Traduire

mardi 28 février 2023

 .





Pierre Tanguy a lu le dernier livre de Philippe Forcioli : « Les impromptus de la Sauvegarde »

   Le chanteur et poète Philippe Forcioli a rédigé sur son lit d’hôpital avant sa mort le 16 février dernier, à l’âge de 69 ans, un livre-témoignage sur l’expérience vécue sur place mais encore plus sur certains moments-clés de sa vie. Un livre de gratitude et de ferveur de la part d’un homme qui a « troqué sa guitare contre un clavier de paradis/pour célébrer la vie en toutes ses octaves », comme l’écrit son ami poète et éditeur, Jean Lavoué, qui publie aujourd’hui le livre du chanteur. 

   Les impromptus de la Sauvegarde. Un titre de livre qui mérite explication. Impromptu, nous dit Philippe Forcioli, parce qu’il s’agit d’un manuscrit « improvisé », « sans préparation ». La Sauvegarde, c’est la clinique lyonnaise où il sera soigné au cours de cet hiver 2022-2023. « J’aime bien ce titre, note-t-il, je le verrais bien inscrit sur un bon et honnête bouquin doux au toucher, je l’emporterais dans mon panier, impatient d’entrer dans ce titre un peu mystérieux mais attirant ». Jean Lavoué a comblé ses vœux.

  Le déclic pour engager ce travail d’écriture a été, pour lui, l’annonce de la mort du poète Christian Bobin, le 23 novembre dernier. A peine huit jours après, Philippe Forcioli entamait son livre en commençant par un hommage appuyé au poète et penseur du Creusot dont il se sentait si proche. Et il le termine par une anecdote relative à Bobin (« histoire vraie d’un petit miracle ») puisqu’une dame de service de l’hôpital lui raconte, un jour, avoir bien connu le poète et surtout son amie Ghislaine dont celui-ci gardait les enfants (Ghislaine, La plus que vive, du récit fameux de Bobin). La boucle était bouclée. Comme un signe du destin.

   En une série de poèmes ou textes courts, Philippe Forcioli évoque sa vie d’hôpital en commençant par un hommage appuyé et profondément touchant aux infirmières, « veilleuses sans cesse allumées de l’intérieur ». Le lisant on pense ici au livre de Lydie Dattas, qui fut la compagne de Christian Bobin (décidément, on ne le quitte pas), racontant dans L’expérience de bonté (éditions Arfuyen) l’attention soutenue que lui accorda une religieuse infirmière lors d’un séjour à l’hôpital, alors qu’elle était enfant.  Les infirmières, donc, « aux gestes les plus délicats ». Mais aussi la chimio ou l’anesthésie locale, « allongé sur un lit à roulettes sous une toile bleu-vert » quand le chirurgien demande à l’infirmière : « Chantal, assurez-vous que M. Forcioli est à plat ».

Philippe Forcioli rêve, médite, interprète le passage des nuages (« ce don gratuit du ciel »), ces nuages dont Christian Bobin disait qu’ils étaient de « merveilleux infirmiers ». Il rembobine sa vie, celle d’un enfant « dans le ciel d’Algérie l’Oranie la forêt de M’Sila où mes grands-parents s’occupent d’une ferme viticole ». Celle d’un gamin qui assiste, émerveillé, au match Algérie-Brésil (avec Pelé) le 17 juin 1965 dans un stade d’Oran. Mais, surtout, voici sa mère, dont il dresse un portait touchant et dont il rapporte des confidences qu’elle lui a faites. « Elle m’a dit /chaque fois que j’entends que l’on frappe un enfant/j’ai envie de hurler j’ai envie de griffer » (…) « Elle m’a dit/ à sept ans j’ai remporté le premier prix de chant au conservatoire de la cathédrale ».

   Tenait-il de sa mère ce don pour le chant ? Pourquoi ne pas le penser. Philippe Forcioli, en tout cas, en a fait son métier. Il a bourlingué dans toute la France, surtout dans le sud, chansons « à textes » en bouche (façon Jacques Bertin, Julos Beaucarne ou Félix Leclerc), guitare en bandoulière. Il le raconte ici. Un bail de 40 ans. « Me suis rarement vendu. Partagé, loué, donné pour rien souventes fois, telle fut ma vie ». Vie de poète aimant les poètes. Bobin, bien sûr. Mais aussi René Guy Cadou, le poète « solaire et fraternel » qu’il a mis en chansons, comme l’a fait Manu Lann Huhel en Bretagne.

    Philippe Forcioli aimait Cadou. Il a chanté en Loire-Atlantique dans le pays de Cadou. Il aimait la Bretagne où il avait un réseau de fidèles. C’est en Bretagne que son livre-testament est aujourd’hui publié. Un livre qui répondait à une exigence, à une nécessité intérieure. « un jour nous comprendrons que la poésie n’était pas un genre littéraire mal vieilli mais une affaire vitale, la dernière chance de respirer dans le bloc du réel », écrivait Christian Bobin dans Un assassin blanc comme neige (éditions Gallimard). Philippe Forcioli nous le démontre s’il en était besoin.
                                                                                Pierre TANGUY.

Les Impromptus de La Sauvegarde, Philippe Forcioli, éditions L’Enfance des arbres, 132 pages, 15 euros (disponible en librairie sur commande ou chez l’éditeur, frais de port 4,50 euros, L’Enfance des arbres, 3, place vieille ville, 56 700 Hennebont, message à jlavoue@gmail.compour un virement)

Photos : portraits de Philippe Forcioli par Francis Vernhet et de Christian Bobin par Dominique Errante








.

Aucun commentaire:

[URL=http://www.compteur.fr][IMG]https://www.compteur.fr/6s/1/6057.gif[/IMG][/URL]