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vendredi 20 mai 2022

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Voici une belle méditation sur l’art comme ressource spirituelle essentielle dans nos vies exposées à toutes sortes d'épreuves. Christiane Bascou est présidente de l’association du Parvis. 


DE L’ART COMME INFORMATION


Par Christiane Bascou


Durant toute mon enfance, j’ai vu mon père, chaque année en février, offrir à ma mère la plus belle branche en fleurs de son amandier, une merveille de blanc, de rose et de parfum. Il comptait la moindre amande le reste du temps, mais ce jour-là repoussait la productivité au deuxième rang.


Ce changement de point de vue sur les priorités du monde, on le retrouve quand, sur un ciel d’orage, un arc-en-ciel fait jaillir à nos yeux les couleurs, à notre ventre une impression de plénitude, à notre cœur le sentiment d’une harmonie possible entre terre et ciel, eau et feu du soleil, à notre cerveau l’idée d’un pont aux formes géométriques parfaites : pas étonnant qu’il soit signe universel, « Alliance de toujours qui passe entre Dieu et toute vie sur la terre » (Genèse 9,16).


Le contact avec la beauté perçue met en prise avec l’essentiel : notre appartenance au monde, à l’humanité qui partage la même expérience, au mystère du cosmos, à celui du divin. L’imagination créatrice procède de la même façon. Sous toutes les formes visuelles, sonores et corporelles du choc esthétique, l’art s’adresse directement et simultanément à toutes les zones de contact humain. Le cœur et les tripes, bourrés de neurones [1], véritables petits cerveaux annexes, réagissent immédiatement, puis l’information passe au cerveau, qui va enrichir le choc sensoriel et émotionnel de ramifications symboliques, de sens, de nouvelles questions ! Parce qu’il stimule ces zones de façon libre, sans être limité par la logique ou le contexte, l’art ouvre les champs du possible, fait accéder directement à un niveau autre de compréhension et, forcément, change le regard sur les choses, la nature, les êtres.


Les artistes, à la sensibilité exacerbée, réceptifs aux signaux invisibles du monde, n’existent que dans le partage de cette connaissance originale de la réalité. Ils et elles sont des antennes vivantes et vibrantes, des capteurs-émetteurs. Ils transmettent en mode court-circuit une information sur les nuances subtiles de notre présence au monde : aspirations ou souffrances, beautés, laideurs et déchirures, que la plupart des gens traversent ou subissent sans les voir ou sans pouvoir les exprimer. La rencontre de l’autre à travers l’œuvre va servir de révélateur, donner un moyen d’expression, une forme, un goût, une voix, une dynamique à l’essentiel refoulé de la vie humaine.


L’information donnée par l’art est donc par essence toujours déstabilisante, voire subversive. En dévoilant, en reconnectant différemment, elle provoque « la rupture d’une relation antérieure entre un homme et le monde » [2], par simple mise en présence ! Et comme il touche à tous les domaines (matériel, passionnel, politique, spirituel, sacré) sans entraves, cette liberté le rend dangereux, explosif, révolutionnaire. Pas étonnant que les artistes soient parmi les premiers éliminés en temps de dictature et de pensée unique.


S’il perd sa subversivité, qu’il rentre dans le rang par censure, conformisme ou médiocrité, l’art n’est plus. Par contre, libre, touchant au cœur de l’universel, il peut traverser l’espace et le temps, comme les « Vénus » du fond des âges, icônes de créativité généreuse, ou comme le Champ de blé aux corbeaux de Van Gogh. À son origine, il suintait l’angoisse existentielle. Aujourd’hui, il parle de guerre, de prédation sur l’Ukraine et de routes d’exil, de spéculation financière sur le blé, de menace sur la planète et le vivant, de l’angoisse des chemins à prendre, mais aussi de vie toujours en mouvement, de chemins ouverts malgré les orages, d’éclaircies futures et d’espoir.


À bien y réfléchir, le fait que, pendant la période de Covid, tout le pan culturel, artistique, « spirituel » de la vie ait été considéré officiellement comme « non essentiel », tandis que caves et commerces de « spiritueux » restaient largement ouverts, dénote soit une méconnaissance crasse, soit un mépris délibéré des besoins profonds de notre humanité, ce qui n’est pas de bon augure quant à la qualité de notre société. On regrette les Malraux et Jack Lang, qui ne confondaient pas non-rentable et essentiel. Heureusement, les artistes ont continué à éclairer ou à faire éclater nos solitudes, même avec de simples chansons comme celles de HK, « Dis-leur que l’on s’aime, dis-leur que l’on sème » [3].


Rendant compte au passage de l’utilité vitale du lien social et culturel, de l’accès salutaire à la nature et à la beauté, l’art nous rappelle toujours que nous sommes pétris d’argile, d’énergie, d’intériorité, de transcendance, que nous sommes poussière d’étoiles.


Notes :

[1] Le système nerveux entérique (de l’intestin) concentre jusqu’à 80 % des cellules du système immunitaire. Produisant la sérotonine à 95 %, il est responsable de nos états d’âme et constituerait la matrice biologique de l’inconscient. Il véhicule à 80 % des informations dans le sens intestin-cerveau. Le système nerveux du cœur, relié au cerveau comme celui des intestins par le nerf vague, est riche de quelque 40 000 neurones et son champ électromagnétique est 5000 fois plus puissant que celui du cerveau (source : Wikipedia).

 [2] Citation d’André Malraux.

 [3] HK, L’épicerie des poètes.


Source : Dossier « S’informer et informer », Les réseaux des Parvis n°110-11, p. 16








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