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samedi 16 octobre 2021

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Voici quelques éclats de silence recueillis lors de la rencontre ce 15 octobre 2021 avec Charles Wright, le merveilleux auteur du « chemin des estives » dont je vous recommande vivement la lecture ( j’ai repris à la suite de ces extraits de sa conférence la recension que le journal Le Monde lui avait consacré en mars dernier). Cette rencontre pour journalistes et écrivains, la dixième initiée par Michel Cool-Tadel, se déroule cette année tout ce week-end à l’abbaye de Cîteaux

« Il y a quelque chose d’absurde à parler du silence. Le silence fuit dès qu’on le nomme. Il faudrait mieux adopter la position zen. Ce qui compte c’est l’expérience vivante : ce qui passe par le corps. Il faut y plonger.

Le pays du silence : cet arrière pays en chacun de nous, notre pays natal. Si l’on se coupe de ce pays, on dépérit. C’est un pays de vastitude qu’il faut toute une vie pour arraisonner.

Les conditions de la vie contemporaine sont peu favorable au silence. Il faut une écologie du silence puisqu’il est en voie de disparition.

Pas de vie humaine sans silence. Cela a à voir avec ce que c’est qu’être humain : cela touche aux fondements mêmes de notre humanité.

Qu’est-ce qu’une parole écrite qui ne serait pas engrossée par le silence ? Le silence et la parole s’appellent, se fécondent l’un l’autre.

La parole expire dans le silence. Le silence, après du Mozart, c’est encore du silence. Le silence n’est pas l’absence de la parole. État de calme, de transparence, de qualité de présence à soi et aux autres.

Mon approche repose sur un mode de connaissance littéraire qui projette des lumières originales. Je suis un écrivain qui fréquente le silence.

Le silence ne se fabrique pas. Il est toujours enchâssé dans le réel : le laisser simplement affleurer. La grande aphonie fait parfois un peu peur. Lieu de la confrontation avec l’essentiel.

Comment j’ai découvert ce pays ?

Je suis né en 1981, dans un monde sans grande affinité avec le silence. Autrefois il y avait du tapage dans les rues de la ville, mais il s’agissait de bruits qui ne faisaient pas de bruits : pas des chevaux, roues des charrettes, animaux…
Aujourd’hui ces bruits blessent le silence et la vie. Pour Corbin, l’ennemi du silence c’est cet encombrement permanent qui nous poursuit jusqu’en notre intimité. C’est cela l’esprit du capitalisme : pour ce dernier, le silence qui ne sert à rien est un scandale.

Aujourd’hui, perte de la sensibilité au silence. Autrefois, on connaissait sa grammaire : condition de la prière de la poésie.

Il y a une parole du silence qu’on ne sait plus entendre. Le silence est devenu un problème politique. Il faut le protéger, le sanctuariser.

Comment me suis-je frayé un chemin vers le silence ?

J’ai eu la chance, dès l’enfance, de connaître le silence de la Corrèze. Le cloître de la futaie. On se tait. On a peur de déchirer le silence.
J’ai une vénération pour les vieux paysans. Ce sont des taiseux en parenté avec la prière : pressentiment de la vie intérieure. Tout cela découvert dès l’âge de dix ans

La parole, c’est grave : il y a une garde des lèvres nécessaire. Je l’ai découvert pendant des mois de vie monastique : une année à Lérins voici dix ans après une rencontre décisive avec le Christ.

Il faut protéger le silence : on se retrouve nu dans le silence.
Ne pas l’absolutiser non plus. Il peut être aussi destructeur, chargé de haine.
Par contre il existe un silence de communion.

Au début il faut un effort pour se taire mais peu à peu la source nous attire d’elle-même. Le silence peut exuder des murs. Je l’ai éprouvé à Lérins.
« Tout dans l’infini dit quelque chose à quelqu’un » (Victor Hugo)

J’ai eu besoin de me laver les oreilles dans le silence. Ne plus mettre de mots entre la réalité du monde et soi. Ce fut mon « chemin des estives » (voir note de lecture ci-dessous)

Depuis, je mène une vie simplifiée en Ardèche, resserrée autour de l’essentiel. Proche d’un monastère et entouré de moutons.

Dans la vie monastique, il faut être prêt à tout mais surtout à rien. Dans cette ascèse des sensations qui s’opère, je reçois la modernité comme une gifle. Le bruit résulte toujours de la perturbation dans l’ordre des choses…

Cependant le silence des vastitudes, je ne l’ai pas encore trouvé. C’est l’absence qui nous fait causer. On désire ce qui nous manque. Le cœur pur, le cœur simple.

On a le droit de s’en aller. J’ai passer ma vie à prendre la tangente. Toute fugue préside à une liberté. Le silence est une issue. Trappe ouvrant sur un autre espace, sur « une arrière-boutique toute notre » (Montaigne). Cette trappe ouvre sur un trou noir, le puits des profondeurs dont le silence est le grand révélateur.

On trouve un pays. Le silence permet de découvrir les immensités qui nous constituent.
Plus on plonge dans le silence plus l’eau boueuse devient claire vers le très fond de notre être où la vie jaillit d’elle-même. C’est le climat de la vie profonde.

Ces espaces en nous ne sont pas vides mais habités. C’est une présence dans l’air (Corbin).
Le silence ne se voit pas mais pourtant, manifestement, il est là.

Il y a de l’autre en nous. « Je ne sais ce que j’ai là qui veut monter » (Rimbaud). On sent que notre intériorité est occupée. Le silence est une personne. Faire l’expérience d’une visitation, d’une rencontre. L’expression d’une parole sans parole, ailée.

Plus on s’enfonce dans les profondeurs, plus le paysage s’ouvre. « On ne peut pas s’empêcher de marcher » (Michel de Certeau).

Le silence zéro n’existe pas. Il y a un fond sonore dans le silence. Le bruissement ne s’arrête jamais. Même au fond du désert, des forêts, de la maison d’enfance. Le silence a besoin d’être révélé par de petits bruits.

Demander à la nuit le secret du silence : le silence tombe qui ressemble à une musique de fête de noces. Les étoiles sont complices. Temps de l’épure, de la dématérialisation des choses. On ne voit plus rien mais on entend. On se sent un peu en trop. On a l’impression de déranger la nuit. Devenir ainsi des hommes et des femmes d’écoute. L’eveillé est moins celui qui voit que celui qui écoute, et cela dans toutes les traditions spirituelles.

L’oreille est réceptive alors que le regard est captateur. Il retient, fige. « Ne me retiens pas » : tentation fondamentale.
Écouter c’est devenir un voyant.

On a beaucoup insisté sur l’au-delà. Ne serait-il pas important d’insister sur l’en-deça du monde ? Être des femmes et des hommes de la profondeur.

Les coulisses du silence : c’est une loupe qui invite à découvrir la profondeur du réel. Rééducation de l’écoute et du silence. Le moindre objet prend un poids de mystère. Le silence magnifie les choses. Cela vaut surtout dans les relations humaines.
Le secret est le ciment de l’amour. Plus l’amour est sûr de lui, moins il a besoin de s’épancher.

La vocation des chrétiens, ce n’est pas le silence mais la parole (La prise de parole, de Certeau). Le christianisme : un art de la conversation. La vocation des chrétiens, ce n’est pas le quiétisme. Annoncer résolument la bonne nouvelle. Défendre la parole et sa valeur. Poursuivre l’oeuvre de la création, christifier le monde, célébrer la beauté du monde.

Nous sommes voués à la parole mais il y a une hygiène de la parole.
Disproportion dans l’Évangile entre le temps de silence, 30 ans, et la parole qui surgit.
Une parole chrétienne mûrit dans le silence.
Pudeur : ne pas trop en dire. Marie. Les grands sentiments mûrissent dans le silence.

Veiller à cultiver le secret. Couver la part de secret comme un feu fragile.

Le langage vieillit et subit les assauts du temps. Le christianisme devient une langue morte qui s’est exilée des questions vitales. Tentation tribale. Sortie nécessaire de l’autoreferentialité (pape François). Obsession pour ce qui me concerne de rejoindre ceux qui se sont affranchis de la tribu.

D’abord se taire longtemps. Nécessité d’un moratoire de la parole. Rien n’est plus cher à l’éclosion de la parole que le retrait. Le silence doit redevenir le pays natal des chrétiens. Se tourner vers l’intérieur, le très fonds .

« Il faut casser les mots pour voir ce qu’il y a dedans » (Varillon… Sulivan)
Sortir des livres de théologie. Traîner dans les bars, écouter les désespérés, fréquenter les vaches… Retrouver une parole chargée d’une réalité existentielle.

Importance de la parole des poètes. « Parler Dieu et non de Dieu » ( François Cassingena-Trévedy). Besoin d’hérésie.

Retrouver le sens de la sobriété des grecs. Le divin est ineffable et incompréhensible. Le langage poétique ne boucle pas, laisse ouvert le sens. Dieu on ne peut pas l’arraisonner. Il faut passer au creuset de l’experience l’image de Dieu. Donation du monde.

Les moines sont des experts en athéisme (Louf). La foi défaille. Rechercher une foi agnostique.

Semer du silence dans le cœur des gens. Verser du silence dans nos travaux. Tout ce que nous offrons aux autres doit germer de ce grand pays muet. Dire des paroles qui viennent et qui conduisent au silence.

Faut-il vivre comme des chartreux ? Je trouve plus facilement le silence dans le métro que dans mon trou ardéchois. Le silence est intérieur. C’est un cloître intérieur.

« C’est en plein tintamarre qu’il faut prêter l’oreille au frémissement de Dieu » ( jankelevitch )

« La vrai solitude n’est pas l’absence des hommes, c’est la présence de Dieu » (Madeleine Delbrel)

Sur le chemin des estives, j’ai découvert un christianisme rural en état de mort cérébral.
On assiste à une mutation. Le petit reste, laboratoire de l’Église de demain, dénuée de tout pouvoir, qui revient à l’évangile ? Chacun, quel que soit sont statut, est appelé à devenir un évangile vivant. Une église hospitalière. Ramener les gens à eux-mêmes, non à l’institution. A la profondeur de leur Etre. Une église qui se met au service de la liberté des gens.

S’enfuir et s’enfouir dans le silence.
Le silence ce n’est pas le vide. Il est peuplé, par des compagnons, des écrivains, le Christ.
Mon livre, c’est une fraternité buissonnière.
J’ai trouvé des délégués à l’expression. Rimbaud et Charles de Foucauld, deux hommes tentés par deux modalités de l’errance. Arthur, une fuite de soi. Foucauld, l’errance qui conduit à une plénitude, une joie profonde. Conflit entre ces deux modalités du voyage. Fuir ou être appelé par une plénitude. Vie humaine : marche éperonnée par une plénitude.
« La seule chose que j’ai faite c’est de causer en tête à tête avec des pauvres » (Charles de Foucauld).

Extraits de la conférence de Charles Wright sur le silence à Cîteaux le 15 octobre 2021.
Photo JL 15/10/21

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Le Monde, 17 mars 2021 : recension par Youness Boussena du livre de Charles Wright, « Le chemin des estives » (Flammarion, 2021, 356 p., 21 €)

Charles Wright a peut-être eu mille vies – consultant, éditeur, journaliste, auteur d’une biographie de Casanova, et même plume de ministre –, mais il avait la sensation de ne pas exister. Mal à l’aise dans un monde matérialiste et surconnecté, il a fait un choix radical en entrant, à 37 ans, chez les jésuites. Dans cet ordre, le noviciat dure deux années au cours desquelles l’aspirant doit faire l’expérience d’un « mois mendiant » : une marche sans argent, ni téléphone, ni tente, que Charles Wright nous raconte dans Le chemin des estives.

Durant quatre semaines, il a traversé en « explorateur de sous-préfectures » le Massif central, de la Charente à l’Ardèche, avec un autre apprenti jésuite. D’une plume agile et étoffée par une belle culture littéraire, le novice restitue, dans ce livre simple et lumineux, l’intensité spirituelle de cette expérience placée sous le patronage d’Arthur Rimbaud (1854-1891) et de Charles de Foucauld (1858-1916).

Mais la beauté du Massif central voisine avec les difficultés du temps : Charles Wright peint également cette France trop vite résumée à la « diagonale du vide », dans laquelle les villages se vident et les solitudes s’épaississent. Le chemin des estives est pourtant un récit d’espérance, tissé par les rencontres impromptues, les gestes de générosité et la gratuité du don que la pauvreté des deux novices a souvent appelé. Charles Wright nous communique ainsi sa foi vivante, parce que perdue puis retrouvée, en une existence sur laquelle il a acquis une certitude : celle que nous sommes faits, malgré tout, « pour la fête et la joie sans ombre ».

Youness Boussena

Avec Anne LavouéAlbéric de Palmaert, Colette Nys-Mazure, Jean-Pierre Boulic (avec nous même depuis le Finistère), François-Xavier DuryeKristel Saint-Cyr 

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