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samedi 3 décembre 2022

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Au cours de l’été 2020, j’ai écrit un petit livre publié au printemps 2022 par les éditions Médiaspaul : « Le Poème à venir ». Dans cette méditation consacrée à ce que j’appelle une « spiritualité des lisières » échappée des massifs religieux fatigués auxquels bien des cœurs continuent à se fermer, j’évoque dans un chapitre la voie singulière et l’œuvre de sourcier de Christian Bobin : comme  une saisie du Poème dans son jaillissement même, capable de redonner confiance et vie à beaucoup… Voici ce texte…

JL

La voie des paraboles 

« Un peu partout, aujourd’hui, des témoins se lèvent. Ils s’adressent incognito, avec une voix quasi silencieuse, à cette part en nous essentiellement accordée, poreuse à l’invisible. Ils trouvent les mots justes, le ton et le style pour nous faire retrouver le Poème à sa source.

Des auteurs qui ne font pas profession d’appartenir à telle chapelle, telle religion, font entendre le fin murmure que ces dernières sont vouées à honorer tout en se révélant toujours plus impuissantes à en transmettre le goût aux femmes et aux hommes. Eux, au contraire, semblent avoir retrouvé la voie des paraboles, le rythme des pas de l’homme qui vient de la Source.

Christian Bobin est l’un de ces merveilleux témoins. Au milieu d’une œuvre déjà abondante, il enserre comme un trésor des petites perles directement reliées au Poème. C’est ainsi que ses titres, à eux seuls, en disent davantage que bien des homélies pesantes : le Très-bas, L’homme qui marche, Le Christ aux coquelicots… Mais on pourrait ajouter : L’enchantement simple, Éloge du rien, La part manquante, Le Huitième jour de la semaine, Ressusciter, l’Homme-joie… pour se trouver de plain-pied avec la Source, avec l’eau vive.

Comme dans toutes les œuvres où le Poème partout se donne, un seul livre suffit, et parfois un seul chapitre, une seule ligne, un seul mot, un seul titre. Il arrive que son chant fasse partie de nous, sans même la nécessité de tourner encore une seule page. Nous nous sommes rencontrés pour toujours. L’œuvre poursuit son cours mais seulement pour permettre à de nouveaux lecteurs de venir, à l’heure dite, puiser à leur tour à pleines mains aux ruisseaux de l’enfance.

Tout se passe comme si de tels auteurs avaient su capter entre leurs mains le fleuve du matin. Comme si tout ce qui tremblait encore de chair et de tendresse sur les chemins du Poème et que tant de siècles de gravité pesante avaient fini par figer, se trouvait là redonné, intact et neuf, léger comme un printemps.

Finalement, ce qu’il y a d’inouï, c’est ce qu’il y a de plus simple. Ce que l’on avait voulu consolider en de savantes architectures sacrées se trouve là comme libéré, à nouveau prêt et disponible pour le cœur battant de l’homme devant tant de beauté.

Savoir simplement contempler la sagesse de la fleur ou de l’arbre. Vibrer de toute sa joie effondrée devant l’absence de La plus-que-vive. Ne pas craindre le vide mais y reconnaître, au contraire, toute la promesse de l’Ouvert. Voilà ce qui suffit à rendre chaque lecteur témoin du premier matin du monde.

Finalement à s’enfouir ainsi dans toute l’épaisseur de nos existences, le Poème n’en ressort-il pas lavé de tous les ors et des encens dont on l’avait recouvert et béni. Il se lève comme au premier jour, pauvre de son infinie jeunesse, nu comme au jour de son baptême. Ceux qui l’ont condamné et qui, durant vingt siècles, ont cru bon de maintenir leur jugement sans appel sur lui, se trouvent soudains dévoilés par la grâce d’une simple écriture trempée dans l’encre de la beauté.

Christian Bobin a été, il faut le dire, à bonne école. L’un des maîtres en poésie qu’il aime souvent citer, Jean Grosjean, l’auteur de « L’ironie christique », s’est lui-même éclipsé sur la pointe des pieds des liturgies pompeuses et des offices épuisants. Il a suivi la voie du cœur pour faire résonner, lui aussi, dans une œuvre arrachée aux épaisses théologies, le chant d’une aube claire entièrement accordé à la voix du Poème. »

Jean Lavoué, Le Poème à venir, Médiaspaul 2022






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