Pour ceux qu'intéresse la question du cléricalisme dans l'Eglise
catholique, voici un texte qui m’a bien plu : en phase avec différents réseaux
informels que je fréquente... Belle journée à vous !
La question du Christ est trop importante pour rester entre les mains
des clercs
Alain WEIDERT 4 octobre 2018 © CC0 Creative Commons
Le cléricalisme, voilà l’ennemi, dit le pape. Mais ne nous méprenons
pas : il n’est pas simplement question de remettre prêtres et laïcs à leur
juste place mais bien de mettre le Christ à sa juste place.
Le cléricalisme ? Ne serait-ce pas croire que l’on possède le Christ
et agir en propriétaire certifié ? Ne serait-ce pas penser que l’on a reçu le
pouvoir de le donner, de le communiquer, et soi seul, par la parole et par les
sacrements, le pouvoir de le « distribuer » à la communion, voire d’aller le
chercher au tabernacle, pour ne l’accorder qu’à ceux qui sont en règle ? Ne
serait-ce pas s’octroyer prérogatives et droit de regard exclusifs sur le
Christ et sur les baptisés ? Une confiscation, un monopole, le premier des
abus, matrice de tous les autres ?
Personne ne peut avoir de mainmise sur le Christ, parce que le Christ
est le lot de tous, le kléros de tous, c’est-à-dire l’héritage de tous (kléros,
mot grec détourné qui donna clerc et clergé). L’institution n’est pas le kléros
du Christ à elle toute seule. Chaque baptisé hérite du nom du Christ, de
l’esprit du Christ, de l’identité du Christ pour qu’au final notre condition
humaine hérite de la nature du Christ. En ce sens tous les baptisés sont le
clergé, les porteurs de l’héritage du Christ et de là découle, en une
application immédiate, ce que l’on pourrait appeler le sacerdoce commun des
mille et un christs.
Lutter contre le cléricalisme, c’est lutter contre ceux qui captent
pour eux seuls, au nom d’une institution, l’héritage du Christ et revendiquent
pour eux seuls le titre et la fonction d’héritier, et donc de clerc, ceux qui
refusent d’être simplement désignés du nom de presbytre, seul usage obvie du
Nouveau Testament. Prendre vraiment au sérieux ce que presbytre veut dire
détruirait à la base toute velléité de cléricalisme puisque ce ministère
consiste à faire émerger et grandir en chaque baptisé l’héritage du Christ, la
nature christique de chacun. Un ministère pour susciter le Christ reçu en
héritage au baptême, pour aider les baptisés à accoucher du Christ en gestation
en eux, afin qu’ils engendrent le Christ. Non pas pour y mettre le Christ, non
pas pour l’apporter aux "pauvres laïcs", pour le leur donner (leur
concéder avec indulgences), pour le leur faire descendre du ciel. La vocation
presbytérale consiste à être maïeuticien (accoucheur) d’un Christ qui précède
toujours l’Église, à être le révélateur de la dimension christophane de
l’Homme, à manifester l’identité de chacun comme membre d’une communauté tout
entière kléros et messianique.
S’engager dans la transformation ecclésiale, comme y invitent le pape
François et nos évêques, afin de mettre les prêtres et les laïcs à leurs justes
places ne pourra pas consister qu’en des aménagements structurels ou
décisionnels, qu’en des répartitions nouvelles de charges et de pouvoirs pour
plus de collégialité et moins de rapports hiérarchiques. Réexaminer l’exercice
du pouvoir dans l’Église consistera à abandonner le rôle de donneur, qui
pardonne et autorise, pour passer à une autorité qui active les germes
christiques sommeillant en chaque baptisé mais aussi pour réveiller les
semences du Verbe qui attendent en tout Homme. Une transformation ecclésiale
qui permettra à tout baptisé d’exprimer et de vivre le passage du donner le
Christ à susciter le Christ.
Le cléricalisme, c’est le surplomb des donneurs de salut, de ceux qui
dispensent à leurs ouailles enseignement et règles de conduite. La
transformation ecclésiale à venir, elle, invitera tout un chacun à entrer dans
la « succession christique » dont toute femme, tout homme peut hériter. C’est
une invitation non à une guérison mais à une conversion surprenante : passer du
recevoir un Christ tombé du ciel à l’accueil de l’être christique que je suis.
Changement de logiciel ? Non, retour au logiciel initial !
L’institution Église qui encadre, qui formate les individus, c’est ce
système qui a failli, sur le dos des individus les plus faibles, alors que ce
sont des individus ensemble, réunis en ecclésia qui constituent l’Église. Ce
n’est pas un peuple divisé en tribus qui constitue le peuple de Dieu, ce sont
des communautés variées, à chaque fois Église, qui réunies en peuple
constituent l’Église. Lutter contre le cléricalisme, ce sera retrouver
(valoriser enfin ?) la valeur, le poids et le pouvoir christique de chaque
sujet croyant.
Lutter contre le cléricalisme et le fuir, ce sera par conséquent arrêter
résolument, expressément de se prendre pour un Christ pantocrator, omnipotent
et pontifiant. Ce sera arrêter de se croire autorisé à donner des leçons de
morale en adoptant une posture de « Monseigneur » revêtu de vêtements
d’apparat, de barrettes et de surplis en dentelles. Malheureusement on se
complaît toujours et derechef à s’accoutrer ainsi au nom du Christ, jusqu’à le
ridiculiser, à le pervertir lui et sa parole. Lutter contre le cléricalisme, ce
sera dénoncer et refuser ces trop nombreux retours en force insidieux d’un
Christ revêtu d’ornements qui n’ont de sacré que le nom. Accoutrements
cache-misère dont on se moque au dehors et qui ne peuvent plus aujourd’hui
servir de couverture pour défendre le prestige et la renommée d’une institution
qui, à l’extérieur, n’est plus digne de foi. Avec le nombre sidérant d’affaires
de pédophilie le roi est nu.
S’engager dans une réelle transformation ecclésiale c’est oser
entendre : « Où est-il ton Christ, qui est-il ? » Alors, vu la gravité
historique de l’heure, il ne peut pas être simplement question de remettre
prêtres et laïcs à leur juste place mais bien de mettre le Christ à sa juste
place, c’est-à-dire de reconnaître que son affaire est déjà en puissance en
tout Homme. Mettre le Christ à sa juste place, c’est travailler à ce que chacun
puisse être identifié comme Christ (sans différence de degrés entre les uns et
les autres) et que chacun puisse de la sorte déployer son existence humaine en
tant qu’héritier du Christ Jésus, principe et modèle de toute femme, de tout
homme, carrefours d’humanité et de divinité.
Alain Weidert – Chalvron près de Vézelay
Ni partir, ni se taire.
Le temps des baptisé-e-s
Conférence Catholique des Baptisé-e-s Francophones
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