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dimanche 5 août 2018


Cesser de pianoter au miroir des heures
Se tenir silencieux en un profond retrait
Laisser le souffle aller
En son mystère de vague et d'insomnie
Ne pas lutter
Ne pas craindre la nuit
S'en remettre à la patience d'aimer
Toute douleur ainsi s'apprivoise

Le matin n'a pas besoin d'éclat
pour atteindre sa lumière
Il gravite à l'obscur
Insolent
Brûlant noyau de toutes choses
Musique indomptée de la vie
Dont il garde en lui l'empreinte
L'insouciance
Le geste inassouvi

Peindre ainsi à l'insu des heures
N'est familier qu'à l'invisible
La joie elle n'a pas à se mêler
Pour confondre l'inconnu
Dont elle demeure à jamais le sceau
La trace
Et le secret

Jean Lavoué
Dimanche 5 août 2018, 4h53
après avoir réécouté cette voix inoubliable et lumineuse de Bram Van Velde dans la nuit, tâtonnant pour s'efforcer de dire, en réponse aux questions de Charles Juliet, l'indicible essentiel...
https://www.franceculture.fr/emissions/les-nuits-de-france-culture/entretiens-avec-bram-van-velde-1ere-diffusion-27091980




"C'est par la misère que j'ai approché la vie.
La toile est liée à un drame fondamental. Je peins l'impossibilité de peindre.
La peinture, c'est un oeil, un oeil aveuglé, qui continue de voir, qui voit ce qui l'aveugle.
N'être rien. Simplement rien.
C'est une expérience qui fait peur.
Il faut tout lâcher.
Pour être vrai il faut plonger toucher le fond.
La toile ne vient pas de la tête mais de la vie.

Je ne fais que chercher la vie.
Tout ça échappe à la pensée à la volonté."
Bram Van Velde
Rencontres avec Bram Van Velde, de Charles Juliet, éd. P.O.L. 1998
*
Un vrai tableau, c’est une merveille. On peut en vivre. Il ne s’agit pas de multiplier…
Peindre me fait peur. Vivre tout cela, je le vis comme une histoire qui n’est pas sans danger. Mais je dois rester le maître…
Moi je suis heureux, comme si la vie si fragile a tout de même la chance d’être…
J’ai toujours voulu être peintre.
Je ne sais jamais le tableau qui va venir.
C’est une sorte de plongeon dans un monde qui est en moi mais je dois le voir…
La peinture a une possibilité qu’on ignore.
Chaque fois, un tableau vient et je ne le savais pas. L’acte est une sorte de désespoir dont on ne sait rien, qui vous plonge à l’intérieur…
Je suis attentif à une sorte de vie en moi et la peinture m’aide sur cette route et j’attends tranquillement que l’autre possibilité vienne car c’est ici que je vis. Il y a un grand bonheur de voir…
Voir, c’est le monde vrai.
C’est un acte où je dois me sauver. La peinture est un acte où je me sauve, où je ne suis plus en danger.
Il y a des périodes où je n’ai pas de lumière en moi, où je ne peux pas travailler. C’est ça le plus difficile : d’être suspendu dans un état où on ne peut rien faire…
On n’a pas le courage d’agir, on flotte…
Il me faut plonger jusqu’à des moments où je ne sais plus rien…
Tout est dedans, il n’y a pas de dehors : on perd pied, on n’est plus dans le monde des autres…
Ce sont des sauvetages : de manière inconnue, on est sauvé parce qu’on s’oublie…
Le travail c’est une approche du non-travail.
Je vis des semaines où rien ne peut se faire… Comme c’est miraculeux d’arriver à faire ! Le principal est que l’on ose faire…
Le courage, c’est ce courage vers l’inconnu. Souvent, on n’a pas ce courage total… Tout est tellement invisible.
Je sens où est la vie et où est la non vie. La vie est vraie pour moi, la non-vie est fausse.
La vie est l’acte qui sauve.
J’ai mis ma vie en tableau : peut-être qu’on se vide ainsi…
Un tableau est ce qu’on est devenu.
Tout est fragile.
L’endroit où on s’approche de la vraie vie, rien n’est fixé, pas de sécurité, tout est flottant…
La peinture a le pouvoir de quitter le monde réel et là on respire enfin on vit sa vie  c’est miraculeux.

Bram Van Velde, entretien avec Charles Juliet, France Culture 27 septembre 1980

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