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dimanche 14 juin 2020

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Je lis peu de romans mais lorsqu'un bon conseil de lecture m'est donné ou qu'un ami me propose la découverte de son dernier récit, je me laisse happer avec bonheur. Il faut dire qu'un frère commun en écriture nous rapproche Jacques-Yves Bellay et moi : ses romans furent autant d'éclats de poésie dans la nuit. Et cela dure, en ce qui me concerne, depuis près de cinquante ans !
Lisant Jacques-Yves Bellay je ne peux m'empêcher de guetter avec lui les fulgurances du Poème Sulivan et, au moment inattendu, de les reconnaître comme cette voix, au fond, qui nous appartient en propre à tous. À chacun de la mettre au monde. Jacques-Yves Bellay s'y emploie avec ferveur. 

Chez lui les sources sont multiples. On pourrait aussi bien citer Céline, Duras ou Borges. Mais sans hésitation la voix est cependant unique, identifiable, singulière. C'est bien elle qui donne le là. C'est cela que l'auteur, me semble-t-il, met au jour toutes ces dernières années où s'accomplit un nouveau tracé de son écriture : il en est à son cinquième roman en six ans.
Je me souviens encore de ses premiers écrits voici plus de quarante ans, l'âge de notre rencontre. 

Je me laisse cette fois encore emporter par le détour d'éléments biographiques qui tout à coup me frappent. Au fond, tout comme celle du psychanalyste, sans doute ne faut-il pas trop
connaitre la biographie du romancier. La réserve de l'auteur est nécessaire tout comme celle du lecteur. Ou bien celui-là doit-il s'employer à brouiller les pistes... Et avec cet auteur on est servi ! À force de vouloir traquer le réel, on risquerait sinon de perdre le fil de l'imaginaire, la brusque survenue du symbolique. L'écriture de Jacques-Yves Bellay parcourt avec jubilation tout cet arc indécis de la parole : elle est brève, sèche, volontiers argotique, toujours vive, presque emportée parfois ; son jazz nous révèle plein d'allégres surprises mais elle peut tout aussi bien nous planter là soudain sans crier gare. Le récit nous conduit vers où le cœur défaille, où l'émotion nous saisit. Traversée du deuil, d'un amour ténébreux avec, au fond, une clarté qui poind, se survit et ne cessera plus de grandir. 

C'est par fulgurance que l'essentiel nous est suggéré. Des éclats de transcendance à hauteur d'homme. Un agnosticisme dont la porosité à l'inconnu nous rejoint, fait du bien. L'auteur, s'il va son chemin dans la nuit, n'a pas oublié les traces. Il reste en alerte. Et dans sa voix vibre encore la chaleur du Poème.
De la Bretagne intérieure aux rumeurs de l'océan, de Strasbourg à Paris en passant par l'Alhambra ou par Kaboul, voici un bref récit qui nous emporte à travers les échos multiples d'une impossible transmission qui pourtant s'accomplit. Les maillons malheureux n'empêchent pas le flux de la vie de suivre son cours à travers la chaîne des générations. L'amour est sauf. Derrière la rugosité des caractères sans cesse affleure une tendresse secrète. Une disparition en cache une autre. Une porte dérobée ne cesse de relancer plus loin le mystère. Et c'est au fond la vie qui toujours l'emporte. Pas d'autre dévoilement que celui d'une enfance hantée, d'une mémoire à laquelle il s'agit pourtant de ne pas trop demander. Juste se laisser saisir par le désir, faire confiance à l'inconnu comme à la dure joie.

Jean Lavoué, 13 juin 2020

"Ne dis pas tout à la mémoire", roman de Jacques-Yves Bellay à commander dans toutes les librairies ou bien chez l'éditeur Yellow Concept, Coll. D'ici et d'ailleurs. 122 pages. Prix 16 euros.













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