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lundi 18 octobre 2021

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Incendie dans l’Église Catholique



Théologien espagnol reconnu, José Arregi enseigne à l’université jésuite de Deusto, à Bilbao. Pendant dix- sept ans, il a vécu au monastère d'Arrantzazu, au Pays basque espagnol, comme religieux franciscain. En 2009, pour avoir critiqué la nomination à la tête de son diocèse d'un évêque qu'il jugeait trop conservateur, sa hiérarchie lui a demandé de ne plus s'exprimer publiquement. Il a alors décidé de quitter les ordres. Il vit toujours au Pays basque espagnol, où il s'est marié. Et tient une chronique régulière sur son blog (www.religiondigital.org).  Toujours percutant, voici son dernier texte publié à propos du rapport Sauvé..

« En avril 2019, sous le regard stupéfait du monde, les flammes ont ravagé une bonne partie de Notre-Dame, la plus belle cathédrale du monde, dans laquelle j’étais si souvent entré avec une profonde émotion. Mais ces flammes n’étaient rien en comparaison de l’incendie dévastateur que le Rapport Sauvé vient de déclarer, pour ne rien gâcher, dans l’Église de France, « fille aînée » de l’Église Universelle. C’est un ouragan dévastateur, un volcan en éruption.

Les tours de Notre-Dame ont été sauvées, et le reste sera bientôt reconstruit, mais je doute que non seulement l’Église de France, mais aussi l’ensemble de l’institution catholique puisse se remettre d’un tel séisme, écrasant par son ampleur connue et son expansion prévue. La portée et l’étendue d’une douleur causée par une Église qui prêche les Béatitudes de Jésus. D’après ce que nous savons et ce que nous sentons qu’il reste à savoir, l’échafaudage ecclésiastique mérite-t-il encore de rester debout ?  Le malheur ne l’emporte-t-il pas sur la béatitude ? La question peut sembler inadmissible, mais elle jaillit du cœur et des lèvres de beaucoup, irrépressible comme une flamme.

Et aussi dévastatrices que soient les conclusions du rapport Sauvé sur les abus sexuels sur mineurs dans l’Église en France, le plus dévastateur est le diagnostic qu’il pose, et il l’énonce avec un terme implacable : SYSTÉMIQUE. Il ne s’agit pas du « mal » – auquel je ne crois pas – de certains individus malades, même s’ils sont très nombreux. Il s’agit d’un mal systémique, d’une pandémie qui dérive, de manière inévitable, du système même sur lequel repose l’institution ecclésiastique ancienne et actuelle. Celui qui veut comprendre doit comprendre, et personne ne doit se tromper dans son traitement.

Il ne s’agit pas d’épisodes, d’anecdotes ponctuelles, diluées et insignifiantes dans la masse innombrable des clercs et des religieux de l’Église catholique. Non, les abus sexuels ecclésiastiques sont systémiques, et comment s’étonner que de nombreuses personnes traduisent ce terme par « systématique » ? Il y a les chiffres, les horreurs qu’ils révèlent. La pédophilie cléricale et religieuse vient juste après celle qui a lieu dans la sphère familiale et entre amis – sphères et milieux dans lesquels, selon de simples statistiques sociologiques, nous trouverions plus de catholiques que de non-catholiques – et devant toutes les autres sphères sociales : sport, éducation, loisirs… Et chacun peut deviner que les chiffres du rapport sont très en deçà de la réalité…

Tout en saluant le fait que ce soit la Conférence épiscopale française elle-même qui ait lancé une enquête rigoureusement neutre, il est choquant qu’elle ait pris tant de temps (et que nous ayons tous pris tant de temps…), et il est douteux qu’elle l’ait fait maintenant de sa propre initiative. Et il est choquant de se demander jusqu’où iraient les chiffres si tous les pays à commencer par les plus catholiques – ou même cette même Espagne d’hier et d’aujourd’hui – enquêtaient sur les faits comme en France. Contrairement aux paroles de Jésus dans l’Évangile de Matthieu, « les portes de l’enfer ont vaincu l’Église ». Bien sûr, Jésus ne pouvait pas le savoir, car il n’a même pas imaginé que le mouvement de transformation spirituelle, sociale et politique qui jaillissait des paroles qu’il avait proclamées sur les collines et les plaines de Galilée (« Heureux êtes-vous les pauvres, car le Royaume de Dieu vient, et c’est pour vous ») deviendrait le système qu’il est devenu à ce jour.

Le problème est systémique. Les sujets des abus sont des individus, mais l’origine de leur comportement est le système ecclésiastique. Les individus sont malades, mais le système est mauvais. L’anthropologie manichéenne de la sexualité est malsaine et mauvaise, pour ne pas dire perverse : la condamnation de toute relation sexuelle comme péché, sauf dans le cadre du mariage canonique, le tabou et la diabolisation du plaisir, l’exaltation de la chasteté, la culpabilité obsessionnelle, le désir refoulé, la sublimation frustrée qui cherche sa compensation dans l’autorité sur les âmes et les corps, si manifeste dans les abus sexuels. Le système clérical est malsain : le célibat obligatoire, la sacralisation de l’État, l’exclusion des femmes, la profonde homophobie si caractéristique des clercs homosexuels.

Le discours sur le péché en tant que culpabilité plutôt que dommage, et le discours sur le pardon en tant qu’absolution de la culpabilité plutôt que réparation et guérison du dommage, est malsain et même pervers. La pratique canonique de la confession sacramentelle, qui n’existait même pas avant le XIIIe siècle, est aliénante et névrosante : quelqu’un commet un abus sexuel ou même un viol, cherche un prêtre, confesse avoir commis un « péché contre la chasteté », reçoit le pardon de Dieu dans le pardon du prêtre, est libéré de sa culpabilité, et retrouve la tranquillité de sa conscience jusqu’à la prochaine occasion. Et, par un transfert pervers, mais logique, l’enfant abusé ou la jeune fille violée continue à se torturer, se sentant coupable de la culpabilité de l’abuseur ou du violeur absous en confession. L’enfer.

Il est bon que le pape, la Conférence des évêques et la Conférence des religieux et religieuses de France aient reconnu leur immense tristesse et leur honte absolue. Mais ce n’est pas suffisant. Tout comme il ne suffira pas d’augmenter les peines pour les « coupables ». Il n’y a pas de coupables, il y a des blessés, et ceux qui blessent sont aussi blessés, et nous devons essayer de guérir tout le monde : les victimes d’abord, et ensuite les auteurs. Il ne suffira pas non plus d’abolir le secret de la confession (il faudrait d’abord abolir le sacrement de la confession ou de la pénitence dans sa forme actuelle). Si nous ne voulons pas que l’enfer continue à régner dans l’Église qui prétend appartenir à Jésus, il faut laisser les flammes dévorer le système, ses racines et ses supports théologiques et canoniques, et le transfigurer entièrement avec son droit canonique, son modèle clérical d’Église et toute sa théologie et son anthropologie patriarcale et manichéenne. « Je suis venu apporter le feu sur la terre, et comme je voudrais qu’elle brûle » : c’est ce qu’a dit Jésus, alors qu’il ne serait même pas nécessaire qu’il l’ait dit.
L’Église doit être – je ne dis pas redevenir – ce dont Jésus a rêvé pour ce mouvement galiléen sans frontières, ni tabous, ni systèmes de pouvoir. Et que, insouciante d’elle-même, de ses dogmes et de ses canons, elle se consacre corps et âme à ce qui est le plus urgent et nécessaire : le respect, le soin et la guérison de tous les blessés, la sainteté ou la santé ou le salut de la vie sur Terre. »

José Arregi
Aizarna, le 7 octobre 2021
Traduit par F-Xavier Barandiaran

Publié le 15 octobre 2021 par Lucienne Gouguenheim dans FAIRE ÉGLISE AUTREMENT



























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