Bel hommage du journal Le Monde à Julos Beaucarne...
Mort du chanteur Julos Beaucarne, un Wallon du monde
Par Jean-Pierre Stroobants (Bruxelles, bureau européen)
Publié le 20 septembre à 19h15
L’auteur de « La Petite Gayole » dénonçait dans ses textes les injustices, les dogmes et le non-respect de la nature.
Tous les Wallons connaissaient son sourire, sa crinière blanche et son éternel pull de laine aux couleurs de l’arc-en-ciel. Et presque aucun Flamand n’a entendu parler de Julos Beaucarne, même s’il aimait aussi, et chantait, cette autre partie de la Belgique. Le royaume est ainsi fait que la renommée d’un artiste très populaire dans une région peut ne jamais franchir la frontière de l’autre.
S’il est donc resté ignoré de la majorité des Belges, Julos (né Jules) Beaucarne aura, en revanche, porté aux quatre coins de la planète un message souvent tendre, parfois inquiet et a accumulé des dizaines d’albums au fil de ses cinquante années de carrière. Les pieds dans son terroir, le cœur porté vers la francophonie, la tête dans les étoiles, il se voulait un Wallon du monde. Il chantait en français et dans son dialecte, il voyageait du Québec au Mexique, de l’Afrique à l’Inde et se ressourçait en Provence, où il démarra sa carrière, faisant la quête à l’issue de ses récitals sur les places de village. Plus tard, sur ses terres, cet adepte de la « vélorution » n’hésitait pas à faire pédaler les spectateurs afin d’éclairer ses salles de concert.
Pour ses concitoyens de tout âge, cet admirateur d’Apollinaire et Verlaine, mais aussi du poète symboliste belge Max Elskamp ou du chanteur québécois Gilles Vigneault, restera à tout jamais comme l’auteur de La Petite Gayole, un texte ironique et gentiment érotique qu’il s’amusait à voir repris dans un pays étranger par un public ne comprenant pas un traître mot d’un texte évoquant une « petite cage » où une belle lui promettait d’abriter « son canari »…
Autodérision et bonhomie
Du rire aux larmes : en février 1975, un événement d’une rare brutalité vint briser la ligne paisible de son existence. Un jeune déséquilibré qu’il avait abrité poignardait son épouse, Loulou, le laissant seul avec ses deux jeunes fils. « C’est la société qui est malade, il nous faut la remettre d’aplomb et d’équerre, par l’amour, l’amitié et la persuasion », écrivait-il au meurtrier. Selon ses amis, il n’a jamais vraiment surmonté son chagrin mais n’en a, pour autant, jamais refermé la porte de sa maison de Tourinnes-la-Grosse, dans le Brabant wallon.
Julos Beaucarne était aussi un héritier du puissant courant surréaliste belge et usait à merveille de l’autodérision, ce « dogme national, revendiqué avec une espèce d’exultation », selon la formule du linguiste Jean-Marie Klinkenberg. Wallon jusqu’au bout des doigts, il incarnait aussi la bonhomie qui caractérise ses compatriotes mais savait aussi mener des combats avec beaucoup de conviction. Il dénonçait l’injustice, le racisme (« Dès l’instant où nous sortons du ventre de notre mère, nous sommes tous des émigrés »), le sort réservé aux femmes et les atteintes portées à la nature. Avant que l’écologie ne devienne un mouvement politique, il guerroyait déjà contre la multinationale Monsanto et fondait le Front de libération des arbres fruitiers, prélude à une Revue européenne de conscience planétaire annuelle, trimestrielle et spasmodique qu’il anima jusqu’en 2015.
Comédien, compositeur, poète, sculpteur, ambassadeur patenté d’une culture wallonne pour laquelle il signa un célèbre manifeste, il s’amusa sans doute de lire, un jour, sous la plume d’un auteur français, que ses chansons « fleurent bon l’océan breton et la campagne normande ». Car ce gentil rebelle revendiquait aussi sa « belgitude » et le chef de l’Etat, le roi Albert II à l’époque, allait d’ailleurs l’anoblir, le faisant chevalier en 2002. Il fut aussi honoré d’être invité à chanter lors des funérailles du roi Baudouin, le frère d’Albert II, en 1993.
Julos Beaucarne, adversaire des dogmes et des religions, qui disait refuser de se laisser embrigader « par un dieu quel qu’il soit, au nom duquel on a écrasé et écrase encore tellement de peuples », participait à cet événement frappé du sceau d’un fervent catholicisme. Parce qu’en Belgique, comme le relève M. Klinkenberg, « le roi est une idée, et cette idée rejoint (…) celle du consensus, dont on sait qu’elle vertèbre la vie sociale belge ». Le chanteur aurait aimé que ce consensus-là puisse s’étendre au-delà des frontières étroites de sa Wallonie et de son pays.
Julos Beaucarne en quelques dates
27 juin 1936 Naissance à Ecaussinnes
1961 Débuts comme comédien au Rideau de Bruxelles
1964 Sort son premier disque
2002 Nommé chevalier par le roi Albert II
18 septembre 2021 Mort
***
Photo, Julos, Louise-Hélène France (Loulou) et leurs enfants, Boris et Christophe, peu avant le drame de la chandeleur 1975
En date du 2 février 1975, Louise-Hélène appelée Loulou,
l'épouse de Julos,a été sauvagement assassinée
de 9 coups de poignard par un déséquilibré
à qui le couple avait offert l'hospitalité.
Loulou était âgée de 33 ans.
Elle a laissé deux enfants Christophe et Boris.
La nuit qui a suivi le drame, Julos a écrit le texte suivant :
Amis et bien aimés,
Ma Loulou est partie pour le pays de l'envers du décor,
un homme lui a donné 9 coups de poignard
dans sa peau douce.
C'est la société qui est malade, il nous faut la mettre
d'aplomb et d'équerre par amour et l'amitié
et la persuasion.
C'est l'histoire de mon petit amour à moi,
arrêté sur le seuil de ses trente-trois ans.
Ne perdons pas courage, ni vous ni moi.
Je vais continuer ma vie et mes voyages
avec ce poids à porter en plus et mes deux chéris
qui lui ressemblent.
Sans vous commander, je vous demande d'aimer
plus que jamais ceux qui vous sont proches ;
le monde est une triste boutique, les coeurs purs
doivent se mettre ensemble pour l'embellir,
il faut reboiser l'âme humaine.
Je resterai sur le pont, je resterai un jardinier,
je cultiverai mes plantes de langage.
A travers mes dires vous retrouverez ma bien-aimée ;
il n'est de vrai que l'amitié et l'amour.
Je suis maintenant très loin au fond du panier
des tristesses.
On doit manger chacun, dit on,
un sac de charbon pour aller au paradis.
Ah ! comme j'aimerais qu'il y ait un paradis,
comme se serait doux les retrouvailles.
En attendant, à vous autres, mes amis de l'ici-bas,
face à ce qui m'arrive, je prends la liberté,
moi qui ne suis qu'un histrion, qu'un batteur de planches,
qu'un comédien qui fait du rêve avec du vent,
je prends la liberté de vous écrire pour vous dire
ce à quoi je pense aujourd'hui :
je pense de toute mes forces qu'il faut s'aimer
à tort et à travers.
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