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dimanche 3 mai 2020

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En ce dimanche matin, voici quelques nouvelles "étincelles" extraites de la 4ème lettre de notre ami François Cassingena-Trévedy, moine bénédictin, aux amis confinés... L'intégralité de cette lettre comme des précédentes se trouve sur sa page...

.../... Comment travailler, comment prier, comment vivre, en ces jours qui sont les nôtres, sans entendre la basse continue de l’information, sans porter, comme un souci, comme une responsabilité, l’air du temps et la difficile aventure de notre humanité aux prises avec un insaisissable ennemi ? Notre vie spirituelle, en ce moment, c’est d’abord l’intensité de cette préoccupation, la présence réelle du Monde à notre cœur et à notre pensée. Nous voici entrés de nouveau dans un âge de la Peur, comme l’histoire de notre Occident en a traversé d’autres... Naguère encore nous éprouvions la peur de la menace nucléaire, plus récemment celle du terrorisme international : la peur du Covid 19 ne fait qu’en masquer momentanément une autre, avec laquelle d’ailleurs elle se combine : celle du bouleversement climatique. Bref, parce que nous sommes mortels, et que la peur est toujours, in fine, peur de la mort, quelque peur nous accompagne toujours. Réaction naturelle et universelle, la peur inhibe pour commencer, mais elle déclenche aussi l’action : après avoir paralysé, elle se découvre motrice... Encore faut-il qu’elle mobilise de façon rationnelle et maîtrisée : la peur, qui doit avoir son temps légitime, demande à être dépassée pour entrer dans une synthèse supérieure, pour servir aux petits comme aux grands édifices d’une action vraiment humaine : à ce que l’on nomme volontiers aujourd’hui la « résilience ». L’homme n’avance dans l’histoire que comme un rescapé de quelque grande peur qui le précède ou l’accompagne : cela humilie nos rêves d’invulnérabilité, mais représente aussi l’hypothèse de départ de nos progrès...

La situation dans laquelle nous sommes engagés est d’une complexité sans nom. Volontiers, nous attendons de l’État des solutions immédiates et miraculeuses qui nous garantissent la possibilité – le « droit » – de reprendre nos aises, de satisfaire au plus tôt toutes nos envies, d’appuyer de nouveau sans réserve sur le champignon... Or l’État, pour mener à bien sa tâche d’une difficulté hors du commun, a besoin de chacun de nous. Nous concevons volontiers l’État comme une instance extérieure, contrariante, voire hostile, alors qu’en bonne logique démocratique, l’État devrait nous être intime, comme nous devrions nous sentir responsables de lui, si modestes que soient notre place et notre efficience dans le corps social. Il y a là, une fois dépassée la tentation contestataire, un exercice de solidarité qui concerne autant notre vie spirituelle que notre vie civique ; du reste, la première ne peut se développer à l’écart ni à l’encontre de la seconde.... La peur se cherche d’instinct des boucs émissaires et peut s’en trouver un, à bon compte, jusque dans l’État : c’est pourtant l’union, et l’union seule, qui nous empêchera de mourir... En observant entre nous la « distance » sanitaire, en prolongeant le temps de la « distance », sachons inventorier ce que cette attitude physique obligée révèle métaphysiquement de notre vie relationnelle et ce qu’elle est susceptible de lui apporter : essentiellement le « respect » et l’attente de l’autre...

Compte tenu de l’inévitable érosion des gestes préventifs et de l’universelle étourderie (dont sont loin d’être exempts ceux qui fréquentent les églises…), le déconfinement, évidemment nécessaire à plus ou moins longue échéance, suscite de légitimes inquiétudes, et l’on s’étonne de la naïveté de ceux qui veulent le marquer comme une fête, s’imaginant qu’il s’agit de la fin de l’épidémie elle-même. Car il faut bien nous le redire : nous sommes entrés pour longtemps dans un âge d’austérité et de minoration de nos libertés chéries, absolues, mais avec la chance de pouvoir explorer une tessiture plus grave et plus émouvante de notre vie. La prolongation qui vient d’être signifiée par les autorités civiles quant à la fermeture des églises au culte public soulève actuellement dans le monde catholique un mouvement très sensible de désapprobation. Je ne vous cache pas – et j’ai vraiment besoin de le dire ! – qu’il m’afflige profondément et que je ne me sens pas du tout en consonance avec lui... Il est injuste de soupçonner le gouvernement de quelque malveillance laïciste ou de quelque partialité, alors qu’il fait ce qu’il peut, très respectueusement, avec un paysage religieux français dont le catholicisme n’est pas, n’est plus (ne l’oublions pas !) l’unique composante. Il est grotesque de prendre, dans la circonstance, des airs de persécutés. Il est présomptueux de dénoncer chez nos gouvernants une lacune anthropologique et un vide, quand le vide que nous laissons, que nous faisons autour de nous, avec toutes nos inanités, devrait nous faire honte... 

Je pense pour ma part à certaines « fractions du pain », tout à fait inofficielles, exorbitantes, que j’ai vécues ici ou là, à la dure, et qui, avec le recul, m’apparaissent, fulgurantes, comme de véritables eucharisties. Je pense à tant d’amis non pratiquants, agnostiques, athées, qui sont tellement beaux dans leur humanité toute simple et laborieuse, tellement avancés dans l’intuition de ce qui fait l’essentiel de nos vies… Bref, la crise que nous traversons révèle un clivage dangereux et place l’Église à la croisée de deux chemins possibles, dont l’un est une tentation : ou bien la perpétuation introvertie d’un certain fonctionnement religieux, ou bien la dilatation joyeuse et aventureuse de la vieille tente (Isaïe, 54, 2) à d’autres dimensions du monde réel et de la pensée...

Au-delà de toutes ces agitations superficielles, gagnons les assises profondes et silencieuses où s’entend et s’élabore la « parole bonne et constructive » (Ep 4, 29). L’évangile du quatrième dimanche du Temps pascal, évangile dit du « Bon Pasteur », est à cet égard d’une saisissante actualité... Ce dimanche nous fait retenir et approfondir – en plein temps de confinement ! – l’image du pâturage à ciel ouvert, de l’espace appétissant dans lequel les « brebis » intelligentes entrent et sortent, circulent en parfaite liberté : autrement dit ce que, en terme d’éleveurs, on appelle la « stabulation libre ». Image magnifique de ce qu’est, par vocation, l’Église. Le Christ nous met à l’aise, au large, dans un espace qui n’a d’autres dimensions que les siennes, illimitées. La « pastorale » qu’il instaure et qu’il nous confie ne fait ni des toutous, ni des consommateurs, ni des assistés, mais des brebis attentionnées qui ont l’oreille fine. Elles entendent la voix du pasteur qui connaît leur mot de passe le plus intime, comme elles entendent la voix des autres brebis, parfois très lointaines. L’espace qui leur est ouvert n’est pas un espace rationné : c’est un espace infini de vie, d’interprétation, de liberté. Car le Peuple de Dieu n’est pas un peuple de répétiteurs, mais un peuple d’interprètes, au sens quasi musical du terme. Ce qui peut nous mobiliser, nous enthousiasmer, nous réconcilier désormais n’est ni un ghetto, ni un fief, ni une propriété privée : c’est la proposition chrétienne au milieu du monde, le christianisme comme latitude, comme espace, comme instance d’interprétation touchant non seulement aux Écritures (Lc 24, 27 et 45), mais à la vie, à nos vies personnelles, à toutes nos vies qui se rencontrent pour construire, à la douloureuse et magnifique histoire du monde. Cette proposition chrétienne, inaugurée dans le Ressuscité, est laissée à notre responsabilité pour que nos révélions ce qu’elle a d’ouvert, pour que nous ne cessions de faire d’elle une ouverture. Vert et vrai paradis de l’ouverture sur le seuil duquel je demeure avec vous, chers amis, plein d’espérance et d’émerveillement... 

Aujourd’hui, accouru de l’océan, un grand vent passe sur les frondaisons et les herbages de la campagne poitevine, âge d’or du vert : je me livre tout entier à son souffle, comme pouvait le faire jadis notre François-René, et je vous le livre à mon tour. Gai savoir. Il est tellement exaltant de se sentir, en dépit du double conditionnement de la vie monastique et du confinement, ou plutôt grâce à lui, à l’heure exacte de son siècle !




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