GEORGES PERROS : ÉCRIRE...
Ecrire, c’est faire vœu de pauvreté.
... c’est une question de timbre, de voix.
... Les mots laissent passer le texte, comme les fleurs, le vent.
Ecrire, c’est dire une vérité que la vie ne supporte pas.
... C’est dire adieu à quelqu’un à quelque chose qu’on reverra le lendemain. On ne peut pas divorcer.
Ecrire donne envie de lire...
Il faut montrer ce qu’on écrit. Ne serait-ce que pour savoir jusqu’à quel point, c’est résistant.
... On a tous un bout de monologue dans la peau. Il faut le donner aux autres, même si l’on s’en méfie.
Il faut écrire pendant que c’est chaud.
Ecrire transfigure la vie, ne la change pas.
... La poésie, seule, et rarissimement, touche le ciel véridique.
Parfois, le soir, il me prend l’envie de téléphoner au bon dieu.
G. Perros, Extraits de Papiers collés
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Cher Brice,
Le plus beau poème du monde ne sera jamais que le pâle reflet de ce qu’on appelle la poésie, qui est une manière d’être, ou, dirait l’autre, d’habiter ; de s’habiter.
Toutes les réactions des hommes relèvent de la poésie. Ça ne trompe pas. La poésie, c’est l’indifférence à tout ce qui manque de réalité.
... C’est le seul engagement qui vaille, parce qu’il englobe la souffrance. Un homme de cet ordre, je me demande s’il peut pleurer. Mais il peut empêcher les autres de le faire.
Cette passion du réel, qui fait longer des précipices, ce goût exclusif, comment ne nous rendrait-il pas plus aptes à comprendre autrui, et pas le comprendre comme ça, non, mais le remplacer, en quelque sorte, le relayer dans son poème interne, retrouver avec lui la source, nettoyer le lit de son eau vive, et remettre en branle la circulation originelle.
C’est derrière les mots qu’il faut aller voir, les mots sont des repères qui peuvent nous tromper si on les manipule de travers. Il y a une charge de silence qu’il faut respecter...
Un grand poète, c’est un monsieur qui, une fois, ne s’est pas trompé, a pris la voie royale de tous ses possibles...
Il est probable que nous sommes le poème de Dieu, fragments de langage unique.
Il y a des moments de fulguration, qui éclairent nos murs, nos limites, qui nous laissent à penser que tout n’est pas absolument absurde...
La poésie, comme je l’entends, c’est le seul obstacle au suicide... Il n’y a pas moyen de se suicider en poésie, puisque c’est, comment dire, déjà fait.
En fait, la poésie, c’est de considérer tous les hommes en poètes, comme s’ils étaient des poètes. Et s’y tenir.
Moi, je vais vous dire, j’ai envie d’être heureux. Un peu comme on dit bêtement que les clochards le sont. Heureux de rien, et incapables de lever le petit doigt pour figurer dans le spectacle...
Mes coulisses, c’est le ciel, la mer, le vent, l’arbre, et qui m’aime me suive ! Je n’en démordrai pas, je n’en démordrai pas, c’est un pacte avec ce qui me paraît plus vrai que tout le reste, avec ce qui me rend à un langage plus modeste, plus fragile par rapport à celui des hommes de société, dont je comprends mal la nonchalance active...
J’ai déniché une mansarde où travailler en paix. Une table, une chaise, une lucarne. Un peu comme si je partais à l’école, tous les matins. Tania n’y trouve pas à redire.
Je vous embrasse, vous et Éliane.
Écrivez.
G. Perros, Extraits d'une lettre à Brice Parain 1962
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