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lundi 17 juillet 2023

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Maria Louisa (Chantal Sigaud) m’a sollicité pour participer à un livre solidaire destiné à soutenir son association « Enfants d’ailleurs ». Elle a déjà produit ainsi plusieurs ouvrages collectifs dans cet esprit. Le thème proposé cette fois-ci aux auteurs était « L’engagement ». J’ai choisi celui de « L’engagement en poésie ». Une sorte de méditation sur ce que représente la poésie pour moi et pour nous tous. Elle m’a autorisé à partager mon texte pour faire connaître son livre : « Au plus près de l’être »destiné à soutenir des enfants éthiopiens. N’hésitez pas à la contacter pour le commander au prix de 17 € soit à Maria Louisa en message privé soit à l’association asseda2003@yahoo.fr 


JL







 

La poésie comme acte de foi dans la vie

 

Au cœur de l’actualité

 

Depuis plusieurs années, j’écris une poésie engagée dans le quotidien des femmes et des hommes de notre temps. Je la partage régulièrement sur mon blog « L’enfance des arbres » et aussi sur les réseaux sociaux. Ces supports publics font entrer cette écriture dans une certaine résonance avec l’actualité, alors qu’a priori, notre monde peut nous apparaître fort peu poétique.

L’envahissement de notre univers mental par l’information risque, en effet, paradoxalement de finir par anesthésier en nous une certaine sensibilité à l’égard de ce que vivent les autres. Ou bien, au contraire, de nous submerger d’émotions négatives qui nous tétanisent. Or la poésie peut, d’une part, réveiller cette sensibilité et, d’autre part, en exprimant ce que nous avons sur le cœur, nous permettre de mieux traverser avec autrui les épreuves qui nous arrivent. Cela est aussi vrai pour des deuils personnels, comme celui que nous sommes si nombreux à vivre en ce moment concernant la disparition de l’écrivain Christian Bobin qui a affecté tant de lecteurs. Ceci est aussi valable bien sûr pour des drames collectifs.

 

Ainsi, l’émotion soulevée par le déclenchement de la guerre de la Russie contre l’Ukraine, début 2022, a suscité chez moi comme une nécessité de m’associer à la douleur ressentie aussitôt par bien des personnes à travers le monde. Et cela dure depuis.Pendant plusieurs semaines, j’ai partagé des poèmes que j’ai ensuite réunis dans un recueil intitulé « Des ailes pour l’Ukraine » (L’enfance des arbres 2022). Il s’agissait d’abord de solidarité avec le peuple ukrainien martyrisé. Mais aussi d’une petite flamme d’espérance à transmettre à tous. Malgré la chape de terreur qui s’est abattue sur le monde, demeurent toujours dans ces textes des fissures de lumière par lesquelles peut s’engouffrer le souffle d’une confiance : le juste triomphera…


Il y eut, par le passé, des poèmes en lien, par exemple, avec les attentats islamistes qui ont meurtri la France, la crise climatique et les incendies dramatiques de l’été dernier…

Tout cela est traité par des journaux d’information qui tournent en boucle sur nos différents supports de communication. Mais cela peut être aussi repris dans le secret d’une sensibilité qui, tout en se laissant traverser par l’événement, cherche des passerelles et de nouveaux points de vue pour l’envisager de manière moins écrasante avec les autres.


Toutefois, au-delà de cette réaction à l’actualité, je dirais que le fond de ma poésie est avant tout marqué par une contemplation de la nature et de sa dimension sacrée qui rejoint le mystère demeurant au cœur de l’homme. On peut évoquer une certaine spiritualité cosmique, dont la poésie est, je crois, particulièrement apte à rendre compte.

 

Pour moi, être engagé dans ce vaste champ de la poésie, c’est avant tout être simplement un Vivant, une personne qui se laisse saisir, étonner par sa propre présence au monde et par tout ce qui l’entoure. C’est se montrer capable de porter et de laisser grandir en soi les questions essentielles. Pourquoi la vie, la mort, l’infini, la beauté, le mal, l’amour ?

Et au regard des exemples que je viens de citer : pourquoi la violence, la guerre, la destruction ?

C’est pouvoir s’ouvrir sans retenue à ce mystère de la vie qui de toute part nous dépasse avec ses faces d’ombre autant que de lumière. C’est prendre conscience un tant soit peu de cette réalité prodigieuse dans laquelle nous sommes immergés mais aussi de sa fragilité et de la responsabilité qui est la nôtre à son égard. Réalité sur laquelle nous ne pouvons pas refermer la main, ce qui est pourtant souvent notre tentation. Nous avons seulement la possibilité de nous rendre disponibles, accueillants, fraternels à ce qui survient. A cela, la poésie nous aide…

 

Vivre « en état de poésie », comme le dit Georges Haldas, c’est retrouver sans cesse sous la routine et l’habitude des jours cet étonnement premier d’exister.

Autant dire que tout humain, me semble-t-il, est poète dans les éclats d’instants qui le traversent et où il prend conscience d’une réalité plus vaste que lui-même ainsi que de son rôle tout à fait essentiel pour accompagner son déploiement. Pour y être un acteur et un créateur, et non un simple consommateur qui se contente de se servir au fil d’une existence.


Ainsi, celui qu’on dit poète n’est-il pas foncièrement différent de tous les autres. Il est aussi menacé qu’eux par l’oubli, la banalité, le refoulement du mystère. Par une approche prosaïque de ce qui nous entoure. Simplement, il va se consacrer davantage à cultiver cette présence à soi-même et au monde ; il va s’efforcer de la traduire en mots, en images, en sensations, en émotions. Mais aussi en attitudes concrètes, en « gestes vérifiables » comme le dit le poète Guillevic.


Contrairement  au langage courant utilitaire qui exige de la précision, il va plutôt donner du jeu à son expression pour tenter d’évoquer par allusion et résonance, ce qui ne saurait se dire avec des concepts ou un vocabulaire trop technique : tout ce que finalement la vie recèle de proprement insaisissable…

D’où ces brisures, ces éclats de nuit qui parsèment son texte. D’où également le sentiment fréquent pour le lecteur d’être perdu, à la fois dépaysé et déplacé vers l’inconnu et, en même temps, de se sentir situé à nouveau au plus intime de soi. Comme un retour à l’origine. Le poète n’est jamais tout à fait là où on l’attend, que ce soit dans son travail d’écriture ou dans le regard qu’il porte sur le monde qui souvent déconcerte.

 

La poésie est, en effet, avant tout un art d’habiter, « de s’habiter vraiment » comme l’écrivait Georges Perros. Une manière d’exister qui ne reste pas à la surface des évènements.

Nous sommes si souvent absents de notre demeure et de nous-mêmes. Captés par les choses, saisis par des soucis qui obstruent notre conscience. Engagés dans les voies de la nécessité et des obligations. Toute la société en fait nous éloigne de ce lieu vers lequel pointe la poésie.


La vie sociale, asservissante, est le domaine des arrangements et des compromissions avec l’infini que chacun porte en soi, tout comme avec l’étrangeté que révèlent en eux les autres.

Or le poète, par de secrètes correspondances, nous ramène, lui, insensiblement vers ce lieu-source où notre être s’ouvre à ce qui l’altère, tout en lui faisant éprouver son manque profond que rien ne saurait combler. Il peut s’agir de la beauté d’un paysage, la brûlure d’un amour, la force d’une absence, l’énigme d’une transcendance…

Mais aussi la blessure insoutenable d’un deuil ou la violence d’une injustice. En poésie, nulle réalité n’est jamais achevée. Elle en appelle toujours à un sentiment de fraternité et de vulnérabilité plus large. Il faut s’en remettre avec elle toujours à l’inconnu.

Même la mort y recèle un soleil.

 

Un acte de confiance fondamentale en la Vie

 

Pour moi, il n’y a pas de différence essentielle entre l’expression poétique et la vie spirituelle. En effet, je parlerais volontiers de ma foi comme je viens de le faire à propos de la poésie. La foi n’est-elle pas d’abord ouverture à ce qu’on ne saurait enfermer ni parfaitement comprendre ? Il s’agit de faire confiance sans voir.

Face aux tragiques de nos vies, il est question aussi d’espérance. Il ne s’agit pas d’acquérir des certitudes, des croyances résistantes à tout. C’est, au contraire, éprouver un inconnu que l’on sent habité d’une présence même si nous ne savons pas la nommer. A ce titre, l’agnostique est aussi un être de foi. Il ne suffit pas de se contenter de ce que l’on possède mais d’accueillir ce qui nous manque comme le lieu véritable de notre existence. Fonder dans ce lieu notre confiance. Tout humain garde au fond de lui un espace secret auquel lui-même d’ailleurs n’a pas totalement accès mais dont il peut exprimer à travers sa vie, la force d’amour et de mystère.

C’est la Vie qui, au creux de l’être, dialogue avec la Vie. C’est pourquoi, le silence est si essentiel à la poésie. Comme son espace de respiration. Son lieu de naissance.

 

Pour en venir à la pratique même de la poésie, écrire revient à renoncer à toute connaissance préalable. Comme dans la vie spirituelle, on ne peut pas faire de plan mais on peut se mettre en disposition de discerner et de faire confiance ou pas à ce qui vient. On ne peut même pas décider à l’avance de ce dont le poème devrait parler. On écoute le vent, comme dit Jésus à Nicodème, sans savoir d’où il vient, ni où il va. Mais l’on entend sa voix et l’on se met en état d’obéissance, c’est-à-dire d’écoute profonde et de confiance en ce qui surgit. Il y a une attitude fondamentale qui est contemporaine de la naissance du poème. Les premiers mots ne sont jamais choisis, mais reçus…


En cela, l’exercice poétique est bien un exercice spirituel. Pas si différent de la manière dont on peut s’éprouver croyant, pourvu que ce soit en dehors de toutes certitudes acquises une fois pour toutes. Il y a une tendance à figer la foi dans des croyances religieuses dont on ne s’écarte plus, pensant qu’avec elles nous sommes en sécurité pour toujours. Finalement, on finit par ne plus écouter que soi-même et non la voix de l’Autre en nous. La poésie et la foi sont des arts qui consistent à s’écarter du « moi » pour laisser s’ouvrir en « soi » une réalité sur laquelle nous n’avons pas de prise. Cela peut rejoindre à certains égards les différents pratiques de méditation qui supposent de laisser venir en soi l’élargissement d’une conscience plus vaste afin d’accueillir de manière plus ajustée les mouvements de la vie qui nous traversent.

 

Sans doute faudrait-il inventer un autre mot que celui de « poésie » pour évoquer ce dont nous parlons. Celle-ci renvoie presque inéluctablement à l’écriture formelle et littéraire. Or ce retour à l’essentiel et cet engagement dans l’acte poétique nous conduisent à une dimension mystérieuse qui envahit non seulement toutes les formes d’expression artistique mais encore toutes les manières d’exister authentiquement, profondément, en dehors de la simple utilité fonctionnelle ou de la superficialité de l’existence sociale.

Jean Sulivan utilisait le mot Poème avec une majuscule, pour tenter de traduire l’irréductabilité de la voie de l’Evangile.

Jean Onimus parlait, lui, du poétique comme d’une vaste réalité qui fait vraiment de nous les humains que nous sommes.

Il y a en nous plus vaste que nous et la poésie peut en être témoin à l’instar d’un véritable acte de confiance en la Vie.

 

A la question : « à quoi sert la poésie », comme ce poète que j’aime profondément, René Guy Cadou, j’ai envie de répondre que « la poésie est inutile comme la pluie !

Elle est parfaitement inutile dans ce monde pragmatique, technique et utilitaire auquel nous sommes désormais asservis. Mais dans ce désert du sens qui s’accroît de jour en jour, dans cette crise spirituelle sans précédent que nous traversons, comme la pluie, elle est devenue notre bien à la fois le plus rare et le plus précieux. Elle est au service de ce qu’il y a de plus fragile dans l’homme : cette part souvent perdue, oubliée, qu’elle peut contribuer à sauver.


Lire des poètes, c’est mettre du silence dans la prose du monde. Sans se contenter d’acquérir, de conquérir : toujours plus de connaissances, de savoirs. C’est donner à une autre partie de nous-mêmes la chance de s’exprimer. Celle qui vit au rythme des battements de notre cœur et que nous avons trop tendance à recouvrir de toutes sortes de bruits pour ne pas l’entendre vraiment. Or c’est bien le cœur qui doit tendre l’oreille pour nous indiquer la voie…


Alors, je dirais que la poésie ne sert pas à quelque chose mais qu’elle se donne gratuitement à celui qui s’ouvre à elle. Elle transforme la matière de nos vies un peu à la manière de l’arbre ou de la plante qui grandissent, et de la fleur qui s’ouvre. Grâce à elle, nous devenons davantage ce que nous sommes, en nous arrachant à la répétition, à la robotisation. Nous sommes saisis par la grâce de l’instant. Tout devient unique. S’éveillent en nous non pas des preuves mais des réponses, des confirmations : l’évidence que nous ne sommes pas seuls et que nous sommes les hôtes d’une Présence plus grande que nous ; cela, même  lorsque nous nous trouvons confrontés à la nuit de l’épreuve et du doute.


Jean Lavoué












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