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Toujours si présent
Dans l’humble contemplation du réel
Et dans cette gratitude contagieuse…
JL
François Cheng, voix magnifique du Poème !… « En toute humilité, par l’affirmation plus exacte de ma vérité, je m’oblige à une manière de vivre au ras de l’humus, sans affichage, sans étiquette… Apprenons à apprécier, partout et toujours, les regards et les gestes où l’âme humaine, en sa meilleure part, se révèle… D’avoir été bouleversé tant de fois devant la gloire de la Création suffit à m’emplir de gratitude. Le mot qui me vient aux lèvres est : merci ! »
Deux ans avant de révéler dans son livre récent comment il s’est laissé saisir par le chant poétique - « Une longue route pour m’unir au chant français » (Albin Michel, octobre 2022)- François Cheng exprimait dans cet entretien avec François Huguenin, repris voici un an par le journal La Vie, loin de toute attache conventionnelle à une religion mais avec une vive conscience de la Présence qui se dévoile en toutes choses, cette unité profonde l’ayant conduit du Tao au Christ…
JL
« De la voie taoïste à la voie christique, il n’y eut aucun renoncement »
Par François Huguenin - publié le 20 octobre 2021 sur le site de LA VIE à 14:25
Pour François Cheng, dans l’affrontement contre le mal, personne ne peut aller plus loin que le Christ.
L'académicien François Cheng, trait d’union entre la Chine où il est né et la France, a reçu « Prier », (article publié en mars 2020) pour un entretien où il revient sur sa foi, sa conception de la beauté et l’échéance de la mort.
Vous avez reçu le baptême en 1969, mais vous ne vous déclarez ni catholique ni chrétien. Vous affirmez avoir choisi « la voie christique », qu’est-ce à dire ?
Je n’ai jamais refusé qu’on me considère comme un chrétien ou un catholique. Simplement, il y a le fait que cette appellation offre, dans l’esprit des gens, une image souvent trop conventionnelle, trop figée. Je viens de très loin. J’éprouve le besoin, vraiment vital, de cerner de plus près une compréhension et un vécu particuliers. Il n’y entre aucune recherche prétentieuse d’une singularité. Au contraire, en toute humilité, par l’affirmation plus exacte de ma vérité, je m’oblige à une manière de vivre au ras de l’humus, sans affichage, sans étiquette.
Comment conciliez-vous la voie du tao et le Christ ?
Je viens de loin, ai-je dit. Je portais en moi la vision du tao, « la voie », vision d’un univers vivant en devenir, animé par le qi, le « souffle-esprit ». Plus tard, bien plus tard, après avoir connu les extrêmes conditions humaines, lorsque j’ai entendu l’affirmation du Christ : « Je suis la voie, la vérité, la vie », j’ai reconnu là une « voie incarnée » qui donne vérité et vie à la voie taoïste qui m’habitait. De la voie taoïste à la voie christique, il n’y eut aucun renoncement ; une authentique ouverture est offerte, qui permet avancement et accomplissement. « J’ai embrassé la voie christique », voilà la formule la plus juste, en ce qui me concerne.
Vous avez dit que le Christ était « le bien absolu répondant au mal radical »…
Un jour, au sein de l’humanité écrasée par les conditions tragiques de son existence terrestre, Quelqu’un est venu accomplir l’acte absolu : affronter le mal radical au nom de l’amour absolu. Cet acte qui restituait à l’homme sa part divine était accompli une fois pour toutes ; personne ne peut aller plus loin. En effet, il ne manque pas de chefs spirituels qui exhortent au bien. Leur exhortation, faute d’être incarnée jusqu’à ces extrêmes limites, reste relative.
Par ailleurs, les rationalistes comptent sur la seule raison pour vaincre le mal. C’est ignorer la complexité de l’âme humaine. Notre cerveau régit, en plus de la raison, les deux autres entités que sont la mémoire, qui contient tous les affects, et l’imagination, qui contient toutes les pulsions. Seul l’authentique amour parvient à transcender et à transfigurer ce que l’humain porte en lui comme drame.
« L’âme est le lieu de l’unicité de la personne », dites-vous. Toute votre œuvre n’est-elle pas une écoute du battement du cœur, de la vibration de l’âme ? Est-ce que cela ne vous a pas conduit à écrire dans une langue de plus en plus sobre ?
La base et le sommet de ma création, s’il m’est permis de le dire, est la poésie. À force d’affronter l’écriture et le temps, à force d’élagage et de dépouillement, l’âme irréductible du poète parvient à ce langage essentiel que tente de définir le quatrain suivant : « Mais il reste la nuit / Où la braise en souffrance / Épure mille charbons / En unique diamant. »
La beauté est-elle une réalité de nature spirituelle ? Un antidote au mal ? Où la trouvez-vous par prédilection ?
La beauté est un signe fondamental par lequel la Création nous signifie que la vie a du sens. L’univers créé aurait pu n’être que fonctionnel ; ce n’est pas le cas. Au sein de la nature, nous allons d’instinct vers ce qu’il y a de beau. Ce faisant, au lieu de tourner aveuglément en rond, nous prenons une direction. Cette direction nous signifie que nous sommes sur un chemin où réalisation et dépassement sont possibles.
Sensation, direction, signification… ces trois qualités sont réunies par la langue française en un seul mot : sens. La beauté nous montre aussi que tout n’est pas indifférencié, que tout ne se vaut pas ; elle nous procure le sens de la valeur. À la beauté de la nature s’ajoute une beauté spécifiquement humaine : la beauté de l’âme. Apprenons à apprécier, partout et toujours, les regards et les gestes où l’âme humaine, en sa meilleure part, se révèle.
La mort qui nous attend tous est le dénuement par excellence. Comment la percevez-vous ?
Au niveau de l’existence terrestre, c’est la conscience de la mort qui suscite en nous l’élan vers la vie, qui nous pousse à vouloir créer afin de nous dépasser. C’est aussi la mort qui permet à l’ordre de la vie de se renouveler, qui donne à toute vie une chance d’accéder à la transformation, voire à la transfiguration. En réalité, la mort physique est une loi imposée par la vie même. La vie a primauté sur la mort, et non l’inverse. La vie est-elle un fruit du hasard, un épiphénomène ?
Beaucoup d’astrophysiciens s’extasient en exaltant la splendeur de l’Univers, tout en qualifiant nos existences de « poussière d’étoiles ». L’un d’entre eux, Stephen Hawking, a eu le mérite de dire : « Cet Univers, au fond, ne serait pas intéressant s’il n’y avait pas des êtres qu’on peut aimer. » L’aboutissement de la Création n’est pas l’univers physique, mais la vie, qui est l’unique aventure en devenir – la voie – dont nous faisons partie. Sans notre regard éveillé et notre cœur battant, toute la splendeur d’aurore et tout le ciel étoilé seraient vains.
Que ressentez-vous devant cette ultime échéance ?
Je porte en moi tant de deuils d’êtres chers et tant de mes propres expériences de mort… Cependant, d’avoir été bouleversé tant de fois devant la gloire de la Création suffit à m’emplir de gratitude. Le mot qui me vient aux lèvres est : merci !
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