Traduire

mardi 17 octobre 2023

 .


Je suis heureux de vous partager ici la préface écrite pour ce beau recueil de Corinne Bonnet : « Corps à ciel ouvert ». Ce fut une joie pour moi,  par ce texte, d’en accompagner la sortie et de me tenir ainsi près l’auteure revenue de sa traversée de l’épreuve profonde de la maladie. Nous étions l’un et l’autre en pays de connaissance, la poésie ayant constitué pour nous deux une ressource essentielle dans ce passage vers le retour à la vie. C’est désormais pour d’autres personnes confrontées à la vulnérabilité que Corinne Bonnet souhaite par sa poésie continuer à transmettre sa confiance vitale, notamment en milieu hospitalier.

JL






Préface

Ce « Corps à ciel ouvert » est né d’une pratique méditative assidue, bien antérieure à l’épreuve : un art pour l’auteure de se rendre présente aux émotions qui la traversent, aussi bien qu’à la beauté de la nature et à l’expérience même de ce corps enraciné qui devra un jour affronter la tempête. Le vent s’est levé en bourrasques toujours plus violentes, mais parce qu’il puisait loin dans ses ressources intérieures, l’arbre a tenu bon. C’est le récit d’un sauvetage comme des patients et des équipes soignantes heureusement en connaissent parfois. Mais nous rappeler ainsi à tous, la précarité de nos vies et les ressources susceptibles d’en renouveler la sève, est un cadeau des plus précieux, tant pour les malades que pour leurs accompagnants.

Voici un recueil de textes très intimes. Ils touchent au plus fragile et au plus vulnérable de la vie d’une femme exposée aux courants contraires, en pleine tempête de la maladie : un cancer agressif nécessitant des traitements intrusifs, une chimiothérapie, plusieurs chirurgies, jusqu’à l’immunothérapie salvatrice. On suit pas à pas le journal de la patiente, ses découragements, la brise légère de ses réconforts. Comme une mise à nu précédant la reprise du souffle vital. Et pour parvenir à ce redressement, outre la responsabilité et l’engagement des équipes soignantes, le courage intérieur d’une femme qui va se saisir de l’écriture comme d’un viatique.

Ce qui est remarquable ici, c’est la force de la poésie qui relève et qui sauve ! Je viens personnellement d’accompagner en tant qu’éditeur un ami artiste, poète et chanteur, Philippe Forcioli ; magnifique interprète de René Guy Cadou qui nous relie aussi à Corinne Bonnet : l’un de ses poètes « source » confronté lui, si jeune, à l’épreuve du cancer... Fin décembre 2022, Philippe Forcioli m’a confié les textes poétiques écrits sur son lit de malade et nous en avons fait ensemble un cadeau à transmettre aussitôt aux amis et aux équipes médicales qui l’accompagnaient. L’écriture le tint lui aussi vivant jusqu’au bout, entouré de Cadou, de Bach, de Bobin, même si elle ne lui permit malheureusement pas de vaincre le cancer. Complice du plus vulnérable en lui, voici le conseil qu’il donne aux lecteurs de son ultime ouvrage écrit sur son lit d’agonie non sans une pointe de jubilation : comme un testament de joie ! « Les écrits pansent les blessures. Alors, bon voyage les insomniaques ! Tentez le coup ! Écrivez, écrivez et les somnifères au panier ! »1

C’est cette même force de surrection que l’on trouve dans le recueil bouleversant des traversées de Corinne Bonnet. Ce sont avant tout un souffle et un rythme qui s’im- posent au lecteur entre les pauses du journal minutieux des événements médicaux. Il faut accepter de se perdre dans les mouvements du corps et du cœur, sur lesquels nul n’a prise, ni les médecins, ni les infirmières ni même la patiente qui doit bien s’abandonner aux mystérieuses transformations qui se déroulent en elle. Alors elle fait des mots son radeau, son esquif.

C’est une poésie pleine de nervures et de force que nous offre ici l’auteure. On se trouve plongés dans une sorte de tragédie sismique qui va entraîner la mobilisation de forces insoupçonnées. Le poème aspire par-delà tant de bouleversements et de précipices à retrouver la paix des grandes forêts et des prairies en fleurs. À renouveler tout un « peuple d’arbres », de « champs frissonnant d’abeilles » et tout aussi bien « la sève des oiseaux migrateurs », « l’ivresse de l’air marin et du romarin »...

Les mots sont salvateurs. Ils sont plus essentiels que les pertes que le corps pourrait endurer. Ce sont eux qui permettent de « convoquer encore des printemps ». Et le poème permet de les offrir en branches fleuries, en « immense respiration ». Car on est bien dans le registre de l’oralité et du souffle. Et ces textes demandent avant tout à être proclamés à la face du vivant. La maladie devient elle-même boussole du poème. Et ce dernier une marche pour le « oui », pour le « maintenant », pour la vie. C’est là ouvrage de recréation !

C’est aussi une véritable relecture de vie amicale et affective que ce livre nous propose. Comme une visitation des liens essentiels, des présences silencieuses qui sont le sel de la vie, jusqu’à celle de l’oiseau égaré reprenant soudain son envol. Invitation à l’autocompassion. Livre aussi bien d’oraison et de contemplation que livre de combat contre un ennemi insaisissable.

Jean Lavoué

1. Philippe Forcioli, Les Impromptus de La Sauvegarde, Ed. L’enfance des arbres, 2023.











.

Aucun commentaire:

[URL=http://www.compteur.fr][IMG]https://www.compteur.fr/6s/1/6057.gif[/IMG][/URL]