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mercredi 24 octobre 2018

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Suicide de trois jeunes prêtres et religieux ces deux dernières années : le frère dominicain Philippe Dockwillern 43 ans, enseignant à la catho de Lyon, le 20 août 2016
Jean-Baptiste Sèbe 38 ans, prêtre à Rouen, le 18 septembre 2018
Pierre-Yves Fumery 38 ans, prêtre à Gien, le 20 octobre 2018

Des histoires singulières mais des circonstances analogues… Des mises en cause par l’entourage à propos de gestes inappropriés : difficile à assumer dans le contexte actuel de crise morale de l’Eglise !… Interdiction absolue pour la nouvelle génération de faillir par rapport aux échecs des générations précédentes… Injonctions paradoxales entre formation cléricale à outrance et appel du pape François à désormais décléricaliser l’Eglise…

Comment, pour ces jeunes prêtres, assumer une exigence morale qui n’a jamais été aussi lourde sur leurs épaules ?…

Désir de partager ce texte de Jean Sulivan qui date de 1979. C’est extrait de son dernier livre, L’exode. Il garde toute sa force 40 ans après ! En quoi l’Eglise catholique s’est-elle laissée remettre en cause par ces années de grands bouleversements ?

Jean Lavoué

« Combien de temps encore, des hommes et des femmes seront-ils immolés à l’Institution ? »

«  …Et par exemple pour revenir à des sujets irritants et qu’on esquive trop vite avec des pensées pieuses ou morales : Quelle signification peut avoir le célibat sans enracinement dans l’humain ?

Pourquoi le ton n’est-il pas juste quand des questions de ce genre sont abordées ? Parce que l’assurance du savoir masque mal le désarroi et ce qu’il refoule. Et cependant seule la question posée jusqu’au bout amorcerait une thérapeutique. Vous avez peur, Excellences, de voir le désert s’élargir autour de vous. Des théologiens insoupçonnables posent les vraies questions en rappelant une tradition plus ancienne, mais vous faites tout pour que cela ne se sache pas. Vous les refoulez eux aussi.

Au lieu de quoi vous dites que tout ne va pas si mal, qu’il y a une petite reprise. Encore un effort. Voyez la lumière au bout du tunnel… Mais vous demeurez dans le cadrage ancien. Vous seriez si pauvres s’il fallait sortir de la maison où vous êtes encore honorés et confortés par les vôtres. Votre appel s’inscrit dans des circonstances nouvelles avec une mentalité ancienne. Votre imagination, votre courage et votre foi vous les employez à justifier ce qui est, à refuser l’exode. « Tout le monde sait ce qu’est un prêtre, ce qu’il doit être ». Comme vous allez vite, en supposant la question résolue ! Comme si la ferveur des convictions pouvait remplacer la clarté de l’analyse.

… Beaucoup de prêtres sont mal à l’aise dans l’état sacerdotal que vous absolutisez hors du temps. Vous en faites des « superchrétiens », petits chefs qui obéissent aux grands, pour assurer le gouvernement spirituel, tandis que les laïcs s’occupent des affaires de ce monde. Si bien qu’ils sont posés là, parachutés, fonctionnaires du sacré, chargés de mettre au point la foi collective. Comment pourraient-ils être inventifs et créateurs ? Si certains deviennent des « maîtres spirituels » c’est souvent malgré l’appareil ou à côté.

Vous dites : Jeunes gens il y a du travail pour la moisson. Mais ayant décidé préalablement de ce que souhaitent les communautés, convaincus qu’il importe de reproduire un modèle ecclésial relativement récent que vous ne craignez pas de justifier imprudemment par l’Evangile, vous leur fermez la porte. Et sans doute il est vrai qu’un grand nombre de communautés veulent la reproduction du modèle et en cela vous êtes de bons porte-paroles…

Vous fermez la porte à ceux que vous appelez en liant le célibat à la vocation, ne voulant écouter que la demande des communautés constituées, oubliant l’appel de tant d’autres éparses, abandonnées et cependant porteuses d’avenir, les sacrifiant à une loi comme si la loi faisait partie du dogme… A quoi bon les imprécations ? Mais enfin d’un bout à l’autre l’Evangile ne condamne qu’une seule race d’hommes : ceux qui subordonnent les hommes vivants aux principes. Est-il possible d’ignorer certaines réalités à ce point ? Par exemple en certaines régions d’Afrique, d’Amérique latine ou des Philippines, pour ne parler que de ces pays : les situations tragi-comiques de nombreux prêtres aux foyers parallèles, sans compter les dizaines de milliers de tous pays, réduits ici, déserteurs là qui traînent dans les grandes villes du monde… J’en vois trop, trop m’écrivent et je ne puis me taire. Je ne puis entendre dire que tous les prêtres ont accédé librement au sacerdoce. C’est un langage de pouvoir qui exprime une vision triomphaliste du salut… Trop de mensonges douloureusement portés, trop de tortures morales…

… Il y a dans le célibat une disposition naturelle qui sert de support à la grâce. Poser dessus l’étiquette religieuse sans s’occuper de savoir s’il y a une motivation personnelle, là est l’illusion. Se fier à la bonne volonté, à la docilité, à l’ignorance ou à l’enthousiasme de la jeunesse est une méthode de pouvoir non d’autorité spirituelle.

Le respect de la singularité des hommes commencerait là, dans un regard nu porté sur la réalité… Combien de temps encore, des hommes et des femmes seront-ils immolés à l’Institution ? Combien de temps la Contre-Réforme devra-t-elle continuer ? Traînons ce boulet quelques décennies encore, ménageons des transitions pour donner à nos fidèles le temps de comprendre… C’est ainsi que procèdent les pouvoirs qui sacrifient les hommes vivants à des nécessités politiques : pas l’Evangile, pas la foi qui disent : A l’instant même.

… Le jour où certaines plaies seront reconnues et guéries, certains mensonges collectifs amenés à la lumière : ce jour là l’Eglise sera entendue de secteurs qui lui sont fermés. Je parle pour les dizaines de milliers de prêtres d’occident et de partout, réduits, dissidents ou non, colonisés ou rejetés à l’errance. J’aurais honte de ne pas parler pour eux. Je ne les sépare pas de l’Institution. Ce sont nos frères, porteurs aussi de nos péchés, que nous chargeons de la Croix, qui souvent, sur un dur chemin, redécouvrent ce que, installés dans l’inscription que nous voulons définitive, nous avons oublié : la pauvreté physique ou spirituelle, l’abandon qui dépouillent, peuvent recentrer sur le cœur de la foi nue… Plus que d’autres ils peuvent aider à faire sauter le blocage culturel dans lequel se tient la pensée régnante. »

Jean Sulivan, L’exode, 1980




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