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vendredi 2 décembre 2022

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Un petit signe amical  à Linda Gaxus Rieu, entre Groix et Blavet, en voisins des eaux vives, pour son hommage bouleversant et lumineux rendu à Christian Bobin…
JL


« Depuis mon arrivée sur Groix, il est mon rituel inspirant, quelques lignes de lui le matin m'apportent assez de lumière pour m'aider le reste du jour à arracher aux petites herbes d'âme leur bouquet de mots. 

J'avais démarré son Autoportrait au radiateur voilà une dizaine de jours, emprunté à la Médiathèque de l'île. A l'intérieur, page 36, j'avais trouvé un trèfle à quatre feuilles laissé par un précédent lecteur. Un autre page 44. L'attention était si inattendue et si belle que je l'avais notée dans mon carnet d'écriture. "Penser à glisser des fleurs dans les livres qui circulent de main en main".

Hier, j'étais arrivée au "25 novembre" de l'Autoportrait, page 126. Je m'étais dit "tiens, je suis en train de lire un 25 novembre ce qu'il écrit du 25 novembre", avec ce sentiment de me rapprocher de cette façon un peu plus de lui. L'anecdote m'avait convaincue de lui écrire.

C'est à ce moment que le solitaire en a profité pour filer. 

J'ai d'abord pleuré en serrant fort le livre contre moi. Ce qu'il restait du lien, précieux. A l'instinct plus tard, j'ai cueilli des immortelles au jardin, emmené les brindilles dans mon sac et deux coquillages, partie marcher. J'ai déposé le tout au pied de la Pierre Blanche, côte sauvage, face à la mer qui hurlait de tempête, sur les falaises au couchant du soleil. 

J'avais aussi pris avec moi l'Autoportrait. 

Assise, dos contre la géante d'ivoire, j'ai lu. 
Au 25 novembre, est écrit ceci : 
« Car il en va des sociétés comme des individus : le réel est toujours du côté du réfractaire, du fugitif, du résistant, de tout ce qu’on cherche à calmer, ordonner, faire taire et qui revient quand même, et qui revient encore, et qui revient sans cesse - incorrigible. L’écriture est de ce côté-là. Tout ce qui s’entête à vivre est de ce côté-là ».

J'ai repensé à Claudius de Cap Blanc, parti juste avant, noté "les hommes qui réparent mes blessures de femme sont des kairns d'émeraudes sur le chemin".

J'ai tourné la page, au 27 novembre, une autre phrase :
"J'ai commencé d'écrire tout juste après ma mort".

Je ne sais pas pourquoi, j'ai hurlé ces mots plusieurs fois au ciel. Les goélands se sont mis à me répondre, à chanter en coassant, ça m'a plu.

Le soir, dans la boîte aux lettres, un colis de ma mère. Il était peut être là depuis des jours mais j'avais oublié que je pouvais recevoir du courrier ici. Ou alors il attendait le bon moment. Dedans, parce qu'on en avait parlé ensemble un peu avant, quatre livres de lui et le premier tombé du paquet "Ressusciter", j'ai souri. Au milieu des pages, ma mère avait aussi glissé un petit papier, un cœur rouge dans lequel était marqué "tu me manques".

J'aurais voulu écrire à Christian Bobin mais je ne pourrai plus.
Et tant mieux. 

Ses mots n'appellent pas d'autres mots.
En écho, juste une chaleur au dedans, l'émerveillement, un petit rien de soleil et de vent, le parfum d'immortelle. 

Inutile d'expliquer sa poésie et sa beauté, la vivre seulement, continuer de la faire vivre. Et recevoir à chaque phrase une bouffée d'amour, la même que celle insufflée par un petit papier avec un cœur rouge dans lequel est marqué "tu me manques".

Je vous souhaite là-haut Christian des champs entiers de trèfles à quatre feuilles et d'émeraudes. 

Vous allez manquer, terriblement.
Merci, merci, mille mercis. »

Linda
26-11-22




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