu’il faut aider en soi, comme en tout homme, à ne pas mourir, ainsi qu’Etty Hillesum, sa petite sœur, poète et prophète comme elle, en avait eu l’intuition fulgurante. Sa vie devient chant fraternel, hymne de confiance en la beauté de l’homme. Elle s’engage alors dans le dialogue judéo-chrétien dont elle me fait, lors de notre récente rencontre, le cadeau du secret de son être. Elle achève alors la lecture du dernier livre du Grand Rabbin de France, Haïm Korsia[2], qu’elle tient à m’offrir. Comme un passage de relais, un viatique pour la route, en m’indiquant un espace encore plus large que celui que je me plais à fréquenter à travers tous ces petits groupes « en sortie », tous ces auteurs affranchis dont j’ai fait ici le récit. Il y a plus encore : notre vie commune à préserver. La fraternité à sauver.

Le retour de certaines formes d’antisémitismes consterne Magda tout comme le Rabbin Korsia. Comment avait-on pu en revenir à cela après ce que les juifs avaient enduré et traversé au cours du XXème siècle. Toute son énergie, jusqu’à son dernier souffle, sera de témoigner pour le feu d’amour qui réside en l’homme et qu’elle oppose à toutes les formes de haine dont, lucide, elle voit malheureusement la résurgence autour de nous. Elle a beaucoup d’estime pour les femmes et les hommes de paix qui font tout ce qu’ils peuvent pour tisser des liens. Il y a quelques mois, l’archevêque de Rennes, Monseigneur D’Ornellas l’a invitée à venir témoigner devant l’ensemble des évêques du Grand Ouest réunis. C’est là pour elle le combat essentiel : témoigner à temps et à contretemps pour une humanité réconciliée, pacifiée.

  Voici une trentaine d’années, ce sont les propos négationnistes d’un homme politique d’extrême-droite, collaborationniste notoire dont il est inutile de rappeler ici le nom, déclarant sur une radio qu’à Auschwitz on n’avait gazé que des poux, qui la fait sursauter et se dresser dans une sainte colère. Elle, qui a tu tout au long des années, y compris à ses propres enfants, afin de ne pas les écraser par ce poids de souffrance, ce qu’elle a vécu dans le camp, ressent l’urgente nécessité de témoigner. Tout revient d’un coup. La détresse et la compassion. L’agonie et la vie plus forte que la mort. Et cette petite poignée de pain tendue par cette femme qui lui donne ainsi sa vie. C’est alors qu’elle écrit son bouleversant livre de témoignage[3]. Depuis, elle ne cesse plus de parler. De s’adresser à tous ceux qui ne doivent pas oublier. Et parce que, c’est d’abord vers la jeunesse qu’il faut se tourner, elle s’adresse en priorité aux enfants et adolescents des écoles. Sans jamais leur asséner la brutalité et la douleur de son témoignage mais, au contraire, en partant toujours de leurs questions, en mesurant ce qu’ils sont capables d’entendre et de recevoir ce jour-là.

Comme Etty Hillesum, ou encore Christiane Singer, Magda Hollander-Lafon fait partie de ces femmes qui, du fond de la détresse, laisseront grandir en elles une parole d’amour capable de faire fondre toutes les banquises de violence et de haine. En 2016, je leur consacrai un livre. Je voyais en elles comme des phares de la tendresse de Dieu[4] en un monde qui, bien que se détournant de lui, voyait de plus en plus se lever en son sein des témoins, et particulièrement des femmes, des amoureuses, éprises de la vie. Elles laissaient grandir en elles une force divine, étrangère à toutes les barrières entre confessions, à toutes les hostilités au nom de Dieu, tournée vers le don et vers chaque être, poreuses à cette sorte d’unité foncière qui se fait dès lors qu’on se tourne vers le bon, vers le vrai, vers l’essentiel. Un amour étranger à toutes formes de pouvoir, à toutes formes de bannières et de croisades. Finalement éloigné de tout ce qui survivait encore d’une certaine représentation idolâtrique de Dieu dans un monde qui se serait dépouillé de toutes les violences dont il était autant la cause que l’objet.

En ce jour où je lui rends visite, Magda est allée tremper ses pieds nus dans la mer. C’est pour elle une autre manière de communier avec la vie qui est mouvement perpétuel. Une manière aussi de marcher vers cet universel auquel tous aspirent, se trompant cependant bien souvent de combat, voyant l’unité à portée de main d’un égo qui refuse de se débarrasser des apparences ?  Chacune de ces femmes a traversé les illusions qui nous font tant souffrir. La mort n’est pas pour elles un obstacle, mais elle est devenue chemin. Leur vie offerte continue à se donner comme elle s’est donnée tout au long d’un chemin de vie semé d’embûches, de drames et de risques mortels auxquels cependant leurs âmes ont survécu. Elles ne se sont pas dérobées. Elles se sont laissé buriner par la souffrance sans jamais changer en haine l’or de leur amour. Et c’est pourquoi elles vivent et demeurent dans le cœur de tant de personnes. Magda s’est formée au métier de psychologue. Mais chez chacune de ces femmes, on sent bien que c’est d’une autre psychologie que celle enseignée sur les bancs de la faculté dont il s’agit. Surgie du tréfonds de l’être, une voix s’est emparée d’elles, une parole dont elles ont fait du pain pour les multitudes. Elles aussi ont revêtu le Christ, et cela prend des formes tellement éloignées de ce qu’on avait cru jusqu’alors être la stricte doctrine et la pure orthodoxie. C’est ce corps donné pour tous qui est devenu le lieu de leur accomplissement.

Magda est sensible à la poésie. Sa fille Élisabeth m’a invité, en ces temps où l’épreuve de l’âge et de la maladie s’est faite plus présente, à la rejoindre par quelques mots venus du cœur. C’est ce petit chemin de proximité et d’accompagnement que j’ai ainsi laissé se dessiner pour elle, un matin, au réveil :

 

Quelle aube se prépare, chère Magda,

Bergère du courage,

Familière de la joie ?

Au jardin de ton cœur

Les arbres sont en fleurs

Et les roses jubilent !

Tous ces jeunes fervents que tu as su convaincre

Sont là qui te saluent.

La vie l'emportera sur les ombres tenaces :

Comme toi ils se tiendront, courageux et debout,

Enracinés dans la confiance,

Pleins d'audace pour le jour qui vient.

Tu peux garder ton âme dans la paix,

Tout ce que tu as semé germera

Dans l'âme de ce monde :

Ta foi et ta tendresse,

Le feu de l'espérance.

Tu rejoins tant d'amis, d'amies qui te devancent,

Etty dont le chant reste à jamais gravé

Au fronton de nos nuits,

Christiane dont les derniers fragments

Brûlent en nous d'une flamme qui ne s'éteint pas.

Nous sommes là silencieux,

Nos mains posées sur les paumes de ton amour.

Nous sèmerons avec toi les graines de la vie,

Nous ne lâcherons rien de l'affectueuse vigilance,

Cet élan généreux que tu nous as appris,

Nous laisserons croître en nous tout ce qui ne meurt pas,

De tout notre être, nous servirons avec toi 

Les promesses du matin.


[1] Magda Hollander-Lafon, Quatre petits bouts de pain, Albin Michel, Réédition 2013.

[2] Haïm Korsia, Réinventer les aurores, Librairie Arthème Fayard, 2020.

[3] Magda Hollander-Lafon, Quatre petits bouts de pain, op. cit.

[4] Jean Lavoué, La vie comme une caresse, Dieu nous sauve par sa tendresse, Médiaspaul, 2016.


Jean Lavoué, Des clairières en attente, Mediaspaul 2021, https://www.lavie.fr/idees/chroniques/des-clairieres-en-attente-une-metaphore-des-chretiens-en-exode-73747.php




Photo : Magda Hollander-Lafon est décédée à Rennes, dimanche 26 novembre 2023, à Rennes où elle résidait depuis 40 ans. (©Arnaud Loubry/Rennes, Ville et Métropole)











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