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mercredi 1 janvier 2020

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À l'occasion de cette nouvelle année, je suis heureux de vous adresser ce portrait de Christiane Singer signé de mon ami Jacques Bonnadier. Il écrivit ce texte à l'attention de collégiens bretons à la demande de leur professeur. Jacques choisit Christiane pour ce portrait d'un écrivain parce que, comme lui, elle venait de Marseille et qu'elle était son amie. La lettre qu'il écrivit vibre de l'intense présence de cette femme qui laissa une telle empreinte dans l'âme de tous ceux qui l'ont approchée ; avec l'accord de Jacques, je vous l'adresse à mon tour, en guise de Vœux : que 2020 fasse grandir en vous cette ardente passion pour la Vie qui était celle de Christiane Singer !

Jean Lavoué

Bonjour les amis,
Je vous écris pour vous parler d’une femme que j’ai bien connue et que j’ai beaucoup aimée : Christiane Singer. Son nom ne vous dit sans doute rien ; c’est celui d’un écrivain français – ou d’une écrivaine, si vous préférez – qui nous a laissé de très beaux livres, des romans surtout mais aussi des essais. 
Elle et moi étions concitoyens, tous deux nés à Marseille. Elle, le 23 mars 1943, moi, le 1eraoût 1938. Et c’est à Marseille que j’ai entendu parler d’elle la première fois, à la publication de son premier livre en 1962. Très vite, parce que j’étais déjà journaliste, j’ai eu l’occasion de la rencontrer, puis, au fil des années, de l’interviewer pour la presse écrite, pour la radio, d’écouter ses conférences. Ainsi est née notre amitié et elle a grandi jusqu’à sa mort, à Vienne (Autriche), sa ville d’adoption, le 4 avril 2007.
Avant de poursuivre mon propos, je voudrais vous inviter à aller sur Internet pour visionner quelques images de Christiane, et que vous l’entendiez parler. Vous verrez quelle belle et noble personne elle était et avec quelle éloquence, quelle ferveur et quelle élégance à la fois elle s’exprimait, ce que pouvait être son pouvoir de séduction, de persuasion, son rayonnement intérieur, sa joie de vivre. Comme moi, vous serez conquis ! **
J’ai du mal à parler d’elle au passé tant elle est présente en mon cœur. Je reprends souvent tel ou tel de ses livres bien rangés dans ma bibliothèque, et j’en relis pour la nième fois tel ou tel passage. Il m’arrive aussi d’écouter un entretien radiophonique qu’elle m’accorda il y a une trentaine d’années, rien que pour entendre sa voix, son accent, son rire. J’ai même conservé l’enregistrement d’un de ses messages laissés sur mon répondeur téléphonique et je l’écoute aussi de temps en temps pour y respirer une grande bouffée de tendresse.
J’adopte maintenant le temps présent pour vous raconter brièvement sa vie.
1943 donc, naissance à Marseille d’un père juif hongrois et d’une mère catholique ukrainienne.  Dès l’âge de 5 ans, écrire est l’acte le plus naturel de sa vie : ses contes sont publiés dans des journaux pour enfants… Etudes secondaire au lycée Montgrand, au centre de la ville. Puis études supérieures à la Faculté des Lettres d’Aix-en-Provence. Un de ses professeurs, écrivain lui-même, Raymond Jean, la remarque et l’encourage à écrire… Elle publie son premier roman à l’âge de 19 ans : « Les Cahiers d’une hypocrite ». Elle en écrit un second six mois après, mais elle estime que son besoin d’écrire ne l’a menée nulle part. Elle a besoin d’aller vers les autres et part en 1968 comme lectrice à l’Université de Bâle, en Suisse.
En 1968 précisément, elle rencontre son mari autrichien Giorgio et devient Comtesse Thurn-Valsassina. Ils auront deux garçons : Dorian et Raphaël. Elle est professeur pendant six ans à Bâle puis à Fribourg. Elle suit elle-même un enseignement : celui de Graf Durkheim, psychothérapeute et philosophe allemand, disciple du médecin-psychiatre suisse Carl Gustav Jung, et pratique le zen. Elle retrouve alors la foi catholique héritée de sa mère, mais une foi non exclusive d’un intérêt pour les autres religions comme le judaïsme auquel appartient son père.
En 1973, Christiane s’installe en famille au château médiéval de Rastenberg, « bâtisse aussi puissante, aussi incontournable qu’un château fort », à 50 kms de Vienne. Il devient le lieu de sa « quête intime ». C’est là qu’elle commence à exercer comme thérapeute et à organiser des séminaires et des stages. Une activité qu’elle pratiquera jusqu’à la fin de sa vie en même temps que celle de l’écriture.
C’est en 1978 qu’elle commence à bâtir vraiment son œuvre de romancière et d’essayiste. Sa vie se ponctue de nombreux voyages, de nombreuses rencontres au cours de tournées de conférences. En 1979, elle reçoit le « Prix des Libraires » pour son livre « La Mort viennoise », un roman baroque où elle donne libre cours à sa fantaisie, à sa sensibilité, à sa richesse d’expression, en écrivain de grande race. « Je considère l’écriture, me dit-elle alors, comme un artisanat. On prend sa phrase, on la soupèse, on la polit, on la pétrit ; c’est un travail d’artisan, un travail presque physique. Et moi, j’ai le goût du travail bien fait. Je n’ai pas le snobisme qui a cours actuellement, le snobisme de la négligence ! »
D’autres romans suivent, tous nés de sa rébellion chronique contre l’ordre des choses : « A partir du moment où l’on écrit, c’est que l’on a un compte à régler, une brèche à ouvrir ! » Magnifique révolte, qu’elle ne cessera d’exprimer à travers des personnages merveilleusement hors du commun, dans son style à elle, avec son « goût d’agacer la dent comme un raisin vert ». 
Parallèlement, elle se lance dans des essais, qui sont souvent le fruit de ses conférences. Deux d’entre eux connaissent un vrai succès public : « Du bon usage des crises » puis « Éloge du mariage, de l’engagement et autres folies ». Dans le premier elle nous dit : « C’est l’échec qui nous crée ! La réussite, elle, fait partie du système ; elle nous berce, elle nous lange, elle nous met bien à l’aise, elle nous laisse où nous sommes. Il n’y a que l’échec qui nous livre passage et déchire le rideau ». Dans le second, elle soutient que pour vivre les exigences contradictoires de s’engager corps et âme et de préserver sa liberté, « il n’y a aucun secours à attendre ni de la philosophie ni de la morale ni d’aucun savoir constitué. Il est probable, dit-elle, que les seuls modèles adaptés pour nous permettre d’avancer sont la haute-voltige et l’art du funambule…»
Après son « Prix des libraires » 1979, trois de ses onze livres suivants seront couronnés de prix importants. Le « Prix de la langue française » consacrera en 2006 son singulier talent d’écrivain français – pour sa plus grande joie sans doute, même si elle ne courut jamais après les lauriers. « Un prix, ça aide à être lu, me confia-t-elle un jour. On n’écrit pas pour le tiroir. On écrit pour être en communion avec ses contemporains, dans l’espoir d’exprimer ce qu’ils ressentent ; pour être une sorte de corps conducteur de son époque ».
Après avoir évoqué la vie de Christiane Singer, je voudrais maintenant vous parler des mois qui ont précédé son décès et dont elle nous a laissé un témoignage bouleversant ; un livre en forme de journal de sa traversée longue et douloureuse de la maladie. « Derniers fragments d’un long voyage », c’est le titre de ce livre paru quelques jours après sa mort. Sa rédaction, nous y dit Christiane, fut « mon radeau de naufragée ». Il rend compte de l’expérience du « feu foudroyant », du « terrifiant mystère » de sa maladie, mais plus encore rend grâces d’une vie « si richement dotée, pleine à ras bord ». Il déborde de vitalité, d’espérance et d’amour. J’aimerais beaucoup que vous le lisiez. 
Je vous raconte. Le 1er septembre 2006, un jeune médecin de Vienne annonce à Christiane : « Vous avez encore six mois devant vous ». Elle entreprend alors de rédiger ce carnet de bord. On la suit au jour le jour tenaillée par le mal envahissant, aux prises avec la souffrance et la détresse horrifiantes, destructrices et cependant sans cesse ouverte à l’émerveillement, à l’allégresse qui, de tout temps, l’habitèrent, et elle nous y offre une magnifique, une ardente, une intense, une fervente célébration de la vie. 
Il faudrait citer des extraits de chacune des 136 pages de ce livre si poignant et si tonique à la fois. Quelques lignes seulement : « Il n’y a qu’un crime, c’est de désespérer. Nous sommes appelés à pleins poumons à faire neuf ce qui était vieux, à croire à la montée de la sève, dans le vieux tronc de l’arbre de vie… » Et ceci encore : « Au fond, je viens seulement vous apporter cette bonne nouvelle : de l’autre côté du pire attend l’Amour. Il n’y a en vérité rien à craindre (…) Oser aimer du seul amour qui mérite ce nom et du seul amour dont la mesure soit acceptable : l’amour exagéré ; l’amour démesuré ; l’amour immodéré. Alors, amis, entendez ces mots que je vous dis là comme un grand appel à être vivants, à être dans la joie et à aimer immodérément… » 
Et je conclus ma lettre, les larmes aux yeux, par ce que Christiane Singer appelle « Ma dernière prière ». « Ne soyez pas déçus que la mort ait en apparence vaincu ; ce n’est que l’apparence. La vérité est que tout est VIE, je sors de la vie et j’entre en vie. Ah, comme je serre dans mes bras tous ceux que j’ai eu le bonheur de rencontrer sur cette terre !...  Je ne suis qu’une VIVANTE qui voyage entre les mondes ».
Je vous laisse sur ces mots magnifiques de mon amie Christiane. 
Je vous embrasse toutes et tous. Soyez heureux !
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*Samedi 26 octobre à 15 h. à la BMVR de l'Alcazar (salle de conférences), rencontre autour de "Christiane Singer, une mystique moderne, une voix entre chair et ciel". Projection du film de Carola Mair : "Passion; hommage à Christiane Singer" et table-ronde animée par l'auteur-éditeur Marc de Smedt, avec Monique et Pierre Beltrame, sœur et beau-frère de Christiane, et moi-même. 
**Vous y trouverez aussi sa biographie, la liste complète de ses ouvrages, des extraits de films et d'entretiens, des citations empruntées à ses livres et conférences...

1 commentaire:

gazou a dit…

Merci de parler de Christiane Singer.
J'ai eu l'occasion de la rencontrer par deux fois, ce fut un immense bonheur.
J'ai lu plusieurs de ses livres...Je les ai beaucoup aimés et je les relirai sans doute...Merci !

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