.
Jean-Pierre Siméon, L’intense
Par Christian Saint-Paul
À propos de Petit éloge de la poésie (Folio 2 €)
Agrégé de lettres modernes, auteur d’une œuvre poétique déclinée dans plus d’une vingtaine de livres, auteur de romans, de récits et de poèmes pour la jeunesse ainsi que d’une importante œuvre théâtrale où la poésie est toujours présente, il fut directeur pendant vingt ans du Printemps des poètes et poète associé au Théâtre national populaire. Il dirige actuellement la collection poésie aux éditions Gallimard. Il vient de recevoir le Grand Prix de Poésie de l’Académie Française.
C’est dire qu’il incarne aujourd’hui la figure du poète français.
Après ses deux essais : « La poésie sauvera le monde » (éd. Le Passeur, 2015) et « Politique de la beauté » (éd. Cheyne, 2017), il fait paraître chez Gallimard, collection folio sa haute contribution à la série « Petit éloge de... » avec un
essai incisif : « Petit éloge de la poésie ».
« Petit éloge » était le titre obligé de cette collection prestigieuse folio qui porte
la grande vulgarisation à son bénéfice le plus noble.
En réalité, Jean-Pierre Siméon, avec la fougue littéraire qui l’anime dès qu’il touche au poème, nous livre un grand éloge de la poésie et c’est ainsi que nous l’entendons.
Cet enthousiasmant plaidoyer pour la poésie s’inscrit dans le prolongement des essais antérieurs. Ce qu’il y a de remarquable et que l’on peut qualifier « d’utilité publique » dans cet éloge, c’est la clarté des propos et leur étincelante accessibilité aussi bien au public ombrageux de ceux qui ont tout lu des poètes et des commentaires savants des critiques, qu’au grand public quasi néophyte qui n’a qu’un rapport vague avec la poésie, réduite à l’émotion, et qui prend ce vague pour la poésie elle-même.
Jean-Pierre Siméon en vieux routier de la poésie connaît bien ces deux publics et leur parle d’une voix commune.
Il n’oublie jamais que le poème, même s’il est fatalement l’expression d’une pensée, est de prime abord ressenti. Mais l’émotion n’est rien sans l’esprit.
Jean-Pierre Siméon cite volontiers Hugo Von Hofmannsthal : « L’esprit déploie sa plus grande force corps à corps avec le sensible ».
Il est temps de tordre le cou aux idées reçues calamiteuses sur les poètes, perçus comme des êtres éthérés englués dans leurs rêves au mépris de toute réalité. Au contraire le poète est dans ce combat « corps à corps avec le sensible » pour précisément faire corps avec le réel.
Car c’est la langue, la parole poétique qui fait surgir le réel, effacées les trompeuses apparences.
Le réel que nous révèle le poème est l’empathie avec le monde que Georges Haldas dès 1979 nommait « l’état de poésie ». Il rejoint Georges Perros qui affirme après Hölderlin que la poésie est « une manière d’être, d’habiter, de s’habiter. »
Nous sommes bien loin de l’éloge du charmant, de l’ornemental, de la prouesse de forme qui enjoliveraient notre existence. La poésie n’est ni un divertissement, ni un raffinement.
Si, bien entendu, la poésie ne récuse pas le beau, elle va à la rencontre d’un « mouvement de conscience qui est élan vers le feu perdu de la vie. »
Cet élan, celui du voyant de Rimbaud -et c’est la lucidité et non la folie qui fait le voyant - précipite le lecteur de poème dans la gravité. Celle-ci exige un temps de latence, ce temps d’arrêt si contraire à notre société façonnée par l’obsession du résultat, de la marche accélérée des marchés.
S’évadant de cette injonction, la poésie est le lieu d’une liberté sans limites. La poésie qui cherche un « ailleurs » dans la parole et n’est jamais ce que l’on croit, est en perpétuelle métamorphose.
La poésie est révolutionnaire par nature. La parole poétique nous détourne de la monosémie - la langue uniforme prônée par les médias et d’une façon générale par toutes les forces du pouvoir - pour la polysémie, langue où les mots ont une multiplicité de sens. La poésie est donc le retour à la vie de la langue, elle est même la seule langue vivante, insiste Jean-Pierre Siméon.
En 1979, l’année où Georges Haldas publiait « L’état de poésie », un autre Suisse Charles Ferdinand Ramuz faisait paraître « La pensée remonte le fleuve », livre qui dénonçait, entre-autres, le conditionnement massif : « Les bourgeois lisent leur journal et leur éternelle duperie est de prêter aux choses très exactement l’importance que leur journal leur attribue. »
Plus tard, en 2015, un autre poète Jean-Pierre Siméon reprendra la même constatation dans « La poésie sauvera le monde » : « Telle est la supercherie de nos démocraties : elles tiennent le citoyen informé comme jamais mais dans une langue close qui, annihilant en elle la fonction imaginante, ne lui donne accès qu’à un réel sans profondeur, un aplat du réel, un mensonge. »
La poésie nous prémunit du mensonge commun.
Mais le poème ne perd rien de son mystère et tient en échec la raison.
Expliquer le poème c’est, rappelle Jean-Pierre Siméon, comme s’en moquait René Daumal être « explicateurs d’explications ». Yves Bonnefoy a dénoncé
cette prétention : « Le lecteur de poésie n’analyse pas, il fait le serment à l’auteur, son proche, de demeurer dans l’intense. »
Christian Saint-Paul
.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire