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mercredi 30 mars 2011

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Il y a cinquante ans, le 30 mars 1961, s'éteignait la voix des sans-voix, "l'anarchiste de la grâce", le poète Armand Robin 




"C'est vous, le commissaire ? Il y a des métiers qu'il ne faut pas faire, monsieur!"
On raccroche sec. Le commissaire de la rue Amélie est patient. Ce n'est pas la première fois que la même voix se fait entendre - et les mêmes propos. Depuis quelques jours, le commissaire a mis un nom sur la voix. Ce n'est pas difficile. Tout le quartier connaît l'hurluberlu: un petit être bizarre aux yeux d'oiseau nocturne, rasé une fois sur deux, les poches pleines de papiers, la bouche gonflée de mots étranges. Un jour, il a posé une fleur sur le bâton blanc d'un agent. Chez Marius, au rendez-vous des boulistes des Invalides, l'homme a ses habitudes: il y vient déjeuner - picorer plutôt, comme les oiseaux de la volière du patron. Il n'a jamais faim. Il dort debout. On dit qu'il travaille la nuit dans sa chambre de la rue Fabert.
Aujourd'hui, 27 mars, le commissaire en a assez. Il part à la recherche de l'oiseau nocturne. Il le trouve dans un café de la rue Saint-Dominique. Embarqué! le petit homme se retrouve à l'infirmerie spéciale du Dépôt. Il est hagard, sans forces, plus usé à quarante-neuf ans qu'un autre à soixante-dix. Mais qui ménagerait l'insulteur des commissaires? Trois jours plus tard, il expire entre les murs couleur de nuit de la conciergerie. Mystère. Sur le registre on lit: "Cirrhose du foie, hypertrophie cardiaque" (30 mars 1961).
Ainsi mourut Armand Robin poète. Il y a des métiers qu'il ne faut pas faire."


Article anonyme paru dans Paris-Match du 7 mai 1968






Xavier Grall a dit de lui :


CI-GIT ROBIN
                                                                              Aux poètes de Bretagne 
Armand Robin
Robin des nuits, Robin des bois et des rivières
sans un mot tu t'en es allé dans la paisible mort
des pierres du silence
Tes yeux fermés sur le rêve libertaire
tu gis, tranquille
tel le mendiant sous le porche à Rostrenen et Langonnet.

Robin, anarchiste du Poher
épi trop mûr de la douleur paysanne
résidu exilé aux durs pavés de Paris
toi l'ami de Maiakowski, d'Essénine et de Calloc'h
toi qui chantais la fraternité dans toutes les langues ouvrières
il a fallu que tu voies les banquiers et les flics
faire de cette terre bien-aimée une morgue et une salpêtrière.

Robin
Robin des ruisseaux et des genêts
Maudits soient qui t'écrouèrent
Fresnes, Santé, Conciergerie, Bastille
c'est fou comme on aime les geôles à Paris
et c'est là qu'ils ont voulu que tu meures
toi, l'homme des steppes et des collines
et des libres espaces sous le vent
là, au Dépôt, entre leurs mains pourries
Dis, Robin, en quel caveau t'ont-ils enseveli
qui a signé la levée d'écrou de ta dépouille
quelle fripouille de leur République de nantis
faut-il désigner aux partisans de colère ?

Robin, poète des longs silences fiers
vagabond des pluvieuses nuits, où dors-tu
la bouche scellée sur l'indicible poème
Dis, Robin
en quel village danses-tu avec Ben Barka
le jabadao des suppliciés
si loin, si loin de Rostrenen et Langonnet ?

Robin, je vais te le dire :
ce n'est pas assez de vivre en fraude
il faut que les Bretons meurent en maraude
Cloportes, rats, rongeurs de rêves
ce n'est pas assez d'être pauvres
il faut encore crever sans trêve
comme des truands dans les cul-de-basse-fosse

Robin, je vais te le dire
ce jour où les matons sonnèrent tes glas
avec leur trousseau de clés
les merveilleux haillonneux vagabonds
récitèrent un Dies Irae
là-bas, dans les prés de Kéranglaz

Robin
Robin des nuits, Robin des bois et des rivières
les barricades auront un jour l'accent de Plouguernével
nous craquerons le silence avec des jets de pierres
nous parlerons breton aux juges du Sanhédrin
nous parlerons breton aux fêtes fraternelles
Robin
Robin des nuits, Robin des bois et des rivières
je clamerai ta rime aux éoliennes
et le vent de la mer dira aux hommes et aux pôles
« en France, c'est sûr, on n'aime les poètes qu'assassinés » 


Xavier Grall
(site Jean Bescond : http//www.armandrobin.org )




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