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Cette amie poète que je nommerai ici simplement Françoise m’a autorisé à vous partager des extraits de sa correspondance. Il y est question d’arbres, de « vibrations incomparables », d’un rouge-gorge, de Christian Bobin, de lettre manuscrite, de « l’importance charnelle du livre », de lecture à laquelle les oiseaux mêmes sont conviés, de poésie surtout… Il s’agit aussi d’une note musicale et aérienne à propos de mon dernier recueil « Écrits de l’arbre dans le soleil »… Gratitude infinie pour ces mots de présence pure que j’ai la joie de vous offrir ce matin !
JL
« Cher Jean,
Il change les couleurs du jour, il les change à la tendresse, à la joie, à la délicatesse, à la petite force de ses ailes, à la simple et belle envergure de ses mots... Une écriture a l'essor d'encre et de lumière qui traverse le ciel de nos yeux, pour nous conduire du plus secret du coeur vers un ailleurs... l'ailleurs qu'est l'autre. Rouge-gorge ou Christian Bobin lui-même, comment savoir, comment séparer ? Pourquoi séparer quand tout ne cesse de nous apprendre à lire, à relier... à tendre d'une âme à une autre.
Merci Jean de nous partager cette lettre de Christian Bobin reçue pour célébrer la naissance de votre belle maison d'éditions !
Combien je partage la pensée et les mots de notre ami Bobin dans ce qu'il vous écrit : l'aventure solaire, un peu folle, un peu ivre, d'un chemin neuf, d'une sente unique qui sort de l'ombre ce qui ne pouvait apparaître. Aventure, oh oui ! et quelle aventure !
C'est par cette lettre et ce petit rouge-gorge, dont un frère habite mon jardin ensauvagé, que j'ai découvert votre maison d'éditions, j'en reste aujourd'hui encore éberluée, car pour être franche ce n'était pas vous que je cherchais mais Christian Bobin lui-même... je ne sais comment cela a pu être rendu possible !
Je ne cesserai de célébrer la résonance, les vibrations incomparables, magistrales, d'une écriture manuscrite... elle jaillit du silence, demeure en lui, et pourtant déclare immédiatement une présence, un visage, une voix, l'incarnation unique et subtile, fine, sans encombrement, d'un être en adresse à son correspondant. C'est bouleversant !
L'éloge des lettres, des billets, des messages, ceux que la main trace et qui arrivent entre nos mains, et le coeur qui bat, s'émeut, s'oublie juste à lire ce que ces traces-là sont en train de lui dire...
En septembre 2022, Christian Bobin était invité à Crans-Montana pour une rencontre : on se sent très vivant, tellement vivant, quand il est avec nous, les éclairs de sa parole ouvrent les forêts obscures, impénétrables...
J'ai pu parler un moment avec lui... d'écriture, de poésie, de livres, de l'importance charnelle du livre, de l'adéquation entre le fond et la forme ; nous avons partagé la même intransigeance à désirer, exiger la beauté de bout en bout, pour que justement il n'y ait pas de bout... Je lui ai confié très brièvement les problèmes que je venais de rencontrer sur ce point avec mon éditrice pour la mise en forme de mon dernier recueil... la beauté... ne pas en démordre disait-il... et combien je suis d'accord. Il m'avait demandé de lui envoyer mon dernier recueil dès sa parution. Ce que j'ai fait... mais hélas trop tard car j'appris tout aussitôt son départ.
Le chagrin ne se discute jamais. Ne sait que le silence...
…/…
Comme je le désirais, j'ai emmené, la semaine passée, "Ecrits de l'arbre dans le soleil" dans les bois de Ferreyres, un lieu étrange et beau, au pied du Jura, à courte distance de l'abbatiale de Romainmôtier, forêt aux essences d'arbres étonnantes, dans laquelle vivent lynx, chevreuils, renards, sangliers, chamois, et jusques aux loups maintenant ! et tout un peuple d'ailes !
Les arbres se taisaient, l'intense chaleur de ces dernières semaines marquait les feuillages, au sol, la végétation ployait, j'ai ouvert votre livre au pied d'un grand hêtre, dans un grand silence qui pouvait laisser croire à l'absence de toute vie, j'ai lu un poème au "hasard" , silence encore mais... sans me tromper un autre silence... un silence qui avait entendu, qui vibrait, un silence qui s'éveillait et accueillait... un silence qui frémissait.
Puis plus loin un autre arbre, un autre poème :
" Et si ce qui s'éveille en toi
Pouvait donner à d'autres...
J'avais à peine prononcé les quatre premiers mots qu'un grand ramier s'est mis à chanter, invisible mais tout près... Il a accompagné le poème jusqu'à son dernier mot : Lumière. Et s'est tu en même temps que moi.
Il ne faut surtout pas chercher à expliquer, à comprendre... juste accueillir ce qui est et... danser de joie ! j'ai lu ainsi sept ou huit poèmes, dans ce silence qui changeait sans cesse, se faisant porteur du dit le l'Arbre, de sens, de musique, de vibrations... Lors de la lecture du dernier poème, au pied d'un grand sapin :
L'arbre lui, sait dire l'unique,
sans pensées ni mots
d'un seul envol d'oiseau...
Avant que je ne lise ce vers, un grand milan royal, caché dans le feuillage immense d'un frêne, s'est envolé sans un cri, ses ailes fouettant l'air avec une vigueur qui m'a fait sursauter !
Je suis restée plusieurs heures dans cette forêt, songeuse, parmi les arbres et ceux que je ne voyais pas mais qui me voyaient j'en suis sûre... mon silence avec vos poèmes, et le silence des arbres, qui n'étaient muets, puis je suis rentrée, transformée par ce moment unique... un moment poème en forêt...
…/…
… Vous le savez, la poésie ne commence pas dans l'écriture et ne finit pas recueil lu... la poésie ne finit pas... Quelque chose de très fin nous le souffle : nous ne pouvons en rester là...
Lire... je ne cesse d'interroger ce verbe. Je pense que peu d'entre nous savent lire.
Je ne vous l'ai pas dit, car cela m'a été évident : en arrivant dans les bois de Ferreyres, je vous ai présenté à la forêt, (présenté, pas imposé) un arbre en marche, en vol, en ploiement et déploiement et en assise aussi dont je venais porter quelques messages, des chants, un arbre nommé Jean Lavoué.
Je ne suis que la part passante, un manifeste de gratitude,(très simple : un fonds d'enfance) comme l'est la poésie elle-même. »
Françoise
Photo Jackie Fourmiès
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