J'ai franchi le fleuve à l'heure où la lumière décline,
À l'écluse un aveugle bougeait ses doigts dans le soleil,
La jeune femme laissait filer sa traîne entre les rives,
À chaque pas nos mots se répondaient en devançant l'énigme,
De chaque note silencieuse nous connaissions le chant.
Un nuage d'ambre et d'or nous tirait vers le large,
Les oiseaux, les poissons se cachaient dans nos cils,
Nous étions de tout arbre la forêt promise,
La sève et l'horizon, le rameau et l'envol.
Nous aurions pu marcher ainsi pendant des heures,
Parcourir des chemins sans armes ni raison,
Où nous aurions porté haut et clair en nos cœurs
Cela que nous cachions sous le bandeau des jours :
Bel enfant inconnu, notre ouvreur de ténèbres,
Notre incognito familier, ce passant entre nous ;
Nous l'aurions reconnu à ce feu dans nos mains,
À ce souffle ténu, à ce buisson d'épines
Que flamme ne consume, que jamais soif n'éteint.
Jean Lavoué, 27 décembre 2016
Photo : Jackie Fourmiès
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