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vendredi 23 décembre 2022

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NOËL AVEC CHRISTIAN BOBIN


Des mots, des phrases saisis au vol lors de l’écoute de cette très belle rencontre entre Christian Bobin et Thierry Lyonnet. C’était à l’occasion de Noël 2014. Quelques semaines après sa mort, l’émission est actuellement rediffusée sur les ondes de RCF. Elle nous permet, au milieu de chaleureux éclats de rire, d’entendre le poète évoquer avec sa voix unique cette fête dont les racines plongent dans l’enfance… En fait, seuls les enfants qui ont comme lui « la passion infinie de l’attente » savent bien en parler… Il nous y livre aussi, notamment à propos d’un poème bouleversant dont il doit la découverte à Jean Grosjean, quelques secrets de sa confiance essentielle, de sa foi injustifiable en l’amour qui demeure à jamais…

JL


« Les enfants savent mieux parler de Noël parce le meilleur de ce temps-là est plus léger qu’un flocon de neige, presqu’invisible. Il suppose une passion infinie de l’attente que les enfants ont. Un enfant c’est juste quelqu’un qui attend l’ouverture des portes du paradis… Ce serait cela garder l’esprit d’enfance…

La nuit de Noël est très particulière, j’aurais du mal à dire pourquoi. Elle est comme un bourgeon tout près d’éclater et d’éclore.

Quelque chose se passe qui semble avoir effacé pendant quelques heures toutes les déceptions de la vie. C’est comme si l’on attendait quelque chose mais en fait ce qu’on attend là, c’est ce qu’on attend toute sa vie…

Pour l’enfant, c’est l’espérance de grandes choses. Les enfants sont les rois de l’impatience mais ils ont en eux quelque chose qui ignore notre temps à nous, morcelé, minuté, rongé par la petite mécanique des aiguilles… La perception du temps par l’enfant est très différente de la nôtre… Même les enfants rendus impatients d’aujourd’hui gardent une science autre du temps et de la vie.

La plupart des grandes choses dans cette vie sont muettes, elles passent par en-dessous du langage, elles n’ont pas de mots pour les escorter. Ce qui arrive commence à arriver de manière très silencieuse comme la neige qui tombe sur notre sommeil… La venue de la neige pendant notre sommeil est aussi bouleversante que le geste de la mère venant près de son enfant. Tout cela fait partie de l’imaginaire de Noël. Voilà une des petites fééries de ce moment-là.

Je suis étourdi, ébloui, par cette vie qui va m’arracher le cœur et qui va me mettre à la porte un jour ou l’autre et je suis conquis par elle, amoureux d’elle : elle qui va me lâcher, mais en même temps j’ai trouvé une puissance belle et peut-être au fond supérieure, je dirais celle de l’esprit, celle du redoublement de la vie dans le langage ; la capacité de nommer la vie la plus simple, la plus pauvre… de la nommer lui donne un son et une force et nous met en état de lutter à armes égales avec la mort certaine et peut faire que cette mort n’ait pas le dernier mot.

L’écriture pour moi c’est l’art de toute présence et c’est l’art de toute résurrection.  Et la vie qui passe et qui est bouleversante par ce passage même, poignante, cette vie-là, elle trouve un abri à jamais dans la caravane de papier…

Ce qui me fascine c’est quand la chair se fait verbe. Quand cette vie accède au plan de l’écriture quand elle est au plus près, au plus juste de son cœur nommé…

Ce qui m’intéresse c’est quand la vie passante accède au langage quand elle est éclairée par un verbe, un livre, une méditation

Le verbe et la chair sont étroitement liés. L’esprit et notre pauvre vie qui coule comme de l’eau sont profondément alliés… Nous sommes à l’abri de la mort mais nous ne le savons pas. Nous sommes infiniment gardés, protégés. Nous sommes attendus, nous sommes protégés. C’est quelque chose que je sens comme cela, je sens cette chose quand je regarde des fleurs des près ou bien un poème qui m’étonne… La nuit de Noël est le concentré atomique de cela.

Chaque atome prend soin du nouveau-né mais il faut penser que l’enfant consolé par sa mère c’est le même qui sera 33 ans plus tard mis en croix et injurié. C’est le même, il faut toujours tenir les deux choses en même temps, le terrible et le très doux qui l’emporte à la fin…

C’est un message injustifiable, injustifié, même les morts s’y mettent. Le visage de mon père est comme une lampe de chevet pour moi… Les yeux des gens que nous avons aimés ne se referment pas et sur leur surface il y a quelque chose qui passe qui est extrêmement paisible. Presque à nous faire honte d’avoir peur…

Nous avons raison d’attendre une douceur incroyable, invulnérable, violente, âpre et qui nous tient debout une fois pour toutes.

Le jour de ma naissance une petite neige était tombée sur la terre, comme un pollen, comme un duvet…

… La confiance de cette jeune gitane qui m’a dit à son mariage en me montrant le plafond que son petit frère était là-haut auprès de Dieu, cette croyance, c’est celle que j’ai… Inexplicable, inexpliquée confiance dans le secret devenir de nos jours. C’est comme si nous étions des enveloppes cachetées, fermées mais que quelqu’un va bien finir par ouvrir…

Le devoir d’être heureux écrase les solitaires la nuit de Noël.

La confiance est celle de l’enfant : nous ne serons jamais aussi élevés, aussi hauts que lorsque notre père nous tenait sur ses épaules…

Cette bienveillance d’un père et d’une mère, c’est le roc de la vie, cette falaise à partir de laquelle on peut s’envoler…

Au centre de Noël il y a juste un petit enfant qui dépend de tout, qui est menacé de tout. C’est extraordinaire de poursuivre ensuite la vie comme cela…

Cette fragilité de l’enfant on l’a tous. Le message qui nous est donné c’est d’être dans la confiance malgré cette fragilité.

Je vais vous dire un poème de Coventry Patmore qui est au cœur de tout ce que l’on se dit-là en ce moment…

LES BABIOLES (extrait de l’anthologie poétique de Jean Grosjean sur Dieu, Gallimard, Folio, 1984)

Mon petit garçon avec ses yeux pensifs
ses gestes et ses mots tranquilles de grande personne
m’a désobéi pour la septième fois,
et je l’ai frappé, je l’ai renvoyé
durement sans l’embrasser,
car sa mère qui était patiente est morte.
Puis j’ai eu peur que le chagrin l’empêche de dormir
et j’ai été le voir dans son lit,
mais il était dans un profond sommeil
paupières battues et cils encore mouillés
de son dernier sanglot.
Alors, ému, je l’ai embrassé
et mes larmes remplaçaient les siennes,
car sur une table tirée à son chevet
il avait mis à portée de sa main
une boîte de jetons et une pierre veinée de rouge,
un bout de verre usé par la plage
et six ou sept coquillages,
une bouteille avec des campanules,
et deux sous français, le tout rangé avec soin
pour consoler son pauvre cœur.
Et ce soir-là, dans ma prière,
j’ai pleuré, j’ai dit à Dieu :
Ah, quand à la fin nous serons couchés sans un souffle
et que, morts, nous ne te blesserons plus
tu te rappelleras de quelles babioles
nous avons fait nos joies
et comme nous avons peu compris
ta grande loi de bonté.
Alors tu ne seras pas moins père
que moi dont tu as pétri l’argile,
tu laisseras ta colère, tu diras :
Voyons, ce sont des enfants.

Ce poème est pour moi d’une très grande consolation. C’est un poème où tout est pardonné à l’avance. La vie neuve peut commencer maintenant, à chaque seconde.
En fait, il n’y a pas d’adultes. Ce que l’on appelle les adultes, ce sont des gens qui ont changé de babioles, souvent moins intéressantes qu’un caillou veiné de rouge.

Le peuple des livres est un peuple légendaire qui ne contredit pas cette période de cadeaux. Mais les plus beaux cadeaux que j’ai jamais vu, ce sont des bouquets de fleurs des près décapitées par des enfants…

Aujourd’hui, l’argent, comme une eau très noire, s’est infiltré partout.

Un cadeau est comme une promesse de paix.

Les enfants sont de très grands théologiens.

Les plus beaux cadeaux c’est une parole qui rentre dans le cœur de la personne. Si c’est un objet il doit parler… C’est une parole qui reste secrète, pudique…

Je vois parfois des choses si belles que je me réjouis de ne pas les posséder…  Il m’a semblé que c’était encore plus merveilleux de ne pas posséder cette chose qui m’avait ébloui et peut-être qu’en ne la possédant pas elle était à jamais mienne.

Le Très-bas il est là, au fond, tout le temps de notre vie. Il est là au début c’est vrai et il est là évidemment à la fin. Si on entend par le Très-Bas ce qui en nous est sans défense et étrangement confiant, les deux…

La joie est là avec le tremblement ; La lumière certes mais l’ombre aussi immédiatement. La fleur qui s’ouvre certes mais l’automne et l’hiver immédiatement à côté d’elle. Le pire n’est peut-être le pire que parce qu’il est abandonné. Il faut toujours le remettre dans notre pensée.

Il y a un manque d’égard pour les solitaires qui atteint son maximum dans ces nuits-là.

Peut-être conclure en n’oubliant pas ceux qui nous ont quittés… Nos fêtes sont parfois cruelles d’oublier ceux qui nous ont quittés…



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