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lundi 9 août 2021

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Sylvaine Landrivon, en bas à droite sur la photo, parmi d’autres femmes ayant postulé à différents ministères qui leur sont interdits par l’Église catholique.


"Un auteur, un livre, grâce auxquels on se sent moins seul.e aux "périphéries" de l'institution ecclésiale..."
Recension par Sylvaine Landrivon, docteure en théologie, 8 août 2021, Lusy 



• La Bretagne est le cadre toujours paisible dans lequel Jean Lavoué aime nous convier. Et dans ce climat plein de poésie, il choisit de nous faire cheminer par des sentiers de traverse, vers une ecclésiologie plus proche de l’Évangile que celle du cléricalisme ambiant. Il convoque pour cela ses amis, qui sont ou deviennent les nôtres. 

Le titre l’indique : parmi ces guides vers des formes plus discrètes de vie ecclésiale et spirituelle, vers de nouvelles clairières où partager sa foi, marche en tête Jean Sulivan. 

Jean Lavoué décrit ainsi des espaces plus fraternels dans lesquels les chrétiens découragés par l’institution « se sentent disponibles pour écouter une parole neuve » (p. 😎. Parole neuve ? Non pourtant. C’est bien du message de Jésus dont il est question dans cet ouvrage, mais d’un message débarrassé de sa pompe au profit d’une foi pleine de poésie dans laquelle la vie elle-même est sacrement. Car « où Dieu parlerait-il mieux que dans chaque existence, en se faisant lui-même chair de chaque chair, surtout quand elle se sent trahie, meurtrie ou oubliée ? » (p.13). On redécouvre ici ce Dieu dont Karl Rahner expose l’auto communication. Oui, Dieu se donne lui-même toujours en premier à tout humain, laissant chacun libre du kaïros dans lequel il ou elle le reconnaîtra. Dieu nous attend au cœur du cœur de notre être, là où Jean Sulivan est venu nous rejoindre par ses livres, créant à bas bruit, une communauté hors les murs, qui rassemble ceux qui ne se retrouvent plus dans une institution sclérosée. D’ailleurs l’auteur le rappelle : l’œuvre de Sulivan « consiste en un cri : se défaire une fois pour toutes de l’imposture. (p.26) Combattant hors pair de l’hypocrisie cléricale, Sulivan invite à rejoindre l’humain ; et le prêtre en lui découvre alors la « jubilation, une fois défaite l’idole (…) qui portait beau ses ornements liturgiques et sa délectation sacrée » (p.27). Autant dire, une révolution qui, partie de l’intimité de l’être, a fait espérer un véritable renouveau au temps de Vatican II. Hélas, avec Jean-Paul II, puis Benoît XVI, c’est l’inverse qui s’est produit: un repli identitaire que seuls les plus timorés des chrétiens peuvent apprécier. Certes, « Des siècles d’autorité verticale (…) des façons autorisées de comprendre l’homme, le monde, Dieu, ne nous avaient guère préparés à ce désir de retrouver en nouveauté la source d’une parole inouïe » (p. 39). Mais au lieu de l’aggiornamento escompté, l’Église catholique «continue à verrouiller son rapport au pouvoir et à l’autorité, excluant les femmes, la moitié de l’humanité, de ses instances de gouvernance. » (p. 40). 

Jean Lavoué énumère les pièges dans lesquels se maintient l’institution, et pointe les remparts qu’elle a construits et contre lesquels elle se heurte sans cesse. Tout se verrouille autour de la figure du prêtre. « Le tropisme d’un personnage s’excluant de l’humaine condition, au titre d’un ordre qui lui était conféré par l’institution romaine, devenant par là-même le seul représentant légitime du Christ et de son salut, semblait bloquer toute possibilité de changement » (p.41). 

Mais ce mur artificiel n’est justifié par rien dans les évangiles, bien au contraire. Quand Jésus rassemble les hommes et les femmes dont le cœur est touché par sa parole, il le fait contre les représentants de la tribu de Lévi et très rarement dans le Temple. Jésus « casse les codes » et parle d’amour à chacun dans son cœur, en petits groupes, en tête à tête ou entouré de foules qui se réunissent autour de lui, sans formalisme préétabli. 

De nombreux théologiens du XXe siècle ont évoqué cette christité, christicité, christianité ou christophanie ; autant de termes cherchant à recentrer le message du Christ en lui restituant sa force et en l’adressant à toutes et tous, y compris à ceux que Karl Rahner, -lui encore qui irrigue en silence toute cette pensée-, nomme les « chrétiens anonymes ». 

Le bilan établi, Jean Lavoué, ne laisse pas son lecteur abandonné face à lui-même. 

Grand chercheur et laboureur du Poème biblique, Jean Lavoué a déjà ouvert d’autres voies et d’autres manières de faire Église. Par petits groupes, sans aucun impératif d’appartenance institutionnelle, il aide à boire à la source de vie du texte. La parole et le pain peuvent se partager sur d’autres autels que ceux consacrés par la hiérarchie ecclésiale. Il rappelle les mots de Gérard Bessière qui « avait pris l’habitude de permettre à toutes les personnes présentes de dire les mots de la consécration. (…) Et il ajoutait malicieusement : cela marche quand même ! » (p.58). Et Jean Lavoué de nous restituer ces quelques lignes de son ami : « L’Évangile est un volcan (…) On ne l’éteindra pas. Il rentrera à nouveau en éruption féconde ». 

C’est donc à une « pratique différente » que ce livre nous convie après avoir dressé un lugubre état des années écoulées. Faut-il énumérer le renforcement de la sacralité du culte, l’exclusion définitives des femmes aux ministères ordonnés, « l’arrivée progressive d’une nouvelle génération de prêtres pétris de certitude et conscients de leur mise à part du reste des fidèles » (p.76) ? C’est délibérément que l’auteur nous oriente vers une décléricalisation suggérée par Joseph Moingt, développée par Loïc de Kérimel ; mais, selon Jean Lavoué, en prenant le temps d’une transition où chacun, chacune, pourrait « éprouver une Eglise moins fondée sur le pouvoir et cette différenciation marquée entre le statut des clercs et celui des fidèles. L’ordination de femmes et d’hommes mariés irait aussi, bien sûr, dans le même sens » (p.77). Cette étape intermédiaire est-elle indispensable ? Peut-être… 

En attendant, Jean Lavoué note qu’une Église autocentrée sur ses habitudes cultuelles se coupe des « croyants autrement ». Sa pratique des petits groupes, sa présence sur les réseaux sociaux, lui ont montré que « d’autres manières de se relier à la grande voie évangélique existent aussi » (p.79). Il évoque la méditation, l’écriture poétique contemplative, autant de lieux où croiser ceux que Valérie Chevalier nomme les croyants « des périphéries ecclésiales », ceux avec qui « l’Eglise peut aussi recevoir et rencontrer les valeurs du monde[1] ». 

Cela réinterroge toute la pratique jusqu’à celle de l’eucharistie. 

« Le partage eucharistique est sans nul doute une source essentielle pour la communauté ecclésiale, mais en avoir fait l’obligation exclusive et tatillonne qu’elle est devenue, a privé bien des croyants d’une évaluation, à nouveaux frais, de ce qu’il en était vraiment de leur pratique évangélique. Avoir bien souvent réduit ce rituel à un véritable fétichisme matérialiste (…) représente un appauvrissement sans pareil de la grandeur du signe de sa vie donnée que Jésus voulut partager avec ses disciples comme avec tous ceux, plus éloignés, qu’il renvoyait à leur humanité avec ces simples mots : « va, ta foi t’a sauvé… » » (p.81-82). 

Ceux qu’il nomme ses « compagnons de route », ces « chercheurs de Dieu en marche », ces « ouvreurs de voies » s’appellent Jean Sulivan, Henri Le Saux et avant eux, Félicité de Lammenais. Ils sont pour lui les premiers chrétiens « en exode » ; ceux qui sont allés chercher d’autres chemins pour transmettre la beauté de la Bonne Nouvelle sans la confisquer. Et dans sa farandole de poètes Bretons, arrivent ceux que l’on attendrait moins : René Guy Cadou, Xavier Grall, Eugène Guillevic ou Georges Perros. Il explique leur présence à ceux de ses lecteurs qui ne les connaitraient pas. C’est que leurs recherches se mêlent à la sienne. Il partage « leurs âmes rebelles, leurs singularités, leurs colères parfois ou leurs insurrections, mais aussi leurs apaisements, leurs élans poétiques lorsqu’après avoir senti la source trahie autour d’eux par tant de compromissions, ils la retrouvaient en eux-mêmes, intacte, promise et aveuglante. » (p.113). 

Jean Lavoué avance encore vers la lumière de la clairière et découvre « un amour étranger à toute forme de pouvoir, à toute forme de bannières et de croisades. Finalement, éloigné de ce qui survivait encore d’une certaine représentation idolâtrique de Dieu. » (p.117). Et cette fois c’est par et avec une femme qu’il chemine. Il évoque Magda, juive, rescapée des camps de la mort et qui, comme d’autres femmes, porte « une parole dont elles ont fait du pain pour les multitudes », nous enseignant d’abord l’urgence de retrouvailles entre juifs et chrétiens.  Mais le message vise plus profond encore. Il faut se dessaisir des croyances délétères, sortir de sa « zone de sécurité » construite sur des récitations de l’enfance, puis oser « l’exode » du dépouillement, le renoncement aux certitudes qui seuls permettent de rencontrer Dieu en vérité. Devenir ce que Jean Lavoué nomme un chrétien « en sortie ». C’est d’ailleurs ce à quoi nous invite le pape François depuis le début de son pontificat… 

Dans tous les cas, et avec ce merveilleux auteur que Jean Lavoué mentionne au passage, nous pouvons nous remémorer les dernières lignes de Maurice Bellet dans Incipit : « Ce n’est pas sur ce que tu as été ni sur ce que tu es que te juge la miséricorde, c’est sur ce que tu as désir d’être. Il n’y a pas d’homme condamné ». N’est-ce pas la meilleure incitation à tenter une sortie hors des sentiers battus ? 

[1] Valérie Chevalier, Ces fidèles qui ne pratiquent pas assez… Quelle place dans l’Eglise ? Lessius, 2017, cité par J. Lavoué in Des clairières en attente. Un chemin avec Jean Sulivan, Paris, Médiaspaul, 2021, p.81. 

Voir également la recension d’Anne Soupa sur ce livre dans Témoignage Chrétien N° 3927/3928 du 23/07/2021 


Jean Lavoué, Des clairières en attente. Un chemin avec Jean Sulivan, Paris, Médiaspaul, 2021

























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