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mercredi 15 novembre 2023

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Me voici immobile

Incapable depuis trois jours

De poser le pied dehors

Et je sens combien le Blavet 

Coule en moi

Dans mes mots

Mes silences

Mes lumières fraternelles 


J’en ai profité pour faire la connaissance

D’un poète fulgurant Henry Rödel

À peu près inconnu de tous 

Petit frère d’Etty Hillesum

Et de Magda Hollander-Lafon 


C’est sa nièce Christine Schmelck 

Lectrice des poèmes de L’enfance des arbres

Qui m’a fait parvenir ce document spirituel bouleversant

Qu’elle-même a rassemblé 

À propos de son oncle 

Assassiné par les nazis à l’âge de 27 ans 

« Sur les traces d’Henry Rödel

résistant et poète » (1)


Dès son internement à Compiègne

Pour actes de résistance à Toulouse

Dénoncé par un camarade sous la torture

Il devient le compagnon de déportation de Robert Desnos


Ils erreront de camps en camps 

Compiègne Auschwitz Buchenwald 

Flossenbürg Flöha 

Au cours d’une année d’affreux sévices

Malade Henry sera le premier à être  éliminé 

Fusillé dans une forêt près de Marienberg 

Avec 56 autres prisonniers épuisés 


Découragé par la mort de son ami

Puis anéanti par le vol par un kapo russe

De la petites boîte dans laquelle ils avaient soigneusement conservé ensemble 

Leurs écrits et poèmes de captivité

Robert survivra d’à peine deux mois à Henry

Pour une dernière étape de cette « marche de la mort »

Qui le conduira à Theresienstadt où il mourra d’épuisement et de typhus

Un mois tout juste après la Libération du 8 mai 1945


Le compagnonnage improbable de ces deux amis poètes 

Nous révèle ce qui en l’homme

Est plus grand que l’homme

Et qui ne l’abandonne jamais

Même au prix des plus grandes souffrances 


L’un Robert l’incroyant 

Bouleversé pourtant par le mystère de la vie 

Et par l’amour de sa compagne Youki 

Relevant jusqu’au dernier souffle par son imagination inépuisable  

L’espérance de ses compagnons d’infortune 

L’autre Henry viscéralement abandonné à une présence en lui 

Qui rayonne au cœur de son être

Comme un ami qui même s’il ne le nomme guère 

L’accompagne sans cesse parmi ses frères de douleur


Jusqu’au bout de l’épreuve 

Lui le papa de deux jeunes enfants 

Dont il ne connaîtra pas le second 

Mais qui écrira dans un de ses poèmes prémonitoires 

À propos d’Anne sa fille aînée 

Juste avant son arrestation 

Cette sorte d’adresse angoissée 

«  Mais l’enfant devait naître

Maillon de mon maillon

C’est toujours le même sens 

Est-ce donc impossible de rebrousser chemin ? »


Comme leur vive présence nous est redonnée

Par-delà leur absence

Par ce vif témoignage des liens du sang 

Mais aussi par l’amour indéfectible et l’amitié 

Comme ils deviennent membres de notre famille la plus intime

La seule que nous ayons 

Notre famille humaine 


Comme la poésie transfigure leurs différences

Féconde leur chemin de souffrance 

Et les relie par-delà toutes revendications 

De cultures ou d’identités 

Devenues soudains si stériles 

Et secondaires 


Ce sont là deux hommes simplement 

Deux frères noués à l’arbre du mystère

De notre condition humaine

Et leur cri de lumière nous rejoint

Semblable à celui d’Etty et de Magda

Ou encore de Shelomo Selinger

Que Christine Schmelck cite

À la fin de son livre de témoignage et d’amour


« Je crois en l’Homme…

Je crois encore en la possibilité de l’Homme

Car là où cela ne se pouvait

Où cela n’aurait pas dû 

Des hommes ont conservé leur dignité

Et leur intégrité 

Là où toute humanité devait être détruite

Des hommes n’ont pas renoncé 

À leur visage divin. » (2)


C’est Paul Eluard  qui trouva lors du retour des cendres 

De Desnos à Paris en octobre 1945

Les mots que les deux compagnons et amis

Henry et Robert auraient pu s’adresser l’un à l’autre

Après leur tragédie vécue ensemble jusqu’à la fin  

« Jusqu’à la mort tu as lutté 

Tout au long de tes poèmes la liberté Court comme un feu terrible 

Ta poésie c’est la poésie du courage 

Tu as toutes les audaces possibles

Tu vas vers l’amour vers la vie

Vers la mort sans jamais douter… »


Jean Lavoué, 14 novembre 2023

Photos Robert Desnos et Henry Rödel 

www.enfancedesarbres.com 



  1. Édition Le Publieur, Paris, 2023, 16 €
  2. Shelomo Selinger avec Laurence Nobécourt, Nuit et lumière, des marches de la mort au chemin de la vie, Albin Michel, 2021 







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