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jeudi 9 avril 2020

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Voici un texte que m'a transmis mon ami Charles Froger. Il me plaît de le partager avec vous ces jours-ci. Jean-Paul-Kauffmann fut son élève au collège Saint Vincent de Rennes. Grand reporter au Liban, durant trois ans il a été détenu au secret, de 1985 à 1988, dans la crainte d'être tué par les djihadistes. Voici ce dont il témoigne à son retour de  captivité :

"Pendant trois ans, je n'ai pas vu la lumière du jour dans ma cellule. A chaque fois que nous changions de lieu de détention - des caves, le plus souvent - nos gardiens prenaient un soin extrême à masquer les éventuelles lucarnes par des tôles d'acier qu'ils vissaient sur l'ouverture. A chaque fois l'une des vis me semblait n'être pas totalement serrée. Un minuscule rai de lumière passait quand même à travers le mur de la haine. (...) Aujourd'hui j'ai presque envie de vous dire : Regardez-moi. Regardez ce retournement extraordinaire, cette résurrection ! A chaque journée qui commence, j'ai le sentiment de faire du "rab". Toute ma vie a pris une consistance nouvelle, même les choses les plus élémentaires. Tout est empreint de grâce. Sans être aveugle sur les dysfonctionnements et les drames du monde, je suis émerveillé par la Création. Je sais aujourd'hui que la vie qui nous est donnée à une saveur extraordinaire. Dans ma cellule, je me disais : "j'ai quarante-six ans, et je vais crever sans avoir rien fait de ma vie." Comme beaucoup de gens de mon milieu de journalistes parisiens, je vivais dans une certaine futilité, un peu à la surface de moi-même. Je sais aujourd'hui que l'existence ne dure que l'espace d'un éclair. Il faut se dépêcher de vivre. (...) Je conçois ce qu'il peut y avoir de terrible à affirmer que, d'une certaine manière ma détention m'a donné de découvrir combien la vie a un prix. Dans la tradition chrétienne, on évoque parfois le "pressoir mystique", ce lieu obscur où le raisin est foulé aux pieds, écrasé pour mieux ressusciter en vin délectable. Cette image me parle beaucoup, à moi qui suis un amateur de Bordeaux ! Je crois qu'effectivement mes trois années de détention m'ont fait passer par ce pressoir qui m'a changé le goût de la vie. Je suis un peu un "ressuscité" ! Lorsque me reviennent les images de ma libération, je pense souvent à Lazare sortant du tombeau comme un bon vin qu'on remonte de la cave... Jamais je n'ai vécu autant de proximité avec Dieu que lorsque j'étais dans mon cachot libanais. La conversion ne s'est pas faite dans la fulgurante d'un instant (...) Cela s'est fait peu à peu, de manière imperceptible. Quelque chose qui vous gagne dans la solitude, dans le noir (j'avais les yeux bandés). Un sentiment très étroit de proximité avec une présence invisible. Une présence qui me répond. Qui me dit : "Tu n'es pas abandonné, tu n'es pas seul."

Jean-Paul Kauffmann

"Entretien avec Bertrand Révillion  - Croire ou ne pas croire Tome 1"


Photo : Jean-Paul Kauffmann - Journaliste et ancien otage au Liban - lors de sa libération, le 4 mai 1988 après 1.037 jours de captivité.













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