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Dans la vie, dans cette vie qui est la seule que nous ayons
les morts les disparus les gens qu'on a aimés sont toujours là
ils peuvent venir
c'est par timidité qu'ils restent sur le seuil
on peut les convier les inviter
je crois aux vertus ressuscitantes de la parole et du langage
C'est très simple
quand vous avez vu le soleil vous l'avez vu
après c'est la nuit
mais le soleil vous l'avez vu il ne vous reste plus qu'à en témoigner
moi j'ai vu un soleil qui s'avançait
et ce soleil continue à avancer, à rayonner
à me donner cette très étrange gaieté et cette étrange douceur
cette connaissance de la vie subtile infime et mortelle
le plus grand cadeau qu'on puisse nous faire
Je manque de beaucoup de choses
comme on manque tous de beaucoup de choses
ce qui est le plus intéressant ce sont nos creux nos failles
la perfection ce n'est rien
ce qui importe c'est l'élan le désir
la force qui va ouverte généreuse
c'est merveilleux que ce ne soit jamais tout à fait ça
Je suis fait de ce soleil là
de ces rayons qui m'ont été donnés par les uns et les autres
des gens que j'ai rencontrés
de ce qu'ils ont été de seigneurial pour moi
quand j'ai su voir qu'ils étaient des seigneurs
ma misère mes manques pourquoi m'en plaindre
c'est aussi cela qui me fait écrire
si j'avais la plénitude
je serai dormant comme un enfant repu à Noël
Si l'amour a un sens c'est le mouvement
le fleurissement
l'espérance de la chose qui va venir
le printemps
Chercher
Etre en recherche, en mouvement, en travail
ce n'est pas trouver qui compte
Bach c'est le plus haut
mais il y a plus haut encore que le plus haut
c'est le chant du moineau
c'est le bruit de la rivière
c'est le vent dans le feuillage d'un tremble ou d'un peuplier
ces choses pauvres
qui sont toujours avec nous
jusqu'au dernier instant
c'est au-dessus de tout l'art des hommes
Parfois on sent que les nuages ne croient plus en Dieu
il y a une lassitude qui me vient par moment
le rideau noir de Soulages est innervé de lumière
parfois ce rideau est comme un bloc de cendre
je n'arrive plus a en saisir les nuances
mais ça se traverse les orages
Christian Bobin, extraits saisis au cours de l’émission La Grande Librairie, en 2015, à propos du livre « Noireclaire »
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1 commentaire:
"Chaque matin jette à mes pieds la dépouille des chiens de la mort. Combien de saisons encore la joute tournera-t-elle à mon avantage ? Je songe à cette unique fois où celui qui défend mes couleurs mordra la poussière, lorsque s'ébranleront les assises immatérielles de la chair, lorsqu'il faudra affronter le noir cavalier : mon recours, le seul, sera de lui lancer aux yeux cette poignée d'amour fou sur quoi mes mains, toujours, se sont refermées. Ce lent regard de l'enfant sur le ciel, sur le vide."
*L'enchantement simple*, 1986.
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