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L’humble berger du Très-Bas
À Noël, ce n’est pas seulement un enfant qui naît mais c’est le monde aussi, dans sa fragilité et sa tragédie, dans sa bonté surtout, sa lumière et son chant. Saurons-nous le reconnaître encore cette année au cœur de cette bourrasque qui secoue les assises mêmes de notre demeure commune ? La guerre est à nos portes. Les grands équilibres de notre planète bleue vacillent…
Noël ne survient pas seulement voici deux mille ans, mais c’est au commencement de tout et c’est maintenant : l’acte créateur dont, depuis la nuit des temps, le cosmos entier est le fruit. À quoi bon célébrer la naissance d’un enfant dans les montagnes de Judée si nous n’en discernons pas le surgissement en nous-mêmes maintenant comme partout autour de nous ?
Cet enfant refera, dit-on, toutes choses nouvelles, il sera incompris des maîtres des nations, étranger au pouvoir des hommes, il sera mis à mort et pourtant, en chaque conscience ouverte à son amour, sa vie triomphera. Pouvons-nous l’assurer quand, à nos portes, la barbarie s’abat sur des frères partageant depuis des siècles cette même religion d’amour ? L’abus de puissance de traditions religieuses détournées de leur source fait vaciller, lui aussi, des constructions que l’on croyait immuables.
La splendeur du monde peut aujourd’hui être anéantie. La démesure humaine, le triomphe du mensonge, la dévastation des ressources de la terre, le règne de l’argent la clouent chaque jour un peu plus sur la croix du désastre à laquelle, le voulant ou non, par le moindre de nos gestes, nous contribuons. C’est la naissance même de l’enfant de la promesse que nous ne cessons de mettre à mal. Les outils de domination de l’homme se retournent contre lui-même. Saurons-nous redonner à nos démocraties la vigueur nécessaire pour que la vie malgré tout l’emporte ?
Célébrerons-nous justement la Vie en ce Noël, rappel du premier jour ? Offrirons-nous notre gratitude pour ce don d’un univers tellement plus vaste que les membres crucifiés de notre petite planète bleue humiliée ? Pourrions-nous revenir au respect profond dont ont témoigné à son égard toutes les cultures premières : la naissance d’un enfant pauvre, témoin au cœur du cosmos étoilé de ce surgissement prodigieux de la Vie, ne devrait-elle pas nous y enraciner davantage ?
Pourrions-nous bénir la magnificence de cet enfantement de tout, de cette genèse d’amour qui ne se reprend pas, irradiant le moindre atome et toutes les galaxies ? Songeant à la naissance au vent des étoiles de ce petit enfant, pourrions-nous faire confiance à cette donation féconde, toujours fidèle, qu’aucune atteinte ne décourage jamais ? Elle est la matière même de l’univers, c’est elle qui relève à jamais tout être et toute chose : en serons-nous les bergers reconnaissants ?
Le poète Christian Bobin avait une tendresse particulière pour la fête de Noël dont il redoutait plus que tout le recouvrement sous le poids des objets et des cadeaux. Il n’a jamais cherché à revêtir du moindre ornement religieux l’enfant dont il s’est contenté d’accueillir la nudité de la naissance en lui comme en tout être et toutes choses… Chaque instant de sa vie, chaque rencontre lumineuse, le vol d’un papillon de juillet comme l’éclat douloureux du départ de Ghislaine, « la plus que vive », n’ont cessé de réveiller en lui les traces de cette naissance. Il s’est mis à l’humble école du Très-Bas dont il nous a fait le don dans une écriture jaillissant de la Source même.
C’est à cette naissance aussi que nous sommes conviés en ce Noël célébrant ce qui se joue à chaque instant au cœur de tout être : humains, plantes, animaux et jusqu’à la moindre parcelle de l’univers. Que la blessure de l’absence de l’ami rejoignant celle de l’enfant malmené par nous depuis vingt siècles nous ouvre à cette attention première dont il s’est fait pour nous, dans le sillage de ce dernier, non seulement un maître ardent mais surtout un frère tellement accordé !
Jean Lavoué, texte paru dans le numéro de Noël du journal Témoignage Chrétien
Photo de Jackie Fourmiès
« Le cadeau de Noël qui vous rendrait heureux, Christian Bobin ?
Qu'on m'emmène devant un arbre couvert de givre... Tout simplement. »
20 décembre 2007 - La Vie n°3251
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