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Avec ces deux photos des reflets du Blavet prises ces derniers jours, je vous partage aujourd’hui cette méditation de l’historienne de l’art, Paule Amblard, sur la figure singulière et universelle de l’arbre inversé. Spécialisée dans l’art du Moyen Âge et la symbolique chrétienne, elle est en particulier l’auteure d’ « Un pèlerinage intérieur » paru en 2008 chez Albin Michel. C’est un autre pèlerinage qu’elle nous propose ici : celui qui nous amène à questionner le sens de nos vies. Autant que profondément plantées dans la terre, nos racines ne sont-elles pas aussi, pour une part, tournées vers le ciel ? Et si l’enfance des arbres c’était, tout comme l’esprit d’enfance, cette faculté poétique de se laisser envahir par ces racines célestes qui peu à peu se déploient dans nos vies ! Cette chronique est parue dans le journal La Vie du 31 janvier 2022.
JL
Pour commencer l'année 2022, l'historienne de l'art, Paule Amblard, s'inspire d'une « étrange sculpture » représentant un arbre inversé dont les racines s'élèvent vers le haut. Elle médite sur ce symbole évoqué dans les anciens textes de l'humanité pour nous permettre de l'actualiser dans nos vies.
NOS RACINES CÉLESTES
En me promenant à Poitiers, près de la rue de l’Ancienne-Comédie, je vois sur la façade d’une maison une étonnante statuette de pierre. Elle montre un homme nu posant sa main sur le tronc d’un arbre dont les branches se déploient vers le bas et les racines s’élèvent vers le haut. Il est tourné vers nous, assis, la moitié de son corps disparaissant dans le feuillage.
À première vue, on croit voir l’image d’un géant qui vient de déraciner un noyer. Cette étrange sculpture m’a rappelé le signe de l’arbre inversé que l’on retrouve dans de nombreuses traditions et j’ai imaginé que cette image en forme de devinette était une belle façon de commencer l’année avec vous. Le barbu souriant et paisible, près de son arbre, interroge sur nos manières de considérer le réel.
L'arbre cosmique dont les branches touchent la terre
L’arbre aux racines tournées vers le ciel est évoqué dans les plus anciens textes religieux de l’humanité. Ceux du Rigveda indien datent des années 1500 avant Jésus-Christ. Ils évoquent un arbre cosmique planté sur la terre : c’est vers le bas que se dirigent ses branches, c’est en haut que se trouve sa racine, que ses rayons descendent sur nous. Chez les Grecs, le philosophe Platon raconte dans le Timée : « Nous sommes une plante du ciel, non de la terre. Nous sommes comme un arbre inversé. »
Et la kabbale juive du Moyen Âge compare la Création à un arbre dont les racines plongent dans le ciel : la réalité spirituelle, et dont les branches touchent la terre : la matière. La réalité céleste est le reflet inversé de notre vision terrestre, un peu comme si nous observions cet arbre dans le reflet de l’eau. Voilà une bonne façon d’apprendre que nos regards sont déformés ! Est-ce l’arbre qui est à l’envers ou nos visions ? Si nos racines sont au ciel, elles sont divines, irriguées par l’Esprit... Nos feuilles, nos frondaisons sont la manifestation de la vie.
Le pays au cœur de nous-même
Un symbole comme celui de l’arbre inversé n’est pas simplement une idée intéressante, ce serait le ranger dans la bibliothèque d’un rayon poussiéreux de nos réflexions. Un signe peut servir très concrètement à la vie matérielle, éclairer nos âmes parfois désorientées et nous aider à trouver notre place dans le monde confus et ténébreux dans lequel nous sommes obligés de passer.
« L’élément tragique pour l’homme moderne, ce n’est pas qu’il ignore le sens de sa vie, mais que ça le dérange de moins en moins », dit Vaclav Havel. On peut être Président et méditer sur l’essentiel ! Heureux les dérangés, les insatisfaits, les êtres souffrants de ce monde aux fausses racines. C’est au cœur du malaise que se développe la sagesse, c’est en étant dans les ténèbres que la lumière peut se révéler.
Peut-être que cette époque digne de l’Apocalypse nous pousse à laisser nos vieilles habitudes, à partir léger pour découvrir le pays le plus ignoré qui se trouve pourtant au cœur de nous-même. La terre est un lieu de réparation et non de punition. Les épidémies ne sont pas issues de la colère divine mais, en revanche, elles nous obligent à changer d’attitude, à nous réorienter, à retrouver l’Orient, le sens de la lumière.
Ainsi, nous serons peut-être moins traînés par le destin et plus maîtres de nous face aux difficultés. Nous serons moins dans la nébuleuse des impressions que nous ressentons, comme des girouettes sous le vent et plus à même d’exprimer, c’est-à-dire de donner ce que nous sommes. « Le sens de la vie ne consiste pas à ce que la personne serve à quelque chose, mais que ce qui existe serve la personne » (Bertrand Vergely).
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