LE
BLOC-NOTES/ LA VIE DU 5 DÉCEMBRE 2019
Des
hommes en exode
JEAN-CLAUDE
GUILLEBAUD JOURNALISTE, ÉCRIVAIN ET ESSAYISTE
Une simple conversation enregistrée dans le vacarme de
la brasserie des Ondes, près de la Maison de la radio, aura capté mon
attention, puis porté au rouge mon bonheur. Le poète et écrivain Jean Lavoué y
répondait aux questions d'une interlocutrice avisée, Jeanne Orient. Cette
dernière interrogeait l'auteur sur son livre : René Guy Cadou la fraternité
au cœur (Éditions L'Enfance des arbres 2019).
Petit rappel : René Guy Cadou, mort en mars 1951 à 31
ans, est depuis lors une figure rassembleuse, le point fixe d'une accointance
entre tous ceux qui persistent magnifiquement dans leur infatigable quête de
sens. Une simple référence à Cadou, du côté de la Bretagne, suffit à instituer
un lien « venu d'ailleurs ». Du grand poème de la vie, sans doute...
Mon amateurisme en matière de poésie explique pourquoi
j'ai écouté et réécouté plusieurs fois cette conversation enregistrée au café
des Ondes ( Ricochets avec Jean Lavoué sur YouTube). Une fois de plus, l'expérience me confirme qu'une
conversation, sans grandiloquence ni « séduction » façon médiatique, peut vous
toucher immédiatement au cœur.
Ce que Jean Lavoué m'a aidé à comprendre, c'est de
quelle façon tant d'hommes et de femmes sont aujourd'hui « en exode ».
Chrétiens ou anciens chrétiens pour la plupart, ils ont quitté une spiritualité
trop encombrée du rituel religieux, structurée, voire cadenassée par un
cléricalisme raidi. Ces hommes et femmes en exode sont désormais « dehors »,
mais porté par un agnosticisme qui n'a pas vraiment rompu avec la vibration, le
poème, le parfum spirituel de l'Évangile.
« J'écris pour me sauver/Pour saluer ce qui reste »,
écrivait René Guy Cadou. Il fut ainsi un visionnaire ou un sourcier du «
prochain christianisme ». Si tant est qu'il se révèle un jour. Tel est le
propos de Jean Lavoué. Il se dit lui-même (encore) chrétien, mais ouvert sur le
monde des autres spiritualités, et les quêteurs de sens, tous « en exode » au
plus beau sens du terme.
Quand on suit à la trace ces hommes et ces femmes « du
dehors », on est frappé par la riche configuration que l'on voit apparaître.
Elle va des plus « éloignés » aux plus « proches ». L'admirable Jean Sulivan
(1913-1980), de la même génération que René Guy Cadou, est à classer parmi les
« proches » puisqu'il fut prêtre jusqu'à la fin. Dans les années 1970, j'avais
lu une partie de son œuvre (conséquente) d'écrivain, dont les deux volumes de
Matinales, qui restèrent longtemps sur ma table de nuit, ou le roboratif
Bonheur des rebelles.
« Mes filles,
méfiez-vous des sacristains. À force de nous sonner les cloches, ils couvrent
la forte rumeur des Évangiles. » XAVIER GRALL
Quant à Xavier Grall (qui fut chroniqueur à La Vie),
j'ai déjà parlé ici de plusieurs de ses livres dont l'époustouflant l'Inconnu
me dévore, réédité aux Éditions des Équateurs. Je garde encore certaines
apostrophes de Grall dans ma mémoire. Comme celle-ci, adressée à ses cinq
filles qu'il appelle « mes divines ». « Méfiez-vous de ceux qui montent la
garde à la porte des églises. Ils font la quête. Ils pérorent, écrivent
cantiques, sermonnent. Mes filles, méfiez-vous des sacristains. À force de nous
sonner les cloches, ils couvrent la forte rumeur des Évangiles. »
Oh, bien sûr, il paraît que la Bretagne n'est plus
chrétienne comme avant-hier. Mais je sais moi, foi de Charentais, qu'elle porte
toujours en elle la musique, la vibration, l'empreinte, le parfum tenace de
l'Évangile.
Jean-Claude Guillebaud
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